Cet article a été modifié le 7 mai 2021 pour y ajouter la réponse de l'hôpital Erasme.
Les médecins assistants candidats spécialistes, dits les MACS, mèneront des actions ce jeudi dans tous les hôpitaux. Ils dénoncent les conditions de travail qui leur sont imposées en stage. Après les études, ces stages de plusieurs années en hôpital sont en effet obligatoires pour pouvoir exercer la médecine. Mais les horaires sont lourds : au moins 60 heures par semaine avec plusieurs gardes par mois. Dans la réalité, les MACS font souvent beaucoup plus d'heures et n’ont pas de véritable contrat pour valoir leurs droits.
Ces conditions sont si difficiles qu’après 6-7 ans d’études, nombre d’entre eux regrettent tout simplement d’avoir commencé, explique Serima Tebbache, médecin en cours de spécialisation en pédiatrie. Au micro de La Première, elle dénonce la situation.
La semaine dernière, vous avez travaillé plus de 60 heures par semaine ?
Serima Tebbache : "Oui, même plus de 70. On commence en général le matin vers 8h – 8h30 et on ne termine jamais avant 18h30- 19h. La semaine passée, j’ai fait ça du lundi au vendredi. J’ai ensuite encore travaillé en journée le samedi, puis j’étais de garde le dimanche donc j’ai travaillé aux urgences de 9 heures jusqu’à 9 heures le lendemain, donc lundi matin. Je ne suis pas censée travailler plus que 60 heures au maximum absolu. En réalité, c’est impossible."
Ce stage dure donc plusieurs années, pour un salaire de 2200 euros net par mois. Comment ça se passe exactement ?
"Après les études de médecine, on a notre diplôme et le statut de médecin. Mais on n’a pas le droit de pratiquer la médecine. On doit faire une spécialisation, qui est de trois ans pour les médecins généralistes par exemple. Pour la pédiatrie, c’est cinq ans. Il y a des spécialisations, comme les urgences, où c’est six ans."
On travaille parfois 100 heures par semaine
"A ce moment-là, on a entre 25 et 30 ans, donc ce sont aussi des années où on aurait un peu envie de stabiliser notre vie privée, d’avoir une famille. Mais on travaille 60 heures, 90 heures ou parfois 100 heures par semaine pendant cinq ans. Le salaire est correct, mais par rapport au nombre d’heures et aux années de formation, c’est vraiment tout à fait risible."
Vous signez une convention de stage avec l’hôpital ? Comment ça se passe ?
"L’État ne soumet les hôpitaux à rien, donc chaque hôpital fait ce qu’il veut. Le gros avantage qu’ils ont c’est qu’on n’a pas de statut de travailleur. Le contrat qui nous lie à l’hôpital est une convention de stage. Le fait de se décharger de leur statut d’employeur, de dire qu’on est en stage rémunéré avec une responsabilité de travail, ça leur permet justement de faire en sorte qu’on n’ait pas accès aux droits du travailleur. Et ça permet qu’il n’y ait pas de réel contrôle sur nos heures de travail."
Aucun contrôle
"C’est un contrat qui est quand même assez succinct, il ne fait que quelques pages où on nous dit en gros qu’on doit travailler au minimum 48 heures et au maximum 72 heures. Mais en vrai, on dépasse tout le temps et il n’y a aucun contrôle là-dessus. On est censés être rémunérés pour les heures qui dépassent la moyenne de base, sauf que ça n’arrive jamais. On n’a pas de rémunération pour les heures pénibles. Qu’on travaille la nuit ou la journée, c’est pareil, on nous paye la même chose, c’est-à-dire pas grand-chose."
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Ce statut de stagiaires vous met finalement aussi dans une situation de dépendance par rapport à l’hôpital ?
"Tout à fait. Ce qui est compliqué, c’est que l’hôpital ou notre maître de stage est notre employeur et c’est aussi la personne qui va valider notre stage. C’est donc elle qui va dire : 'Je valide que ce stage fait partie de sa formation et qu’elle peut, in fine, avoir son agrément en pédiatrie'.
On m'a fait rater mon stage
J’ai commencé à lutter un peu pour revendiquer nos droits l’année passée et j’en ai fait les frais. C’était à l’hôpital Érasme, j’ai essayé de me battre juste pour que la moyenne d’heures soit respectée et pour que l’encadrement soit adéquat. Et finalement, on m’a fait rater mon stage. Là je suis en attente des commissions d’agrément et je vais voir ce qu’elles vont me proposer. Est-ce que je devrai faire six mois supplémentaires ? Est-ce qu’ils vont quand même accepter mon stage ? Je n’en sais rien, en fait."
La direction de l'hôpital Erasme a fait savoir qu'elle réfutait les accusations de Serima Tebbache, précisant qu'elle n'a jamais reçu de sa part des éléments concrets qui pourraient étayer ses accusations.
Cette situation est difficile au point que certains regrettent même d’avoir choisi cette voie ?
"Oui, c’est quelque chose qui est assez courant dans mes amis, dans mes connaissances. Déjà, il y a de nombreux burn-out et arrêts de gens qui, après dix années de formation, arrêtent parce qu’ils n’en peuvent plus.
On est beaucoup à regretter d’avoir commencé
Et finalement, on a tous un peu ce regret de se dire qu’on a fait médecine, qu’on a déjà fait six ou sept ans d’études, qu’on en est là à notre troisième année de formation, donc que ça fait dix ans. Et on se dit qu’on n’aurait en fait jamais dû commencer. Parce que c’est juste perdre trop gros si on arrête maintenant. Oui, on est finalement beaucoup à regretter d’avoir commencé".
Alors que le besoin est là, et la crise du Covid l’a démontré ?
"Tout à fait. Je pense que c’est ça qui nous a aussi un peu réveillés, parce qu’on nous a toujours mis la pression en nous disant qu’on n’aurait peut-être pas notre place, qu’il y a un peu trop de candidats spécialistes."
C’est sur nous que les hôpitaux comptent et on compte bien le revendiquer
"C’est nous qu’on a jetés en première ligne et on a vu qu’on n’était pas du tout suffisants, ni nous, ni les infirmières, ni plein d’autres du personnel médical, pour assurer les soins de santé. Que ce soit pendant une catastrophe ou pas. C’est sur nous que les hôpitaux comptent et on compte bien le revendiquer."