L’enquête publique lancée par l’Ondraf, l’organisme belge chargé de la gestion des déchets nucléaires, le 15 avril dernier se termine ce samedi. Sur une polémique. Fallait-il vraiment organiser cette consultation de la population en plein confinement ? Était-ce bien le moment de poser la question suivante, importante, engageante, peut-être aussi un peu angoissante : êtes-vous d’accord de stocker 10.000 mètres cubes de déchets hautement radioactifs ou à très longue durée de vie quelque part dans le sous-sol belge ?
Comme si l’avis des Belges ne comptait pas
Les premiers boulets rouges ont été tirés depuis le plateau ardennais, à la frontière belgo-luxembourgeoise. "Nous avons découvert par la bande que notre région figurait désormais sur la carte des sites géologiques susceptibles d’accueillir les déchets nucléaires, explique le bourgmestre de Fauvillers Nicolas Stilmant. Evidemment la première réaction de la population a été de rejeter fermement cette perspective : "pas chez nous" ! C’est compréhensible, d’autant plus dans une région naturelle et très préservée comme la nôtre. Mais au-delà de cette réaction spontanée, et quel que soit le site qui serait finalement choisi pour accueillir les déchets nucléaires, pourquoi faut-il précipiter la décision ? Elle engage pour des dizaines de milliers d’années. Et pourquoi lancer l’enquête en plein confinement, au moment où les citoyens ne peuvent justement pas organiser des réunions, débattre, se rendre à la commune… ?"
Politiquement, l’enquête a suscité beaucoup de remous jusqu’au Parlement fédéral où Ecolo, le PS et le PTB ont essayé d’obtenir un report de l’enquête, ou au moins une prolongation, vu la période de confinement. Ils se sont heurtés au MR et à une majorité de partis flamands. La ministre de l’énergie Marie-Christine Marghem n’a pas estimé devoir modifier le calendrier de l’enquête. Argument invoqué : la Belgique est très en retard par rapport à tous ses partenaires européens. "Nous sommes en infraction par rapport à la Commission européenne, rappelle la porte-parole de l’Ondraf Sigrid Eeckhoudt. Nous avons suivi toutes les règles pour faire cette consultation. Le but est vraiment d’informer en toute transparence les citoyens. Et nous allons prendre en considération toutes les remarques."
Un point de vue que ne partage pas du tout Céline Parotte, politologue à l’université de Liège, qui suit ce dossier depuis une dizaine d’années. "Organiser une telle consultation alors que des droits fondamentaux sont suspendus, que les réunions et les manifestations ne sont pas permises, que les médias sont complètement focalisés sur une crise sanitaire… ça donne le sentiment qu’on ne prend les citoyens belges au sérieux, que leur avis ne compte pas."
Toute la Wallonie apparaît sur la carte
Les communes du sud de la province du Luxembourg n’ont pas été les seules à réagir. A lire attentivement le rapport de l’Ondraf, une bonne partie du territoire wallon abrite des couches géologiques qui pourraient, en théorie, accueillir des déchets nucléaires dans leur sous-sol, en raison de leur relative imperméabilité : le massif du Brabant, le synclinal de Neufchâteau, les massifs de Rocroi et Stavelot, les argilites de Namur et Dinant, de Mons, du plateau de Herve ou de la Gaume…
L’Ondraf précise toutefois explicitement qu’aucune de ces couches géologiques n’a été étudiée. Elles ne sont citées dans le rapport que par analogie avec des sites choisis à l’étranger. En Belgique, un seul site a fait l’objet d’une investigation scientifique approfondie : la couche d’argile de Boom située à 200 mètres sous le sol de la Campine. Après quarante années de recherche sur ce site géologique, l’Ondraf estime "qu’il n’existe pas de vices rédhibitoires" pour le stockage de déchets radioactifs dans ce type de sous-sol. Traduisez : c’est assez sûr.
Mais dès 2010, l’Agence fédérale de contrôle nucléaire (AFCN) a semé le doute en estimant que la présence de couches aquifères dans l’environnement de l’argile de Boom n’avait pas suffisamment été prise en compte par l’Ondraf. Et qu’il faudrait étudier d’autres sites pour pouvoir comparer. Cette réserve a depuis été relayée et largement amplifiée par une organisation comme Greenpeace, qui estime que l’argile de Boom doit être écartée du jeu. "Elle n’est pas assez profonde et trop près des nappes phréatiques, estime Jan Vande Putte, spécialiste du nucléaire chez Greenpeace Belgique.
Déjà 16.000 avis sur le bureau de l’Ondraf
C’est la raison pour laquelle, les sites wallons sont soudain apparus dans l’enquête de l’Ondraf. "Personnellement, j’estime que l’argile de Boom est une bonne option pour l’enfouissement de nos déchets nucléaires, commente au contraire le professeur Robert Charlier (université de Liège), mais si on abandonne cette option, il faut bien étudier les autres possibilités."
Mais à ce stade, rappelle l’Ondraf, il ne s’agit pas encore déjà de choisir un site mais de choisir un mode de traitement des déchets : enfouissement définitif dans les profondeurs de notre sous-sol pour des centaines de milliers d’années ou plutôt une surveillance en surface pendant encore plusieurs dizaines d’années à la recherche d’une meilleure solution (le choix des seuls Pays-Bas jusqu’ici) ?
L’enquête se termine le samedi 13 juin. Selon des chiffres communiqués ce mercredi au Parlement par la ministre Marie-Christine Marghem, plus de 16.000 avis ont déjà été envoyés à l’Ondraf, indice pour elle que l’enquête a bien rencontré son objectif. Cela dit, la moitié de ces avis proviennent de l’étranger : Allemagne, Grand-Duché du Luxembourg, France… Beaucoup de nos voisins sont inquiets : où qu’il soit situé, un site d’enfouissement nucléaire en Belgique ne sera jamais très loin d’une frontière.