On n'est pas des pigeons

Des chaussures en plastique à 250 euros : à qui profite le business très juteux des baskets ?

Par François Louis

Le phénomène concerne essentiellement les chaussures de la marque Nike, dont certains modèles sont devenus iconiques, comme les Jordan et les Air max. Des paires très rares peuvent atteindre des sommes folles.

Un autre phénomène plus massif s'est développé dans le sillage sur internet: le resell. Une pratique de vente très lucrative.

Des sneakers Nike neufs revendus plus cher que le prix du fabriquant

Aymeric (22 ans) est un fan de sneakers: "Je sais c’est cher. Ce n’est pas raisonnable."  Il possède une vingtaine de paires de baskets, surtout des Nike. Et certaines paires lui ont coûté 250 euros. Certains jeunes iront jusqu'à dépenser 500 euros pour porter ou simplement posséder tel ou tel modèle. "On est pris dans une "hype"", explique Aymeric. "C’est un phénomène de foule. Telle ou telle paire de sneakers (ndlr : quand on est branché, on ne dit pas "baskets", on dit "sneakers") devient très tendance et tout le monde la veut."

Le phénomène concerne essentiellement les chaussures de la marque Nike dont les Jordan et les Air max. Des paires très rares peuvent atteindre des sommes folles. Comme en avril dernier, lorsque des Nike Air Yeezy 1 portées par le rappeur Kanye West ont été vendues 1,5 million d’euros chez Sotheby’s !

Mais derrière ces opérations spectaculaires qui ne concernent que de riches collectionneurs se cache un phénomène beaucoup plus massif et qui pèse déjà plusieurs milliards d’euros : le resell, la revente de baskets Nike à l’état neuf à un prix beaucoup plus élevé que le prix de départ fixé par le fabricant américain.

Les stocks sont épuisés en quelques secondes

C’est un phénomène qui se passe essentiellement sur internet. "Nike, plusieurs fois par semaine, vend sur son application en ligne SNKRS des nouveaux modèles à un prix variant entre 100 et 200 euros", explique Alexis Pappageorgiou, collectionneur et patron du bar bruxellois The Sneakers. "Il y a généralement beaucoup moins de stock disponible que la demande pressentie. Si bien qu’à 9 heures du matin, quand la vente démarre, les stocks s’épuisent en quelques secondes. Parfois, ce sont les premiers à avoir cliqué qui obtiennent les chaussures. Parfois Nike organise un tirage au sort pour choisir les "heureux élus" ".

Les chaussures en question ne sont évidemment pas plus disponibles dans les réseaux de magasins Nike ou de vêtements de sport. Les points de vente physiques sont alimentés avec la même parcimonie que les ventes en ligne. "Et parfois, les chaussures n’arrivent même pas jusque dans les rayons", explique ce commerçant spécialisé dans la vente de Sneakers. "Avec un vendeur complice dans le magasin, certains resellers font main basse sur tout le stock, et les remettent en vente ensuite sur internet pour leur propre compte."

Dans le jargon des resellers, cela s’appelle le backdoor. Un terme emprunté au commerce du cannabis aux Pays-Bas, où une bonne partie de la drogue n’est pas vendue dans les points de vente légalisés - les Coffee shops - , mais dans des réseaux parallèles illégaux.

90% des consommateurs sur le carreau

Toujours est-il que ce marketing de la rareté, orchestré à la base par Nike, contribue à entretenir le caractère iconique de la marque, en laissant 90% des consommateurs sur le carreau, avec un sentiment de frustration. Et surtout une inclination à payer beaucoup plus cher ce qu’ils n’ont pas obtenu dans cette première phase de vente.

C’est là que démarre l’étape numéro deux du resell. Quelques minutes, parfois quelques secondes après la clôture de la vente en ligne, les modèles en question se retrouvent en vente sur des sites spécialisés comme StockX, Clegg’s ou Wethenew. Et bien souvent les prix sont déjà 20%, 30% ou 50% plus élevés que celui de la vente en ligne tout juste clôturée. Quelques semaines plus tard, les prix sont parfois multipliés par trois ou quatre.

Des chaussures qui coûtent 10 ou 15 euros à la fabrication

Comment expliquer ce tour de passe-passe ? Parmi les clients de ces ventes rapides en ligne, il y a des collectionneurs, des passionnés, des fashion victimes, mais aussi beaucoup de resellers, des revendeurs. Souvent ce sont des jeunes qui ont trouvé là un moyen de gagner beaucoup d’argent en très peu de temps.

"J’ai commencé au début du confinement", raconte Bryan, un Liégeois de 18 ans. "J’adore les baskets, et moi, l’école ce n’était pas trop mon truc. J’ai vite compris qu’il y avait moyen de gagner beaucoup d’argent en achetant et en revendant intelligemment." Il continue: "Parfois, il faut rester éveillé toute la nuit pour participer à telle ou telle vente rapide. C’est du boulot." Et l'activité est lucrative:  "Mais certains mois, cela me rapporte deux ou trois mille euros. Cela peut monter jusqu’à 5 000 euros."

Inutile de préciser que l’adolescent n’a ni registre de commerce, ni numéro de TVA, ni feuille d’impôt. Un certain nombre de ces resellers choisissent de sortir de l’ombre, en utilisant les réseaux sociaux, notamment Instagram, comme vitrine de magasin on line. Le fait de sortir de la clandestinité rapporte sans doute un peu d’argent à l’Etat, via les taxes et les impôts. Par contre, cela ne change rien pour le consommateur, passionné ou un peu naïf, souvent jeune, qui continue à payer jusqu’à 500 euros: des chaussures fabriquées en série, dans des usines au bout de monde. Et dont le coût de fabrication (matière première et main-d’œuvre), le plus souvent, ne dépasse pas 10 ou 15 euros.


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