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Dépendance de l'Europe au gaz russe : face aux tensions, pourrait-on se passer du gazoduc Nord Stream II ?

© Getty Images

Alors que les tensions entre les alliés de l’OTAN (Europe/USA) et la Russie s’intensifient à la frontière ukrainienne, l’Allemagne avertit Poutine : en cas d’agression envers l’Ukraine, un ensemble de sanctions "massives" seront prises par les alliés occidentaux à l’encontre de la Russie. Parmi ces sanctions, un élément géopolitique de poids : le gazoduc germano-russe Nord Stream II.

Long de 1200 km, ce pipeline qui relie la Russie à l’Allemagne en passant par la mer baltique est fortement critiqué depuis plusieurs années au sein de l’Union européenne. Le gazoduc, actuellement paralysé par le régulateur énergétique allemand pour des raisons juridiques, doit permettre d’acheminer du gaz russe en Europe tout en contournant l’Ukraine.

Alors que l’Europe dépend à 38% de la Russie pour ses importations de gaz naturel et que les Vingt-Sept prévoient une augmentation des besoins dans leurs transitions énergétiques, Nord Stream II représente une composante importante pour assurer la sécurité énergétique du vieux continent. Mais peut-elle se passer de cette liaison gazière avec les Russes ? Décryptage.

La dépendance au gaz russe différente selon chaque pays de l’UE

Première constatation : les pays européens ne dépendent pas tous de la même manière du gaz russe.

D’après les derniers chiffres d’Eurostat sur les importations de gaz naturel en 2020, certains États sont fortement dépendants de la Russie. C’est notamment le cas de l’Allemagne (66% de ses importations de gaz sont russes), la Bulgarie (75%), la Slovaquie (85%), l’Estonie (93%) la Finlande (97,6%) ou encore la Lettonie et la République tchèque (100%).

D’autres sont nettement moins dépendants comme les Pays-Bas (26%), la France (17%), l’Espagne (10%), la Slovénie (9%) et la Croatie (0%).

Second point : jusqu’à maintenant, l’Europe n’a pas été en manque de gaz et ce, sans Nord Stream II qui, pour rappel, n’est toujours pas entré en service. 

Nord Stream II, une mainmise de la Russie sur l’Europe

À l’autre bout du tuyau, l’intérêt de Nord Stream II est double pour la Russie.

Pesant près de 40% du marché du gaz en Europe, la Russie est un allié indispensable dans les plans énergétiques des vingt-sept. Elle est se positionne d'ailleurs devant la Norvège qui, avec 24% du gaz importé en Europe, est deuxième au tableau des négociants.

Une mainmise qu’aimerait conforter Vladimir Poutine : en augmentant les capacités d’importations vers l’Europe, la dépendance au gaz russe sera d’autant plus grande si la demande augmente, chose vue d’un mauvais œil par les États-Unis.

Et les premiers signes de cette influence sont déjà bien visibles. Dans le cadre du conflit russo-ukrainien et le délicat jeu géopolitique actuel, l’Europe menace de se passer du gazoduc mais ne passe pas à l’acte.

L’autre enjeu pour les Russes est de diminuer le transit du gaz via l’Ukraine (Nord Stream I), une manière d’affaiblir le pays en diminuant les revenus liés au transit sur son territoire.

La Russie ne peut se passer de l’Europe

La Russie a donc de quoi faire jouer son influence sur le vieux continent, mais l’Europe lui est aussi indispensable.

Avec plus de 30% de son économie basée sur son gaz et son pétrole, la Russie vit pendue à la vente de ses énergies fossiles comme le détaille Adel El Gammal, expert en géopolitique de l’énergie, professeur à l’école polytechnique de l’ULB et secrétaire général de l’Alliance européenne pour la recherche énergétique (EERA) : "L’Europe représente 70% des exportations de gaz russe, c’est une manne absolument essentielle et le pays ne peut pas s’en priver à long terme", dévoile le spécialiste.

La puissance mondiale pourrait-elle dès lors couper complètement les vannes à l’Europe ? Un scénario peu vraisemblable pour Adel El Gammal : "Je pense, sans certitude, que c’est très improbable. Il faudrait une situation de conflit armé intense pour arriver à un tel cas de figure car son économie dépend énormément de l'Europe. Ses relations énergétiques avec l’Asie sont encore relativement limitées même si elle y développe déjà son marché".

De plus, l’expert en géopolitique précise qu’une coupure totale du gaz à l’Europe pourrait être contreproductive sur le plan international pour la Russie, qui perdrait dès lors sa crédibilité en tant que fournisseur fiable.

"Par contre, ce qui est plus crédible, c’est une diminution de son offre de gaz" juge le professeur Adel El Gammal. "Aujourd’hui, la Russie a fourni 25% de moins de gaz que l’année précédente. Elle a continué à honorer les contrats à long terme mais a diminué subtilement l’approvisionnement. Elle ne s’est pas mise en défaut contractuel de fourniture mais n’a pas répondu à la demande supplémentaire de l’Europe, avec pour objectif d’exercer une pression sur les Vingt-Sept", détaille-t-il.

L’Europe a intérêt à diversifier ses importations

L'Europe peut donc bel et bien se passer du fameux gazoduc, mais les marge de manœuvre sont fines. Et se passer du gaz russe est impossible.

Face à l’emprise russe sur le marché européen du gaz, l’Europe reste donc sous tension.

La menace d’une coupure nette n’est certes pas à l’ordre du jour, mais rien ne peut empêcher la Russie de couper l’approvisionnement à court terme et pour de courtes périodes, de quoi laisser planer une possible déstabilisation de l’Union.

L’Europe a pourtant la possibilité de diminuer cette force d’intimidation de la superpuissance selon le secrétaire général de l’EERA : "Si les tensions persistent, l’Europe a intérêt à diminuer sa dépendance au gaz russe, notamment via des contrats avec d’autres pays du monde sur le marché du Gaz Naturel Liquéfié (GNL). Cela permettrait d’être moins tourné vers la Russie mais aussi d’avoir une quantité de stock de gaz plus important en investissant dans cette énergie".

En effet, les prix de l’énergie ont fortement augmenté ces derniers mois, l’hiver doux a permis de limiter la casse. Mais les réserves de l’Europe en ont pris un coup puisque la Russie n’a pas répondu à la demande supplémentaire comme elle le faisait habituellement : "Les stocks européens de gaz étaient particulièrement bas cette année. Ils étaient à 50% en janvier alors qu’ils étaient aux alentours de 70-75% les années précédentes. Cela a mis une tension sur les prix du marché européen. Si l’hiver avait été plus froid, la consommation aurait été plus grande, on n’aurait plus eu de stock et les chiffres auraient explosé", ajoute Adel El Gammal.

Et la Belgique dans tout ça ?

La Belgique prévoit la fin du nucléaire en 2025. Néanmoins, elle a choisi d’investir dans le gaz pour compenser la perte du nucléaire, le temps de la transition vers la neutralité carbone en 2050. Deux centrales au gaz doivent d’ailleurs être construites à Vilvorde et aux Awirs.

Ce plan augmentera forcément notre besoin en gaz naturel dans les prochaines années, le temps d’avancer dans notre transition vers les énergies renouvelables.

Cependant, savoir comment évolueront le contexte international, les tensions OTAN/Russie et les prix du gaz relèvent encore de la spéculation. Si la Russie décide de bloquer les vannes, la Belgique devra remplacer "seulement" 6% de sa part d’importation de gaz. Une dépendance faible à la république russe mais les prix seront quand même à la hausse, comme dans tous les pays européens. Le marché européen de l’énergie étant relativement homogène, l’augmentation touchera l’ensemble des Vingt-Sept.

Les États devront-ils combattre la hausse des prix ?

Reste à savoir si tous les Européens pourront se permettre une augmentation importante des prix. Les États pourraient avoir tendance à intervenir pour limiter son impact sur les factures des citoyens mais aussi faire bonne figure. Pourtant, ce choix pourrait ne pas être le plus opportun pour le futur.

Pour Francesco Contino, professeur à l’UCLouvain et expert en système énergétique, limiter l’interventionnisme des États permettrait de tourner rapidement la page de l’énergie fossile et de la puissance du gaz russe en Europe : "Les mesures prises dans l’optique de réduire les prix (comme la baisse de TVA par exemple) sont des stratégies qui vont nous handicaper pour le futur. Les États se privent de moyens qu’ils pourraient utiliser pour la transition vers le renouvelable. Ils doivent prévenir les citoyens et les entreprises que les prix vont augmenter tout en les poussant aux investissements limitant leur consommation. L’État ne peut pas compenser indéfiniment la hausse des prix; il doit cependant investir des moyens publics pour la transition énergétique et sortir le plus rapidement des énergies fossiles. Cela à l’air antisocial parce que cela induit plus de taxes. Mais cette solution est, selon moi, plus sociale. Elle pousse à la transition et à un futur plus agréable autant écologiquement qu’économiquement."

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