Chroniques

Démission de Jean-Luc Crucke, une victoire de Georges-Louis Bouchez, une défaite du libéralisme

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Par Bertrand Henne

La démission de Jean-Luc Crucke de son poste de ministre du Budget a quelque chose d’unique. J’ai fouillé les trois volumes d’un numéro du CRISP sur les démissions ministérielles dans les entités fédérées. Ils y recensent toutes les démissions et les classes par type. Les démissions pour faute, les démissions pour départ dans un autre gouvernement, les démissions pour désaccord politique avec un partenaire, pour cause de maladie… Après avoir passé tout patiemment passé en revue, ils écrivent ceci : "Bien que le cas n’ait pas été recensé à ce jour dans les entités fédérées, on peut également envisager un autre type de désaccord politique, celui qui verrait un ministre refuser de suivre la ligne que son parti lui demanderait d’observer dans son action au sein du gouvernement et, par conséquent, démissionner."

Désormais, un cas de ce type est recensé : c’est celui de Jean-Luc Crucke. D’un point de vue de l’histoire politique, ce à quoi nous avons assisté hier est donc unique.

Un tournant pour le Gouvernement wallon

Jean-Luc Crucke était ministre du Budget. Or la Wallonie est dans une situation historiquement difficile, fragilisée par la pandémie et les inondations. Ensuite Jean-Luc Crucke était au MR celui qui parvenait le plus à construire des ponts avec les autres formations politiques, PS et Ecolo. Enfin avec Willy Borsus, il jouissait d’une très large autonomie. Le MR était au pouvoir en Wallonie, pas Georges-Louis Bouchez. Désormais, le président a la main pour nommer un proche et importer son agenda et ses méthodes au sein du Gouvernement wallon.

Une victoire pour Georges-Louis Bouchez

Georges-Louis Bouchez se trouve considérablement renforcé avec cette affaire. Il était devenu au fil du temps le principal opposant interne au président et un rival potentiel. Mais Jean-Luc Crucke a dû mesurer, au travers du décret fiscalité juste, à quel point il était isolé. Ce qui est vrai sur le décret sur la fiscalité, vaut pour le nucléaire, pour le changement climatique, pour l’environnement, pour le régionalisme et sur la manière très clivante de faire de la politique. Jean-Luc Crucke a bien dû constater, amer, la "bouchisation" du MR.

Le président impose sa ligne. Après le faux départ du casting ministériel où il avait voulu se passer de Valérie De Bue, Georges-Louis Bouchez a entrepris une vaste opération de reconquête en interne. Une opération que la démission de Jean-Luc Crucke couronne de succès. Du point de vue de Georges-Louis Bouchez, le MR est plus fort aujourd’hui sans Jean-Luc Crucke, avec une ligne plus cohérente, une tête qui dépasse en moins.

Une défaite pour le libéralisme

La phrase de Jean-Luc Crucke : “mes convictions libérales, ne sont plus en pleine adéquation avec la ligne de mon parti” va rester. Avec Jean-Luc Crucke c’est l’incarnation d’un libéralisme plus soucieux des questions environnementales, plus attentif aux questions de justice fiscale et sociale un libéralisme plus rassembleur qui s’en va. Le message de toute cette affaire c’est que ce libéralisme-là, que certains diront progressiste pour faire vite, ne trouve plus sa place au MR.

Or, si on regarde l’histoire de l’héritier du parti libéral depuis Jean Gol, il s’est toujours fait par intégration successive de tendances du libéralisme, l’ouverture aux chrétiens, aux progressistes. C’est un parti qui est parvenu à tenir ensemble en même temps un certain conservatisme et un certain progressisme sur la question des droits et libertés. Un parti d’une plasticité étonnante aussi entre des libéraux adeptes du laisser-faire ou de l’interventionnisme, plasticité entre libéraux favorables à Trump et d’autres franchement Biden.

Cette faculté d’être une maison commune malgré des contradictions et des luttes internes féroces lui a permis de régner sans partage sur le paysage de la droite dans le sud du pays. Mais le pari du président du MR n’est plus dans un modèle rassembleur et diversifié, il a choisi de cliver, de polariser la politique francophone sur le modèle français pour aller chercher de nouveaux électeurs. Personne n’est capable de dire si c’est un pari gagnant ou pas. Mais ce qu’on sait c’est que cette évolution du parti libéral se fera désormais sans Jean-Luc Crucke.

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