Deliveroo : le tribunal du travail estime que les coursiers sont des indépendants, mais qu'ils ne peuvent plus utiliser le régime "P2P"

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Par Guillaume Woelfle

Le jugement du Tribunal du travail était très attendu et il est globalement favorable à la société de livraison de repas Deliveroo. L'Auditorat du Travail tentait, dans cette procédure, de faire reconnaître les livreurs de repas comme des salariés et non des indépendants. Le tribunal ne l'a pas suivi.

"La relation de travail entre les coursiers à la cause et Deliveroo ne pouvant être requalifiée en contrat de travail, le Tribunal a déclaré non fondées les demandes de l’Auditeur du travail et des parties intervenantes", précise le communiqué du tribunal du travail francophone de Bruxelles.

Le Tribunal a ainsi jugé que les livreurs "n'étaient pas limités dans la liberté d'organiser leur travail" ou leur temps de travail. Il n'a pas non plus constaté "d'élément révélateur de l'exercice concret d'un pouvoir hiérarchique". Enfin, il a conclu que "la volonté des parties est bien de conclure une convention ayant pour objet des prestations indépendantes". Ces quatre critères permettant de distinguer un salarié d'un indépendant sont donc en faveur du statut indépendant dans ce cas-ci. 

Pour Deliveroo, c'est évidemment une victoire car la société risquait une requalification en tant que salariés des 115 livreurs qui s'étaient joints à la cause, mais aussi de faire inscrire cette décision dans la jurisprudence. 

"Il s'agit d'une reconnaissance importante qui est conforme à l'interprétation juridique que nous avons toujours mise en avant, concernant la manière dont les coursiers veulent travailler avec Deliveroo, a réagit Rodolphe Van Nuffel, le porte-parole de la société en Belgique. C'est une bonne nouvelle pour les coursiers qui apprécient le travail flexible que Deliveroo permet. Le Tribunal a souligné un certain nombre de caractéristiques du modèle Deliveroo qui permettent de conclure à l'existence d'un travail indépendant, notamment la volonté des coursiers d'effectuer des prestations indépendantes, la liberté d'organiser le temps de travail et l'absence d'un pouvoir hiérarchique de la part de Deliveroo."


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Que faire des livreurs sous le régime "P2P" ?

Mais le jugement ne règle pas tous les problèmes, et on peut même dire qu'il en crée de nouveaux. Car la plupart des livreurs de Deliveroo n'étaient pas de vrais indépendants, inscrits en tant que tels à une caisse d'assurance sociale et à la TVA. La plupart, 85% selon la CSC, utilise le régime de l'économie collaborative, appelé "P2P" dans le milieu. Ce régime sans cotisations sociales, avec peu d'impôts, est très attrayant pour les livreurs mais ne leur donne pas droit à une sécurité sociale. Et le jugement interdit désormais de recourir à ce régime.

Raison pour laquelle Martin Willems, fondateur de la plateforme United Freelancers à la CSC, nuance la "victoire" de Deliveroo dans cette affaire. "Le jugement dit que le régime de l’économie collaborative n’est pas applicable à ces prestations. Les livreurs doivent donc être soit indépendants soit salariés. (...) Ce jugement crée donc un problème gigantesque. Doivent-ils maintenant payer des cotisations sociales d’indépendant ?  Qui va les payer ? (...) Deliveroo et l’Etat belge sont coupables de les avoir entretenus dans l’idée qu’ils ne devraient jamais payer de cotisations sociales", attaque la CSC


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L'entreprise de livraison demande au Gouvernement de suivre cette jurisprudence et de réunir les plateformes et les travailleurs de plateformes afin de répondre aux attentes des coursiers, à savoir un travail flexible et sécurisé, dans un cadre juridique stable. La CSC elle aussi en appelle au gouvernement, mais pour qu'il "prenne des mesures rapides pour créer une sécurité juridique pour les travailleurs de plateforme, et que ceux-ci bénéficient des mêmes droits que les autres travailleurs". "A tout le moins Deliveroo et l’Etat belge sont coupables de les avoir entretenus dans l’idée qu’ils ne devraient jamais payer de cotisations sociales."

Les parties opposées à Deliveroo (l'Auditorat du Travail, l'ONSS, les coursiers et les syndicats) pourraient interjeter appel à ce jugement en première instance.

 

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