Justice

Décès d’Adil à Anderlecht : le policier qui a percuté le jeune homme accusé de racisme par plusieurs collègues

Affaire Adil : une policière dénonce le racisme d un collègue

Pour voir ce contenu, connectez-vous gratuitement

Par Fabrice Gérard pour la cellule Investigation avec Philippe Engels et Thomas Haulotte

C’est un nouvel élément dans le dossier de la mort du jeune Adil qui pourrait bien influencer le cours de la procédure judiciaire en cours. Il s’agit d’un témoignage circonstancié d’une fonctionnaire de police membre de la Zone de Police Midi. C’est dans cette zone que travaillent les trois policiers inculpés d’homicide involontaire survenu le 10 avril 2020 dans la commune bruxelloise d’Anderlecht.

Ce jour-là, Adil, 19 ans à l’époque, tente de se soustraire à un contrôle de police. On est alors en plein confinement et le jeune homme prend la fuite en scooter lorsqu’il entre en collision avec un véhicule banalisé de la police arrivé en renfort.

Trois ans plus tard, le dossier est toujours à l’instruction et devait être plaidé hier devant la chambre du conseil. Mais une nouvelle pièce, versée au dossier le 4 mai dernier, et dont nous avons pu prendre connaissance en compagnie de nos collègues du Soir et des journalistes Philippe Engels et Thomas Haulotte, a provoqué un nouveau report fixé au 5 septembre prochain. Une pièce du dossier qui risque de provoquer un véritable tsunami au sein de la Zone de Police Midi et des membres du conseil de police.

L’Inspecteur a tenu des propos racistes par rapport au jeune Adil. Il se serait également vanté d’avoir déjà tué

C’est donc le 4 mai dernier que l’inspectrice de police est entendue par la juge d’instruction en charge du dossier. La policière est entendue dans le cadre d’un autre dossier. Mais lors de ses déclarations, elle fait part à la juge de propos entendus par rapport à l’affaire Adil Charrot et au policier qui a percuté le jeune homme. Et elle explique : "Les trois quarts de ses hommes sont venus me trouver pour me dire que l’intéressé tenait des propos pour le moins interpellant par rapport au décès du jeune Adil. Je précise que ce ne sont pas juste les hommes de son équipe, mais une grande partie des policiers du commissariat qui font état de ces propos".

Ces propos présumés, les voici : "L’inspecteur principal a tenu des propos racistes par rapport au jeune Adil. Il m’est également revenu de ses hommes que ce dernier se vantait d’en avoir sorti un de la rue par rapport à la mort du jeune Adil. Il se serait également vanté d’avoir déjà tué".

Un rapport administratif accablant et des accusations de racisme, de sexisme et de harcèlement

Mais ce n’est pas tout. La policière a joint à ses déclarations un rapport administratif que plusieurs de ses collègues ont adressé au directeur opérationnel de la Zone Police Midi ainsi qu’au chef de corps Jurgen De Landsheer. Un rapport dans lequel de graves accusations quant au comportement du policier qui a percuté Adil sont dénoncées.

"Nous mettons en avant le fait que l’inspecteur principal se montre dégradant et démotivant à l’encontre de nouveaux collègues débutant leur carrière au sein de notre zone de police. Ces derniers se sentent écrasés, évincés et sans aucune utilité depuis leur arrivée au sein de notre équipe, et ce, à cause de la pression qu’effectue le policier : menaces de note de fonctionnement non justifiées, menace de déplacement dans une autre équipe et/ou service".

JP de 07h - Un nouvel élément dans le dossier de la mort du jeune Adil

Pour voir ce contenu, connectez-vous gratuitement

Comportements racistes et xénophobes

Et la liste des griefs ne s’arrête pas là. Les policiers qui ont saisi leur hiérarchie indiquent qu’il existe "des faits plus graves et pouvant faire l’objet de poursuites judiciaires".

Morceaux choisis : "L’inspecteur principal fait preuve et a fait preuve à plusieurs reprises de comportements xénophobes, racistes et sexistes à l’encontre des membres de son équipe. Plusieurs remarques ou insultes racistes ont été proférées à l’encontre d’inspecteurs de police d’origine étrangère. Nous citons, et veuillez nous en excuser, des termes comme bougnoul, bouns, vous enculez des chèvres dans vos pays d’origine, je ne comprends pas que vous ne mangiez pas de porc".

Les auteurs insistent et expliquent que ces comportements et remarques "ne se limitent pas aux membres du personnel et qu’il en va de même avec la population, et ce en présence d’inspecteurs de police". Clou de ce triste spectacle, à en croire les déclarations des policiers, "plusieurs remarques déplacées et racistes concernant l’incident de la mort du jeune Adil dans lequel l’inspecteur principal a été impliqué ont été faites sans aucune gêne et de façon répétitive par l’intéressé".

Une hiérarchie mise au courant mais qui ne réagit pas

Dans leur exposé, les policiers insistent également sur l’inertie de leur hiérarchie, notamment celle d’un commissaire de police qui chapeaute l’ensemble des services d’intervention de la Zone de Police Midi. "Ce dernier était au courant de la situation et a cautionné le comportement de l’inspecteur de police durant toute la durée de sa fonction au sein de notre unité". Et les policiers de conclure "que le contrat de confiance entre l’inspecteur et les membres de son équipe est totalement rompu. Nous sommes à bout de cette situation répétitive et infernale pour bon nombre de nos collègues".

Contacté ce mardi 16 mai en fin de journée, Jurgen De Landsheer, le chef de zone a une autre version : "Dès que nous avons été avertis à l’automne 2022, nous avons convoqué l’intéressé pour le recadrer. Il a été déplacé en février 2023 dans un autre service et n’a plus posé de problème depuis. Il n’a jamais fait l’objet d’aucune poursuite pour fait de racisme ou pour harcèlement. Alors oui, c’est quelqu’un que l’on peut qualifier de lourd, un beauf comme on dit dans le jargon, mais c’est un excellent policier qui a même été récemment promu". Conscient du caractère sensible de nos révélations, le chef de zone a décidé de saisir le comité P, l’organe de contrôle des services de police.

L’avocat du policier dénonce une violation du secret de l’instruction

Du côté de la défense du policier, l’avocat Sven Mary dénonce une violation du secret de l’instruction. "L’affaire Adil remonte à avril 2020 et ce n’est que trois ans plus tard que cette nouvelle pièce apparaît. Je m’en étonne et j’ai donc sollicité des devoirs complémentaires auprès de la juge d’instruction pour vérifier la crédibilité de ces nouveaux éléments".

Sollicité également, le parquet de Bruxelles ne fait aucun commentaire. "L’affaire n’a pas encore été plaidée sur le fond et le débat aura lieu dans la salle d’audience, pas par voie de presse". Rappelons que depuis novembre 2020, le parquet demande un non-lieu pour les trois policiers inculpés ainsi que pour la zone de police également poursuivie. Les chefs d’inculpation étant, outre l’homicide involontaire, la discrimination, la non-assistance à personne en danger et la coalition de fonctionnaires.

La famille d’Adil sous le choc

Présente hier lors de la chambre du conseil, la famille d’Adil a également réagi à ces nouvelles révélations.

Par la voix de leur avocat Alexis Deswaef, elle note "que ces faits de racisme étaient visiblement connus et dénoncés en interne au sein de la zone de police et qu’ils sont également visés dans le dossier de la mort d’Adil". Et qu’il faudra que le commissaire en chef et la culture du silence trop souvent présente à la police fassent place à des réponses et des éclaircissements. Pour la famille d’Adil et pour tous ceux qui sont décédés à la suite d’interventions de la police.

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma... Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Sur le même sujet

Articles recommandés pour vous