Faut-il enlever les statues du roi Léopold II ou, au contraire, les laisser et ajouter un panneau pour expliquer ce qu'il a fait? Cette question agite notre pays. Ailleurs dans le monde, ce sont d'autres statues qui suscitent la polémique. L'émotion suscitée par la mort de George Floyd aux Etats-Unis, a réveillé une colère au sein des populations qui n'acceptent plus que l'espace public soit occupé par des statues rendant hommage à d'anciens colonisateurs. Mais comment concilier histoire et mémoire?
Depuis dix ans, la Ville de Bordeaux, dans le sud-ouest de la France, mène un travail de mémoire. Premier port colonial et troisième port négrier entre le 17ème et le 19ème siècle, Bordeaux vient d'installer cinq plaques explicatives portant des noms de négriers à l'entrée des rues concernées.
Des plaques pour contextualiser et se souvenir
A l'origine de ces plaques, il y a le combat de l'association bordelaise "Mémoires & Partages". Son fondateur Karfa Diallo se bat depuis plus de vingt ans pour que les noms de rues soient contextualisés. Cet essayiste franco-sénégalais se réjouit de voir enfin ces plaques posées. "C'est une victoire sur l'oubli", déclare-t-il en nous montrant la rue David Gradis et sa nouvelle plaque installée sur le mur de la première habitation.
On peut y lire ceci: "La firme David Gradis et Cie a armé deux cent vingt et un navires pour les colonies de 1718 à 1789 dont dix pour la traite des Noirs. La firme gérée par la même famille depuis l'origine se maintient jusqu'au XXè siècle. En 1724, David Gradis acheta près du cours de la Marne un terrain qui devint le premier cimetière juif de Bordeaux. C'est à ce titre et parce que ses descendants furent aussi des notables bordelais que son nom a été donné à cette rue".
Nous avons toujours œuvré pour que l'histoire ne soit pas effacée
"Ce rappel de l'histoire est essentiel", explique Karfa Diallo, car "l'oubli, c'est le second linceul des morts. La traite, l'esclavage des Noirs et le racisme ont été responsables de la mort de millions d'Africains, arrachés à l'Afrique, perdus dans l'océan Atlantique, confinés pendant des décennies dans les plantations en Amérique, écrasés comme le fut George Floyd. Que ceux qui sont coupables de ces crimes soient sanctionnés par une plaque qui rappelle les enseignements que nous devons tirer de ça".
Nous remontons la rue David Gradis, longue d'une centaine de mètres, et tombons dans la rue Paul Broca, du nom de ce médecin anatomiste bordelais du 19ème siècle, qui soutenait que les Noirs avaient une boîte crânienne plus allongée et un cerveau plus petit et en concluait, dans ses travaux, "que la conformation du nègre tend à se rapprocher à celle du singe". Des travaux contestés aujourd'hui. "Nous savons que Broca avait tout faux mais il y a encore une difficulté à réparer cela", explique Karfa Diallo en nous montrant que la plaque de la rue Paul Broca ne comporte aucune explication. Cela suscite bien sûr cette question chez guide: "On peut se demander pourquoi réparer l'oubli de celui qui a été coupable de la traite des noirs et de l'esclavage qui est David-Gradis, et pourquoi ne pas réparer l'oubli de celui qui a justifié scientifiquement le racisme?"
Les autres lieux de la ville où ont été apposées des plaques explicatives sont la rue Desse, le Passage Feger, la rue Gramont et la Place Mareilhac. Tous des noms de négriers.