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De sa ville natale à Kiev, Volodymyr Zelensky vu par ses proches : "Son défaut, c’est qu’il est trop charismatique"

Kryvyï Rih : la ville d un président de nouveau populaire

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Par Daniel Fontaine avec Quentin Warlop, Arkady Davydenko, Garry Wantiez, Dominique Vande Cappelle, envoyés spéciaux en Ukraine

Kryvyi Rih, dans le centre de l’Ukraine : une ville industrielle sur le déclin, entourée de hauts terrils des mines de fer. C’est ici, dans cette région plutôt russophone qu’est né Volodymyr Zelensky, il y a tout juste 45 ans. Il y a grandi, fait ses études de droit et ses premières armes comme humoriste.

"Nous, nous faisions des performances d’amateurs, mais lui jouait déjà comme un professionnel, avec toute son équipe." Andryi Chaikhan est devenu un ami de Volodymyr Zelensky durant leurs études à l’université de Kryvyi Rih, à partir de 1994. Après les cours, ils jouaient tous les deux dans les troupes de théâtre de l’université. "Ses qualités de leader étaient évidentes, se souvient-il. Sur la scène, il menait sa troupe. Dès le début, il a dirigé son équipe, alors que d’habitude ce sont les étudiants de dernière année qui dirigent."

Serviteur du peuple, un hasard ?

Les comédiens de l’université de Kryvyï Rih en 1996. A gauche, en rouge, Andryi Cheikan. A droite, en blanc, Volodymyr Zelensky.
Les comédiens de l’université de Kryvyï Rih en 1996. A gauche, en rouge, Andryi Cheikan. A droite, en blanc, Volodymyr Zelensky. © RTBF

C’est donc ici que se sont révélés les talents de comédien et de leader du futur président ukrainien. Andryi Chaikhan, lui, est resté à l’université de Kryvyi Rih. Il en est devenu le recteur.

"Beaucoup de gens perçoivent Zelensky comme un humoriste qui s’est lancé en politique. Mais avant tout, c’est un juriste, un meneur et un organisateur", souligne le recteur. Lorsque le jeune Zelensky est monté à Kiev pour y lancer ses spectacles, il n'y avait aucun contact privilégié. En quelques années, il devient pourtant une figure connue de la télévision, en Ukraine et en Russie. Volodymyr Zelensky tourne alors la fameuse série télévisée Serviteur du peuple, dans laquelle il incarne un professeur qui devient président un peu par hasard.

Un hasard, cette fiction prémonitoire ? Andryi Chaikhan ne le pense pas. "Il m’a suffi de regarder les premiers épisodes de la série pour comprendre que Zelensky et son équipe voulaient passer de la satire vers un engagement politique. L’idée principale de cette série, c’était le rêve des Ukrainiens qu’une personne ordinaire puisse devenir président, quelqu’un qui connaît leurs problèmes et qui est prêt à servir son peuple. Dans la série, cette idée utopique devient réelle. Elle préparait la population à ce que cela arrive." La série a été diffusée peu avant la campagne électorale. Il n’y a pas de hasard.

Derrière le comique, un juriste, un leader

Andryi Cheikan, recteur de l’université de Kryvyï Rih : "beaucoup de gens perçoivent Zelensky comme un humoriste qui s’est lancé en politique. Mais avant tout, c’est un juriste, un meneur et un organisateur."
Andryi Cheikan, recteur de l’université de Kryvyï Rih : "beaucoup de gens perçoivent Zelensky comme un humoriste qui s’est lancé en politique. Mais avant tout, c’est un juriste, un meneur et un organisateur." © Q. Warlop – RTBF

Juriste, leader, manager, communicateur hors pair : Volodymyr Zelensky connaît ses atouts pour se lancer en politique. Lorsqu’il remporte haut la main l’élection présidentielle, en avril 2019, la Russie contrôle déjà depuis cinq ans une partie du Donbass et la Crimée. Personne n’imagine alors une offensive russe à grande échelle sur le reste de l’Ukraine. "Pour nous qui connaissons bien le caractère de Volodymyr, c’était clair que l’on élisait une personne capable d’assurer une bonne gestion de la crise. On ne savait pas comment cela allait évoluer, mais on était sûr de sa capacité à gérer les événements", assure son ami de jeunesse.

Une transformation "inespérée"

Pourtant, Volodymyr Zelensky ne s’était pas profilé comme un candidat anti-russe. Au contraire, il prônait le dialogue avec Moscou pour résoudre la crise. "Il a connu une transformation profonde au moment de l’invasion russe", note Tetiana Ogarkova, universitaire et journaliste à Kiev.

"On le connaissait comme président plutôt populiste, sans expérience politique. Cette transformation fut inespérée, je dirais. Il était perçu comme le président de la paix et du compromis. En 2019, il avait dit : ‘Pour qu’il y ait la paix, il faut arrêter de tirer’. Je pense qu’il comprenait peu de choses de la réalité de ce conflit. Mais il apprend très vite. Après l’invasion, il a changé et il a fait preuve de courage. Il incarne désormais la résistance ukrainienne. Dans les sondages, la quasi-totalité des Ukrainiens le soutient aujourd’hui, mais avec des nuances. Certains dossiers qui ne sont pas d’actualité reviendront après la guerre, après la victoire, comme ceux de l’éducation, de la culture… Il y a pas mal de problèmes. Mais quand il y a la guerre, on n’exprime pas trop les critiques."

Tetiana Ogarkova: "Au départ, Zelensky comprenait peu de choses de la réalité de ce conflit. Mais il apprend très vite."

Ses talents de comédien et de leader, révélés à Kryvyi Rih, exercés ensuite sur les plateaux de télévision, sont désormais des armes qu’il manie dans son costume de chef de guerre. "Il trouve des mots très justes pour s’adresser aux partenaires occidentaux, aux sociétés européennes. Tous les jours, il fait aussi des vidéos pour les Ukrainiens. Et il trouve aussi les mots justes pour soutenir son peuple", confirme Tetiana Ogarkova. "Mais on ne peut pas dire que c’est Zelensky qui mène la résistance. Au contraire, il résiste, parce que le peuple le pousse à le faire. C’est lui qui suit le peuple et non l’inverse."

"Ses blagues ont presque disparu"

Cette mutation du comédien-président en dirigeant intraitable, Fedir Venislavskyi en a été le témoin aux premières loges. Volodymyr Zelensky a choisi en 2019 cet élu pour être son représentant au parlement. Il préside aussi la commission parlementaire de la Sécurité nationale.

"Au début, le passé de comédien du président déteignait sur son comportement. Pendant les réunions, il y avait une atmosphère détendue. Le président pouvait blaguer, c’était très informel. Mais il est devenu plus sérieux environ deux mois avant l’invasion. Nos renseignements nous donnaient alors des signaux que la situation s’aggravait et que le risque d’invasion était élevé."

Fedir Venislavskyi : "Volodymyr Zelensky est aujourd’hui un homme très fatigué par la guerre."
Fedir Venislavskyi : "Volodymyr Zelensky est aujourd’hui un homme très fatigué par la guerre." © D. Fontaine – RTBF

Le bureau de Fedir Venislavskyi se trouve au cœur du quartier présidentiel, une zone ultra-sécurisée de Kiev, juste à côté de la présidence. Ici, après le 24 février 2022, des sacs de sable et des mitrailleuses ont dû protéger chaque bâtiment. Des commandos russes étaient infiltrés dans la ville, avec pour mission de localiser et éliminer le président ukrainien.

"À ce moment, il a commencé à être plus résolu, plus concentré et plus sérieux. Dès le début de la guerre, franchement, ses blagues ont presque disparu. Depuis lors, il ne dort plus que quelques heures par nuit. Parfois, il ne dort pas du tout. Tout le monde peut voir à la télévision comment son apparence a changé. C’est aujourd’hui un homme très fatigué par la guerre. Mais l’énergie du président illumine des millions ou des milliards de personnes."

La démocratie n’existe plus. On me dit que c’est normal en temps de guerre

Cette énergie, ce rayonnement de Volodymyr Zelensky peut aussi, à la longue, irriter. A Kryvyi Rih, l’ami de jeunesse du président reconnaît que sa personnalité peut se révéler envahissante. "Il est trop charismatique, sourit Andryi Chaikhan. Certains trouvent qu’il attire trop l’attention sur lui, mais c’est normal quand quelqu’un a un tel talent. On peut dire aussi qu’il a un caractère difficile. Ce caractère le rend capable de prendre des décisions impopulaires. Évidemment, certains n’aiment pas ça, notamment ceux qui en sont la cible."

Même dans sa ville natale, de simples citoyens n’apprécient pas trop son omniprésence sur la scène politique ukrainienne, ni le matraquage de l’information officielle. Igor est un ancien voisin de la famille Zelensky, dans une cité sociale de Kryvyi Rih. Nous le croisons sur le parking de la patinoire, le nez sous le capot de sa voiture. "Ça ne me plaît pas qu’au parlement on ait un parti majoritaire. Ça ne me plaît pas que l’on ait un Télé-Marathon : les autres avis sont noyés dans ce journal officiel. On ne peut pas entendre un point de vue différent. La démocratie n’existe plus. On me dit que c’est normal en temps de guerre. Mais pour moi, ce n’est pas normal."

Une réélection improbable

Volodymyr Zelensky a brillamment réussi à incarner la résistance ukrainienne à l’agression russe, mais sera-t-il toujours un grand dirigeant en temps de paix ?

Tetiana Ogarkova en doute : "Je pense que Zelensky va avoir du mal à se faire réélire après la guerre. Je pense même qu’il perdra les élections d’après-guerre, parce que toutes les critiques qui sont tues aujourd’hui vont ressortir. Il n’a pas beaucoup de chances de rester au pouvoir."

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