Dans une semaine, la situation dans les hôpitaux de certaines provinces pourrait s’aggraver au point de dépasser les chiffres de la première vague de coronavirus

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Par Adeline Louvigny

Lors du symposium annuel du Laboratoire universitaire de l’ULB, consacré cette année au COVID-19, l’épidémiologiste Marius Gilbert a réalisé une intervention sur l’analyse et la communication de données épidémiologiques, à des fins de décisions politiques. Une réflexion, en tant que scientifique, sur ce que la communauté scientifique connaît, comprend, mais qui n’est pas évident à appréhender pour le citoyen, le journaliste, le politicien, en temps d’épidémie mondiale.

Parmi les points mis en avant, celui de la compréhension de l’évolution de l’épidémie dans un futur proche, à partir d’extrapolation depuis les chiffres actuels, donc d’estimations de situations futures à partir de la situation actuelle. Et les estimations de l’épidémiologiste de l’ULB sont assez alarmantes concernant les hospitalisations : d’ici 14 jours, l’incidence hospitalière en Belgique dépasserait celle atteinte lors de la première vague. Pour certaines provinces, comme le Hainaut et Liège, cela prendrait à peine 7 jours : l’incidence hospitalière par province dépasserait l’incidence hospitalière nationale du pic de la première vague.

Même si les hôpitaux sont mieux préparés que lors de la première vague, cette situation mettrait tout de même les services de soin en grande difficulté.


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Avant d’analyser un peu plus ces estimations, il est important d’introduire des concepts scientifiques pour bien comprendre l’évolution d’une épidémie, ce qui est développé dans le paragraphe suivant. Si vous souhaitez consulter immédiatement les chiffres et conclusions, suivez ce lien.

Vitesse et accélération d’une épidémie

Marius Gilbert a rappelé un concept important en épidémiologie : la différence entre ce qu’il appelle la vitesse d’une épidémie, et son accélération.

  • La vitesse d’une épidémie, c’est le nombre de cas (ou de décès, hospitalisations, etc.) par unité de temps, dans le cas du covid, le nombre de contaminations/hospitalisations/décès par jour.
  • L’accélération, c’est la croissance du nombre de cas par jour, donc le nombre de cas que l’on a en plus, ou en moins, par rapport au jour précédent. Sur un graphe qui reprend le nombre de cas par unité de temps, l’accélération est tout simplement la pente que va prendre la courbe : plus elle sera raide, plus l’accélération (ou décélération) sera forte.

Toutes les mesures non-médicales prises pour lutter contre le coronavirus, telles que le port du masque, la distanciation sociale, la fermeture de certains secteurs n’agissent directement que sur l’accélération de l’épidémie, soit son augmentation de jour en jour. Avec cette conséquence : peu importe la vitesse de l’épidémie, c’est-à-dire le nombre de cas que l’on observe chaque jour, les mesures à mettre en place pour gérer son accélération sont les mêmes.

Concrètement, cela veut dire, qu’il y ait 30 cas ou 1000 cas quotidiens, tant qu’il n’y aura pas de vaccins et de traitements efficaces contre le covid-19, les mesures de prévention devront toujours êtres présentes pour empêcher l’épidémie de reprendre, donc l’accélération d’augmenter. Maintenir une vitesse stable, ou décroissante (donc une accélération quasi nulle, ou négative) signifie continuer à appliquer les mesures de prévention. On pourrait prendre la métaphore d’un feu de camp en forêt : qu’il soit à l’état de braise rougeoyante, ou avec des flammes bien vives, il faut toujours une certaine vigilance pour empêcher le feu de se répandre, tant que l’on n’a pas d’eau pour l’éteindre complètement.

Le ratio journalier comme indicateur de l’accélération

Pour évaluer cette accélération, plusieurs indicateurs sont possibles. Le plus connu est le taux de reproduction Rt, soit le nombre de personnes qu’une personne positive va contaminer. Si le concept est facile à comprendre, il est très difficile à calculer, et dépend du modèle et des paramètres utilisés. Par exemple, Sciensano se base sur les hospitalisations pour calculer le Rt national, mais pour les provinces, calcule un Rt basé sur les contaminations. C’est donc un indicateur difficilement comparable.


►►► L'évolution en temps réel de l'épidémie de coronavirus en Belgique en chiffres et graphiques


Un autre indicateur plus facile à appréhender et calculer, pointe Marius Gilbert, est le ratio journalier. C’est un nombre, qui multiplié au nombre de cas/hospitalisations/décès quotidiens, va permettre d’estimer le chiffre du lendemain, et des jours d’après. L’épidémiologiste estime ce facteur de multiplication depuis l’accélération observée durant les 14 derniers jours (en faisant une régression linéaire depuis les données sous forme logarithmique). Et au vu des chiffres actuels, cette méthode permet d’estimer quand on arrivera à une situation similaire à la première vague (avec une certaine incertitude, vu que l’accélération peut évoluer entre-temps).

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Hainaut et Liège, là où les hospitalisations augmenteraient le plus rapidement

Concernant les contaminations, une comparaison avec la première vague est impossible, vu les différences entre les deux situations : les capacités de testing et de tracing sont bien plus importantes, les cas peu symptomatiques ou asymptomatiques peuvent être testés (contrairement au printemps où seuls les cas les plus sévères étaient comptabilisés), et conséquence des capacités de testing améliorées, le taux de positivité est lui aussi très différent.

Afin de pouvoir se comparer plus efficacement à la vague de mars/avril, il faut donc plutôt se pencher sur les hospitalisations. Marius Gilbert a ainsi estimé l’évolution de l’incidence hospitalière, donc le nombre d’admissions en hôpital sur 100.000 habitants, pour la Belgique et ses provinces, et les compare à l’incidence hospitalière nationale du pic de mars/avril, dans 7 et 14 jours. Bien évidemment, plus on va loin dans le futur, plus ces estimations sont incertaines.

Si l’accélération, donc le ratio quotidien, reste le même qu’actuellement, dans deux semaines, en comptant à partir du 16 octobre (date à laquelle le ratio journalier a été calculé), l’incidence hospitalière du pays atteindrait 50 pour 100.000 habitants, donc 5500 hospitalisations pour les 11 millions d’habitants de la Belgique. On arriverait à un rythme de 785 nouvelles hospitalisations par jour. Soit bien au-delà des chiffres de la première vague.

Pour les provinces du Hainaut et de Liège, on dépasserait même ce seuil symbolique avant 7 jours.

Les provinces de Namur, du Luxembourg, et de Flandre Occidentale passeraient probablement aussi ce seuil en 7 jours, avec une certaine incertitude. Et il n’y aurait que le Brabant Flamand, la province d’Anvers, et le Limbourg qui seraient toujours en dessous du seuil de la première vague au bout de 14 jours.


Comment comprendre ces graphiques ?

  • Les barres grises à gauche sont l’incidence hospitalière hebdomadaire, au 15 octobre 2020 pour les estimations sur 14 jours, au 16 octobre pour les estimations sur 7 jours.
  • Les carrés noirs sont l’estimation de la situation à 7 et 14 jours, selon le graphique. Les barres horizontales autour de ce carré noir représentent la variance autour de cette estimation, soit l’incertitude autour de l’estimation. Plus la ligne horizontale est grande, plus l’incertitude est grande.
  • La ligne pointillée verticale est l’incidence hospitalière nationale lors du pic de la première vague.

Bien sûr, l’accélération est très susceptible d’évoluer endéans les 7 ou 14 jours, mais vu la forme actuelle des courbes des contaminations et d’hospitalisations, on ne se dirige pas encore vers une stabilisation ou une diminution de celle-ci. On peut donc fortement craindre que l’on dépassera très probablement le pic d’hospitalisations de la première vague pour une bonne partie du pays, dans les 15 prochains jours.

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Baromètre de l'épidémie: JT du 16/10/2020

Le Mode d'emploi : le baromètre de l'épidémie

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