Bruxelles

Dans les souliers d'un cireur de chaussures : "Mon plaisir, c'est de faire plaisir au client"

Marcello Faraggi, cireur de chaussures de profession.

© Sébastien Cools

La scène d'un autre temps semble tirée d'un film en noir et blanc. Hall d'entrée d'un hôtel cinq-étoiles bruxellois, après le petit déjeuner. À quelques mètres de la réception, les clients passent et s'arrêtent à tour de rôle. Ils prennent place sur un trône surélevé, face auquel un quinquagénaire poivre et sel est assis sur un tabouret à roulettes. Marcello Faraggi, puisque c'est de lui qu'il s'agit, est cireur de chaussures de profession et lustre le cuir aux pieds de ces messieurs de passage. D'après notre homme, il serait le seul cireur professionnel à temps plein en Belgique.

Sur le siège royal, un septuagénaire aux chaussures hors de prix échange en espagnol avec son petit-fils en baskets de sport criardes qui l'attend. Malgré la prononciation toute hispanique, Marcello saisit "Sablon" dans la discussion. Rebondissant en anglais, le cireur sympathique se transforme en guide touristique : "Tant que vous êtes là-bas, je vous recommande le square du Petit Sablon, son jardin et ses statues de métiers" d'autrefois (un comble). Il n'en fallait pas plus pour engager une conversation cordiale avec son client.

Cireur, un métier de contact.
Cireur, un métier de contact. © Sébastien Cools

Au service du bien-être

Car c'est surtout ça que Marcello Faraggi apprécie dans son nouveau métier : le contact, la communication. Polyglotte, il parle "quatre langues et demie" : français, italien, anglais, allemand, un peu néerlandais et "deux mots en grec". Savoir manier les langues est un des atouts dans le métier, outre bien présenter. Ce mercredi-là au Stanhope Hotel, le cireur porte un gilet au nom de son entreprise et un nœud papillon aux couleurs du drapeau italien. Pas avare en plaisanteries, il les assortit d'un grand sourire et d'un regard malicieux. "Mon plaisir, c'est de faire plaisir au client", enchérit notre interlocuteur, insistant sur le bien-être de la chaussure et de la personne.

La présentation et le sourire ont leur importance.
La présentation et le sourire ont leur importance. © Sébastien Cools

Sur un tricycle

Autrefois dans le documentaire télévisé, Marcello Faraggi, journaliste pendant plus de trente ans, a senti le besoin de reconversion avec l'avancée du digital et a découvert le métier de cireur il y a sept ans. "On parle toujours d'un métier ancien, du passé. Je voulais savoir comment il se pratique aujourd'hui. Je me suis donc rendu dans différents pays, pour voir comment les confrères travaillent à un haut niveau", nous a-t-il retracé, citant Londres, Paris ou Francfort. L'activité ne s'exerce plus que rarement dans la rue. Actuellement, Marcello s'installe dans trois luxueux hôtels de la capitale et prend part à des événements commerciaux ou d'entreprises, parfois à l'étranger, utilisant différents fauteuils, voire un tricycle. Des patrons -de cabinets d'avocats, par exemple- font aussi appel à lui pour leur personnel. Les employés travaillent alors un moment dans les pantoufles fournies, avant de récupérer leurs chaussures après son intervention dans son coin. Pour l'instant, il cherche deux autres points de chute, des endroits avec du passage, comme un centre commercial. Par le passé, on l'a vu à l'aéroport de Zaventem, jusqu'à l'attentat, mais la commission demandée y était trop conséquente, et au marché de la place du Luxembourg, à Ixelles, où le défi de la météo pluvieuse était difficilement conciliable avec un emplacement payant.

À vélo cargo

Indépendant, Marcello ne cache pas des revenus peu élevés et donc l'importance des pourboires. À Bruxelles, il abandonne sa camionnette pour circuler à vélo cargo, équipé d'une remorque. Ses brosses et produits haut de gamme, ainsi que ses cartes à jouer -pour protéger les chaussettes- et son briquet -pour brûler les fils qui dépassent- tiennent en effet dans une mallette, qu'il emporte partout. Pour les cas où une réparation est nécessaire, le cireur collabore avec un cordonnier bruxellois.

Brosses et produits tiennent dans une mallette.
Brosses et produits tiennent dans une mallette. © Sébastien Cools

Le roi pendant 5 minutes

Le cirage lui-même prend généralement cinq à dix minutes, en fonction du client. "Je peux faire cinq ou six clients par heure, mais ce n'est pas vraiment le but. Chez moi, vous êtes le roi. Pendant cinq minutes, vous êtes important. Certains aiment bien parler, d'autres sont sur leur portable, dans leur journal. Il faut respecter", expose Marcello. "Ce qui est très chouette, c'est quand vous voyez un client dans un hôtel, puis vous voyez le même client dans un autre hôtel, et qu'il s'en souvient. Ou les clients qui s'arrangent pour venir tel ou tel jour parce qu'ils savent que je suis là ce jour-là", s'enthousiasme le cireur. Certains deviennent des clients fidèles, et même des amis. "Ils me parlent de leur famille, ils me montrent leurs photos, ils m'envoient des photos de vacances", s'amuse-t-il.

Bientôt une femme dans ce secteur très masculin ?

Marcello Faraggi est cofondateur de l'European Shoe Shine Association (ESSA), l'association européenne des cireurs née il y a six ans, et propose depuis des formations pour devenir maître cireur. "J'en ai formé quelques-uns qui font ça en complémentaire, ou occasionnellement, quand je les appelle pour des événements. Et je viens d'avoir une candidature d'une dame, c'est très rare dans notre métier", glisse-t-il.

Original et inventif

Au-delà de perpétuer le savoir-faire et de soutenir ses membres, la petite asbl est aussi à l'origine du premier concours européen de maîtres cireurs, organisé avant la pandémie dans les Galeries Royales Saint-Hubert, et dont une deuxième édition est en projet pour le début de l'année prochaine, à nouveau à Bruxelles. À l'arrêt pendant le Covid, Marcello et l'ESSA ont alors lancé le cirage "en ligne" : "On s'est dit 'Peut-être qu'il y a des gens qui ont du temps, qui veulent s'occuper de leurs chaussures, connaître quelques techniques supplémentaires'", le concept étant de prodiguer des conseils d'entretien à distance, en appel vidéo, via messagerie ou sur les réseaux sociaux. "Ce qui marche encore mieux maintenant, ce sont les petites formations de quatre heures pour les amateurs, dans mon atelier", ajoute le professionnel. Pas à court d'idées, le cireur de chaussures est aussi derrière des ateliers "express" dédiés au nettoyage des sneakers et un projet de reconditionnement des chaussures de sécurité.

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Loin d'en avoir plein les bottes

Ne souffrant pas du dos et en forme grâce à ses déplacements à vélo, Marcello Faraggi ne se voit pas ranger les brosses de sitôt : "Faire ça jusqu'à la retraite, je n'y réfléchis pas. J'aime bien mon travail. J'aime encore plus être en contact avec les clients, et pas juste être dans l'atelier. Si tout va bien, je vais continuer."

Pendant quelques minutes, sur le trône, le client est le roi.
Pendant quelques minutes, sur le trône, le client est le roi. © Sébastien Cools

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