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Dans le rétro : Stalingrad, symbole de la victoire sur le nazisme et 80 ans plus tard, outil de propagande russe

Images d’illustration

© Getty

2 février 1943. Stalingrad n’est plus qu’un tas de ruines. Les derniers combattants Allemands rendent les armes.  La ville et sa région ont vécu l’enfer sur terre près de 8 mois. Une bataille titanesque, une lutte à mort entre deux géants. 

Le maréchal Paulus se rend aux Soviétiques, février 1943

Des décombres glacés de ce qu'était " la ville de Staline " avait surgi une silhouette élancée, ce 31 janvier. L’homme avait été fait maréchal par Hitler deux jours plus tôt, ce dernier espérant que cela le pousserait à ne pas se rendre. Mais il décide de jeter le gant. Freidrich Paulus, visage émacié, capitule. Et marche vers l’ennemi. Les Russes n’en croient pas leurs yeux. Stupéfaits, ils lui demandent ses papiers pour être bien sûrs qu’ils ne rêvent pas.

Le chef de la VIe armée capitule. Avec lui, 100.000 soldats, coincés dans cette poche mortelle. Une armée en lambeaux. L’Union soviétique a gagné la partie. Joukov, aux commandes des opérations russes, exulte.

Il le sait, c’est le début de la fin pour les nazis. Hitler n’aura pas le pétrole du Caucase. Le Reich reculera sous les coups de boutoirs d’une armée rouge ragaillardie.

Stalingrad a englouti dans sa bataille près de 500.000 vies soviétiques (et en blessant 650.000), et tua ou blessa 400.000 Allemands ou soldats des pays alliés de l’Axe (Roumains, Italiens, Hongrois, Croates…). Un déluge de feu, une hécatombe mortifère implacable. La bataille la plus meurtière de l'Histoire.

La ville était un symbole fort (à cause de son nom mais aussi de son emplacement stratégique sur la Volga) et devait être défendue à tout prix. Hitler s'est acharné. Staline a résisté.

Bombe sur Stalingrad, au bord de la Volga
Bombe sur Stalingrad, au bord de la Volga © Getty

Quand les corps ressurgissent

A Volgograd – le nom pris par la ville après la " déstalinisation " -, le souvenir du carnage est toujours bien présent. De gigantesques statues ponctuent le paysage de la ville reconstruite.

Du haut de ses 52 mètres, la gigantesque statue de la Mère-Patrie veille sur la ville et ses ombres tombées au combat. Au bout de l’" allée des héros ", un obélisque trône vaillamment. Sur celui-ci sont gravés les noms des Soviétiques médaillés après la bataille. Au centre de la ville, un musée panoramique revient sur son histoire. Un seul bâtiment, le moulin, toutes de briques rouges vêtu, a survécu aux combats.

Statue de la Mère Patrie, sur le Mamaïev
Statue de la Mère Patrie, sur le Mamaïev © Getty

Six fois par an, la cité industrielle se " rebaptise " Stalingrad, notamment le 9 mai, date de la victoire russe sur le IIIe Reich, et le 2 février, l’anniversaire de la fin de la bataille.

80 ans après la boucherie, la terre n’en a pas fini de rejeter des cadavres. En 2022, plus de 1200 corps de soldats russes ont été retrouvés. Des Allemands aussi sortent régulièrement des steppes qui entourent Volgograd. Le choc est toujours bien présent. Des habitants fouillent encore la terre retrouver les squelettes de combattants, et les enterrer dignement.

Enterrement d’un corps retrouvé à Rossoshka, près de Volgograd, le 1er février 2023
Enterrement d’un corps retrouvé à Rossoshka, près de Volgograd, le 1er février 2023 © AFP

Symbole et propagande

Dans les rues de la " ville de la Volga ", en février 2023, les " Z " et les " V " font aussi partie du paysage. Symboles de l " opération spéciale " voulue par Vladimir Poutine, ils sont censés galvaniser les troupes, comme il y a 80 ans. Le Kremlin se sert de cet héritage pour légitimer son invasion de l’Ukraine. Un parallèle entre les deux luttes qui semble naturel pour Vladimir Poutine, qui répète à l’envi sa volonté de "dénazifier" le pays voisin"Les défenseurs de Stalingrad nous ont laissé un grand héritage : l’amour de la Patrie, la volonté de défendre ses intérêts et son indépendance et la capacité d’être forts face à toutes les épreuves", avait déclaré le président russe en 2018, en marge des célébrations des 75 ans de la bataille.

Gardes au monument des héros de la 2e guerre mondiale à Volgograd, en 2010
Parade le 24 juin 2020 à Volgograd
Statues monumentales à Volgograd

Ce jeudi auront lieu d’énormes commémorations dans la cité meurtrie des bords de la Volga. Une démonstration de puissance qui se sert, plus que jamais, du souvenir de la terrible bataille. Des citoyens russes, qui, en grand nombre, reprennent le lien entre deuxième guerre mondiale et guerre en Ukraine voulue par le Kremlin. "À l’époque, l’Allemagne nazie et ses alliés avaient mésestimé les spécificités de l’Union soviétique, sa puissance et le patriotisme de son peuple. (Et) aujourd’hui, l’Occident espère que la Russie soit faible" explique ainsi un habitant à l’agence France presse, ajoutant "Il est évident que nous combattons le fascisme".

Russie : le président Poutine dépose une gerbe au memorial de la Flamme éternelle à l'occasion des 80 ans de la bataille de Stalingrad (Volgograd, 02/02/23)

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Volgograd, 9 mai 2021
Volgograd, 9 mai 2021 © Tous droits réservés

Retour sur cette bataille démesurée

Tournant décisif dans l’histoire du deuxième conflit mondial, Stalingrad en fut un des points d’orgue. Revenons en quelques mots sur les événements…

Hilter et von Manstein font des plans pour le front est, printemps 42

Au printemps 1941, Hitler déclenche l’opération " Barbarossa ". Ses troupes envahissent l’URSS. L’objectif est maintenant de faire plier Moscou, ce qui, pour le chancelier allemand, fera aussi rendre les armes aux Britanniques. L’avance va tout d’abord être fulgurante, l’armée allemande progressant à un rythme effréné et capturant tout sur son passage. Divisée en trois, elle se heurte cependant au nord à Léningrad (Saint-Pétersbourg), dont elle fait le siège et à Moscou, au centre du dispositif, qu’elle n’arrive pas à prendre. L’hiver glacial de 41-42 montre la résistance des Russes et les troupes du Reich sont bien obligées de stopper leur avance pour un temps. Après la stupéfaction, Staline et les Soviétiques se remobilisent. Ils ne se laisseront pas faire.

Au printemps 1942, Berlin décide de réattaquer. On passera outre les murs de Moscou pour forcer la main des Russes vers le sud. Acquérir les précieux champs pétrolifères d’Azerbaïdjan et atteindre la mer Caspienne. Ce sera l’opération Bleue. Les forces seront (erreur stratégique pour certains) à nouveau divisées pour atteindre les objectifs. Tandis qu’une partie de l’armée poursuit tambour battant la campagne vers le sud, des troupes, dont la puissante VIe armée, vont s’occuper des rives de la Volga. Priver l’URSS du gigantesque fleuve (ainsi que le Don, assez proche), c’est porter un coup dur à son économie et son industrie de guerre.

Bataille de Stalingrad, armée rouge
Des soldats nazis entrent dans une usine détruite, à Stalingrad, en 42

Stalingrad, " ville de Staline " a été conçue comme une vitrine du communisme. Ville-jardin, ouvrière et moderne, nœud de communication, elle abrite aussi de puissantes industries, comme le complexe métallurgique Octobre Rouge ou encore la fameuse usine de tracteurs. La détenir portera un coup terrible aux Soviétiques. A l’été 1942, Stalingrad subit d’intenses bombardements. Les troupes emmenées par Paulus déferlent ensuite sur la cité. L’armée allemande, la Wehrmarcht, va bientôt contrôler 90% de la cité. Sur ses flancs, des soldats alliés de l’Allemagne, comme des Roumains ou des Hongrois, moins bien pourvus en matériel et en fournitures. Stalingrad est presque à genoux, mais quelques têtes de ponts subsistent. Malgré l’acharnement nazi et son contrôle des airs, malgré les rafales meurtrières des Stukas décimant les soldats de l’armée rouge traversant la Volga, les Soviétiques vont s’accrocher. L’ordre de Staline sera bientôt clair : interdiction de reculer.

Nikita Khrouchtchev, Andrej Eremenko et d'autres officiers étudiant la stratégie militaire pendant le siège de Stalingrad.

Pour le mettre en œuvre, le dictateur communiste va envoyer sur le front Nikita Khrouchtchev, chargé de mener à bien la bataille avec le maréchal Vasilii Tchouïkov. La boucherie est démentielle, mais l’armée rouge va résister et petit à petit, reprendre des bouts de la ville. Et y implanter des noyaux de résistance. La bataille va à l’automne prendre le visage d’une gigantesque guérilla urbaine. Chaque immeuble, chaque pièce, chaque pouce de terrain est pris sur l’adversaire avec acharnement. Les snipers sont nombreux et la mort peu survenir à chaque instant.

Les Allemands s’épuisent, et le champ de ruines devient le point de fixation des troupes hitlériennes. Les Soviétiques eux, se préparent à une vaste contre-offensive. Ce sera l’opération Uranus. D’importantes troupes sont rassemblées à une centaine de kilomètres au nord et au sud de la ville. L’objectif : prendre l’armée allemande en tenaille. L’opération commence le 19 novembre. L’armée rouge défait les armées alliées des nazis et quatre jours plus tard, la jonction est faite, à 80 km à l’ouest de Stalingrad. La VIe armée est encerclée. Prise au piège.

Char russe au centre de Stalingrad, en janvier 1943.
Bataille de Stalingrad, l’hiver

L’étau russe va alors peu à peu se resserrer. Le froid et les privations de nourriture affaiblir les centaines de milliers de soldats Allemands présents dans la poche. La tentative de contre-offensive pour désenclaver l’armée va échouer. Le pont aérien mis en place, lui, ne sera pas très efficace. Les combats vont continuer dans la poche, jusqu’au corps à corps et à l’inexorable capitulation. Nous sommes le 2 février 1943.

A écouter aussi : 1000 jours dans l'Histoire -la bataille de Stalingrad 

Libération de Stalingrad, 1943
Libération de Stalingrad, 1943 © Tous droits réservés
Volgograd, en 2020

Le coup porté par l’armée rouge aux nazis est énorme. Le carnage de Stalingrad a une onde de choc phénoménale dans ce monde en guerre. Hitler perd l’offensive. Les troupes allemandes vont alors reculer, essayant de se replier sur des positions défensives. Le Caucase et son or noir sont perdus, on revient aux positions du printemps 42. Malgré quelques victoires, dont la deuxième bataille de Kharkov (Kharkiv, en Ukraine actuelle), la campagne allemande de 1943 accouchera en été de la dantesque bataille de Koursk – la plus grande bataille de chars de l’histoire-. Après les troupes du Reich ne feront quasiment plus que reculer, acculées.

Des prisonniers faits par les Russes lors de la capitulation allemande, peu verront fût-ce que l’été 43. On estime que sur les 260.000 soldats de la VIe armée, 91.000 furent faits prisonniers début février. Et sur ce nombre, environ 6000 survécurent aux mois suivants. Privation de nourriture, mauvais traitements et marches forcées sous des températures polaires eurent raison d’eux.

Staline reçoit de Churchill "l’épée de Stalingrad", en remerciement du peuple russe
Staline reçoit de Churchill "l’épée de Stalingrad", en remerciement du peuple russe © Tous droits réservés

L'ombre de Staline...

Ce mercredi, à la veille des commémorations, où devrait être présent Vladimir Poutine, un buste de Staline a été inauguré à Volgograd. Les statues du tyran soviétique sont rares en Russie. Après sa mort, une gigantesque opération de "déstalinisation" menée par Nikita Khroutchev, a mis à terre la plupart d’entre elles. Fini le culte de la personnalité délirant du chef décédé, et la lumière d’être faite sur ses innombrables crimes et autres purges

Volgograd : La Russie inaugure une statue de Staline à la veille de la commémoration de la bataille de Stalingrad (01/02/2023)

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Image de Staline à Volgograd, le 24 janvier 2023
Image de Staline à Volgograd, le 24 janvier 2023 © AFP

... la figure de Poutine

Bien des années plus tard, revoilà l’ombre de Staline qui pèse sur la Russie de Vladimir Poutine. Même s’il existe a des ressemblances entre les deux autocrates, Poutine, qui battra l’an prochain le "record" du nombre d’années au pouvoir de son prédécesseur (soit 24 ans) ne croit pas en la politique des nationalités. Mais depuis quelques années, le leader russe entend réhabiliter la figure du vainqueur de la deuxième guerre mondiale. Il loue son autoritarisme, traite, comme lui, ses collaborateurs avec mépris, entend châtier les "ennemis de l’intérieur", considère l’Occident comme un "ennemi extérieur"… Dans les manuels scolaires, la figure du Géorgien est revenue en force, la censure est revenue dans la vie médiatique, la figure d’un chef sans pitié et viril aussi…

Notre devoir sacré est d'empêcher les héritiers idéologiques de ceux qui ont été vaincus

Vladimir Poutine convoque l’héroïque bataille de Stalingrad et la figure de Staline pour exhorter ses troupes à une victoire. En qualifiant les Ukrainiens de "nazis", il tente de faire justifier sa guerre et, par un curieux exercice rhétorique, de faire revivre cette bataille décisive. Même si, en 1942, lors des événements de Stalingrad, les Russes étaient, contrairement à la situation actuelle, les résistants à l’invasion de leur pays. La blitzkrieg voulue par Hitler a, elle, échoué. Il semblerait qu’il en soit de même pour l’actuel maître du Kremlin, au regard de la tournure que prend son "opération spéciale" depuis les premiers jours de l’invasion de l’Ukraine…

Médaille russe retrouvée dans les champs entourant Volgograd
Médaille russe retrouvée dans les champs entourant Volgograd © AFP

Le Fin Mot

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