Sciences et Techno

Dans le rétro : il y a dix ans, le monde scientifique mettait la main sur le "boson de Higgs", véritable Graal des physiciens

Les physiciens François Englert et Peter Higgs, en 2013, image du CERN près de Genève et images d’illustration.

© Getty/AFP/BELGA

Par Kevin Dero

4 juillet 2012. A Genève, c’est l’effervescence. Le CERN, acronyme de Conseil Européen pour la Recherche Nucléaire, fait une annonce percutante. Fête nationale américaine et célébration pour la communauté scientifique. Après des millions de vérifications, de contre-vérifications et de travail acharné, le boson BEH (pour Brout-Englert-Higgs), dit aussi simplement " de Higgs ", a été découvert.

Cerné par le CERN

Graphiques du signal révélant la découverte.

" Je pense que nous l’avons ! " dit le directeur du Cern. Les programmes expérimentaux ATLAS et CMS (des détecteurs de particules) et l’accélérateur de particules LHC ont fait des miracles. Un demi-million de spectateurs suivent l’annonce en direct.Ce minuscule signal que nous avions arraché à un fort bruit de fond témoignait hautement de la qualité du travail fourni par toute une communauté […] C’était le triomphe de tous ceux qui avaient pris part à cet effort pour réaliser ce qu’on croyait impossible, en apportant leurs compétences dans toutes les branches de la discipline " déclarent les porte-parole du centre de recherche européen.

Le boson découvert. Dans le cyclotron géant, les particules se sont fracassées et le boson a été démaqué. Il s’agit là ni plus ni moins d’un véritable big bang pour la science. Explications.

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Boson quoi ?

Le boson BEH. Il était activement recherché celui-là. Car il manquait cette pierre, cette particule, ce pivot, cet élément essentiel permettant de donner une masse à toute matière existante dans l’univers, pour pouvoir aller plus loin dans la compréhension du monde qui nous entoure.

L’origine de la matière, les forces qui nous gouvernent. C’est que 95% de la matière environnante nous est… inconnue. On l’appelle "la matière sombre" ou encore "l’énergie noire". Elle nous est secrète notamment car on ne connaît pas la masse des particules qui la composent.

La métaphore du "champ de neige"

Pour mieux comprendre de quoi il s’agit, nous avions repris la comparaison de l’étendue neigeuse. Dans un article édifiant (que nous vous invitons à relire ici), nous citions le physicien John Ellis. "Imaginons que tout l’univers est rempli d’un champ de neige parfaitement identique en tout point de l’univers". Notre fameux boson, dans son "champ de Higgs", serait tel le flocon de neige qui rend visible un champ de neige.

" Avec des skis, vous traversez "le champ de Higgs" très rapidement. Telle une particule qui n’a pas de masse et se propage à la vitesse de la lumière comme un photon. Le photon n’interagit pas avec le "champ de Higgs". Il n’a donc pas de masse. Si l’on se déplace avec des raquettes, on s’enfoncera légèrement dans la neige, on se déplacera plus lentement qu’un skieur. C’est comme une particule qui interagit avec le champ et acquiert une masse et va dès lors plus lentement que les particules qui se déplacent "à ski", autrement dit, celles qui n’ont pas de masse".

Et celui-ci de poursuivre son voyage : "Enfin, avec de simples chaussures, on s’enfonce beaucoup plus profondément. Donc on interagit beaucoup avec la couche de neige. Dès lors, on acquiert une masse plus importante. On se déplace en conséquence encore plus lentement que les particules en raquettes et a fortiori que celles en ski ". Le boson de Higgs, ici comparé à des flocons de neige est "donc d’une particule élémentaire dont l’interaction avec les autres particules détermine la masse "expliquait le physicien.

C'est quoi le boson de Higgs? "Un champ de neige"

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Pièce maîtresse

Bref, le boson orchestrerait tout l’univers. Pour la trouver, cette " particule de Dieu " -c’est aussi son autre petit nom —, et de là lever cette lourde pierre d’achoppement à la bonne tenue des recherches futures, il va falloir débusquer des particules élémentaires. Qui existaient au moment du big bang et qui ont depuis disparu. Nous allons y venir.

Notez que le boson représentait une clé de voûte sur laquelle une grande partie de la physique contemporaine d’avant 2014 se fixait, émettait des hypothèses, sans en avoir néanmoins la certitude absolue, faute de l’avoir vue. Ne pas le trouver aurait plongé le monde de la physique dans une profonde remise en question.

Le roi Philippe et François Englert en visite au CERN le 21 mai 2014
Pièce commémorative de Brout et Englert, de 5 euros, en 2014

Wanted since 1964

Retour dans le temps. Nous sommes en 1961. François Englert et son ami – et mentor —, l’Américain Robert Brout (décédé en 2011 à Linkebeek) commencent des recherches en physique des particules. Ils émettent l’hypothèse de l’existence de ce fameux boson. Commencés aux USA, ils poursuivront leurs travaux en Belgique. Et donc dès 1961, " Nous avons écrit la formule de masse qui est toujours la bonne. Mais nous ne voulions pas la publier. Et je suis d’ailleurs très content qu’on ne l’ait pas fait " dira notre prix Nobel de physique dans une interview de 2013.

Parallèlement, un autre physicien, de l’autre-côté de la Manche, a la même intuition. Cet homme, c’est Peter Higgs. En 1964, les trois scientifiques publieront leurs travaux sur le même thème. Ils ont l’idée, donc, qu’une particule serait la clé qui permettrait de comprendre beaucoup mieux toutes les autres. Mais faut-il encore la trouver.

Higgs, Englert et Rolf Heuer, le directeur du CERN recevant le prix du Prince des Asturies en Espagne en 2013.
Higgs, Englert et Rolf Heuer, le directeur du CERN recevant le prix du Prince des Asturies en Espagne en 2013. © Tous droits réservés

La traque

Et comment mettre la main sur cette fugace "particule de Dieu" ? Ni plus ni moins qu’en revenant... au début du monde. Au tout début. L’Homme va créer des machines pour cela. Et c’est sur la frontière franco-suisse que cela va se passer. Au CERN. Là, il y a, à 100 mètres sur la surface, un énorme cyclotron. Le LHC (grand collisionneur d’hadrons). Le plus grand et le plus puissant du monde. Un anneau d'une circonférence de 27 kilomètres. On y fait tourner à une vitesse folle des particules pour qu’elles entrent en collision entre elles. Des chocs à la vitesse de la lumière grâce à des milliers d'aimants supraconducteurs. 

François Englert, professeur émérite à L'ULB, lors de la cérémonie de remise du Nobel de Physique

Il y a dix ans jour pour jour – une poussière dans l’Histoire-, le boson est devenu réalité. L’année suivante, les trois compères prémonitoires reçoivent le prix Nobel de Physique (Robert Brout l’aura à titre posthume). François Englert, premier Nobel dans cette discipline de Belgique et l’ULB, sont sur le toit du monde des sciences.

François Englert et le roi Albert II au château de Laeken, 17 octobre 2012
Le secrétaire d’Etat à la Recherche scientifique Philippe Courard et un François Englert facétieux à l’atomium le 28 avril 2014.
Peter Higgs lors d’une conférence de presse à l’Université d’Edimbourg le 11 octobre 2013.
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Physique de l'emploi

Ce fameux boson ("fichue particule !", diront certains), dont on ne connaît pas encore la masse, ouvre un merveilleux champ de recherche pour tous les physiciens. La découverte, pièce manquante du "modèle standard" en physique, celui qui décrit toutes les règles fondamentales de la physique quantique, ouvre le champ des possibles. Elle va dès lors permettre d’expliquer des phénomènes comme les trous noirs, l’antimatière, les univers parallèles ou même la cinquième dimension. Après deux ans de travaux, l’accélérateur de particules reprendra du service en 2015.

 

Sujet JT de 2015

Le CERN redémarre l'accelérateur de particules

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Infini et boson W

Depuis, les chercheurs sont néanmoins toujours en proie à des zones d’ombre et de nombreuses questions sur le fonctionnement de l’univers, comme le souligne le Huffington Post. On estime que 30 fois plus de bosons de Higgs ont été découverts depuis dix ans.

Le LHC du CERN entame sa troisième phase de recherches. En continu pour environ quatre ans. Des expérimentations sont toujours en cours, pour mieux comprendre notre boson, l’étudier, voir s’il peut se dupliquer… Il ne parvient toujours pas à rendre compte de la nature de la matière noire, à expliquer l’accélération de l’expansion de l’Univers (et son sort, aussi...), l’antimatière

Il est aussi question de cerner aussi le boson W., un autre nouveau venu, et dont la masse pourrait remettre en cause le "modèle standard" de physique quantique.

Boson l’avenir

La recherche fondamentale doit beaucoup à François Englert et ses acolytes. Le boson, qui fête les dix ans de sa découverte aujourd’hui et théorisé il y a une cinquantaine d’années, continue d’alimenter bien des débats, l’imagination sans limite et les travaux des physiciens et chercheurs de l’univers entier.

Le professeur Englert en octobre 2013 :

Le boson de Brout-Englert-Higgs expliqué par François Englert

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