Il y a bien sûr le risque que des données bancaires fuitent, mais ça, ce n’est pas nouveau. Axel Legay voit un autre danger, lié par exemple au comportement des joueurs dans un jeu en réalité virtuelle (VR). L’utilisateur se déplace dans l’univers fictif, interagit avec d’autres personnes bien réelles ou avec une intelligence artificielle… autant d’événements et de mouvements enregistrés par les capteurs de ses manettes et de son casque de réalité virtuelle.
Pour ce spécialiste, un joueur qui aurait tendance à foncer à l’attaque de ses ennemis virtuels pourrait présenter un profil intéressant pour une banque dans la vraie vie. "Si vous prenez beaucoup de risques, un banquier pourrait se servir de ça pour vous encourager à prendre un crédit avec un taux variable", imagine-t-il.
Les mouvements, des informations sensibles
Axel Legay poursuit : "La biométrie liée à l’avatar nous tracasse encore plus." Un article publié en 2018 par Jeremy Bailenson, chercheur à l’université de Stanford en 2018 affirmait en effet que "20 minutes passées dans une simulation en VR permet de récolter un peu moins de 2 millions de mouvements du corps". Ce qui faisait dire à Jeremy Bailenson que "les psychologues n’ont jamais eu accès à un jeu de données de cette ampleur en plusieurs décennies d’étude des comportements non verbaux".
"Après 20 minutes, on a une empreinte cybernétique de vous. Et ensuite les data analystes font des prédictions de ce qui va se passer : médicales, comportementales… Si vous m’observez en tant qu’avatar et dans ma vie de tous les jours, vous pouvez m’identifier même si je suis anonyme sur le métavers", enchaîne Axel Legay.
C’est d’ailleurs ce qu’avait conclu une étude publiée en octobre 2020 dans la revue Nature. "Les données de tracking issues de la VR, la pose du corps, les mouvements, sont une source très puissante d’information. Des liens ont été faits entre certains mouvements du corps et la créativité, l’apprentissage et d’autres traits comportementaux", expliquaient les auteurs de cet article scientifique. Et d’ajouter : "Les comportements enregistrés dans les données de tracking peuvent être associés avec des troubles médicaux tels que les troubles de l’attention, l’autisme ou le stress post-traumatique".
Protéger les données privées… une utopie ?
De la même manière que notre navigation est traquée sur internet pour nous proposer des annonces ciblées, ces univers virtuels pourraient eux aussi adapter leurs panneaux publicitaires en fonction de chaque utilisateur. "On pourrait croiser les informations, déterminer qu’une personne est malade et proposer des médicaments par exemple", prédit encore Axel Legay.
Et que dire des équipements eux-mêmes, souvent fabriqués en Asie ? "Les Chinois adorent y mettre des puces qui permettent de collecter des informations sur vous", glisse l’expert en cybersécurité. Dans ce contexte, les règlements de protection des données tels que le RGPD européen pourraient bien ne pas servir à grand-chose.
"La collecte des données peut sembler sécurisée, mais si on utilise un matériel qui lui ne l’est pas… C’est quelque chose qu’on ne voit pas encore venir en Europe", observe le professeur de l’UCLouvain qui déplore que souvent "la réglementation ne corresponde pas à la technique". Sans compter que si la réglementation est contraignante, certaines entreprises développeront des trésors d’imagination pour la contourner.
Que faire alors, à part subir le mouvement de la révolution technologique qui vient ? "Il n’y a pas de protection parfaite, reconnait Axel Legay. Seule marche la prévention et se limiter aux vrais besoins d’utilisation. Il faut absolument que le citoyen prenne conscience du monde digital qui l’entoure, c’est une grande lacune. Pour le moment on subit le digital, il faut prendre le temps de s’informer avant de se jeter dedans."