Vous n'avez pas confiance dans les intelligences artificielles ? Vous faites de l'ironie en comparant les GAFAM à " Big brother " ? George Orwell est donc forcément logé quelque part dans votre inconscient.
Si vous avez déjà lu " 1984 " ou encore " La ferme des animaux ", les ouvrages qui l'ont fait entrer dans la postérité, vous ne connaissez peut-être pas son premier roman. Et pourtant, c'est sûrement le plus déterminant.
On est en 1927, et Eric Arthur Blair de son vrai nom, qui vient de souffler ses 30 bougies, se considère comme un raté.
C'était un élève brillant au collège mais devenu assez médiocre à la fin de son cursus, il a toujours plus ou moins rêvé de devenir un écrivain célèbre, mais sa famille et ses proches disent eux-mêmes que ses petits poèmes sont pas très bons.
Il vient tout juste de gâcher cinq ans à porter l'uniforme impérial en Birmanie, et une fois rentré, il se dit que c'est son heure : il va devenir écrivain. Et c'est pas gagné.
Direction Londres puis Paris, où clairement, c'est la misère. Il écrit des nouvelles, des poèmes, des petites choses qui seront perdues, et en attendant, faut grailler.
Il fait la plonge, enchaîne les petits boulots, mais le froid et la faim le rattrapent. Il retourne dans sa famille après moins de deux ans, pas un rond en poche et une petite pneumonie sympathique pour fêter Noël ! C'est ce qu'on appelle un fiasco. Une fois guéri, il décide de retourner explorer les bas-fonds de Londres, il y reste parfois pendant deux/trois semaines.
C'est ce Londres de Dickens où aucune loi sociale n'existe encore, où les orphelins, les prostituées et les clochards forment l'armée des pauvres.
Il connaît la faim, la vraie, celle qui vous vide les entrailles, il tombe malade plusieurs fois, reste assis pendant des heures avec les vagabonds, s'immerge dans la puanteur de la misère : et c'est là que l'écriture apparaît, Eric Blair n'est plus, c'est la naissance de George Orwell.
Nous voilà arrivé en 1933, et il rédige ce premier roman appelé assez trivialement : " Dans la dèche à Paris et à Londres ".
De ce manuscrit livré à couteaux tirés, jusqu'à son tout dernier roman " 1984 ", il n'y a finalement qu'un pas : le développement d'un esprit engagé, politiquement très aiguisé.
Là où Orwell va détonner en comparaison avec ses contemporains - c'est que jusque dans sa chair, il est ce qu'il pense. Il rejette toute forme d'embellissement de la langue anglaise, déteste les métaphores, les euphémismes, les tournures inspirées de mythes - que le peuple ne peut pas comprendre sans éducation classique – pour lui, la littérature doit être limpide pour pouvoir être distribuée et intelligible au plus grand nombre.
Le style de sa plume se marie avec son style de vie où il reste proche des animaux et de la nature, et ça, c'est sans aucun doute dû au fait qu'il était un écrivain de l'expérience et non de l'imaginaire.
C'est le comble pour un des maîtres du roman d'anticipation, hein !
Finalement, il a peu vécu, a été reconnu bien après sa mort, tout en laissant derrière lui quelques grandes oeuvres inspirées de cet instant bref, mais intense.
Il s'en est retourné à la Terre humblement, dans la discrétion la plus totale, selon ses dernières volontés. Un homme extraordinairement ordinaire, quand on y pense...