Tendances Première

Dans 30 ans, les stocks de matières nécessaires pour fabriquer le numérique seront épuisés

© Actes Sud/GreenIT

Par RTBF La Première via

La sobriété numérique consiste à adopter une hygiène quotidienne : ne pas céder aux sirènes du tout technologique, privilégier le reconditionné, acheter des équipements durables et réparables, maîtriser ses usages, etc. Faire évoluer nos habitudes est plus simple et rapide qu’il n’y paraît !

Suivez le guide avec Frédéric Bordage, fondateur de GreenIT.fr, le collectif des experts de la sobriété numérique et du numérique responsable. Il publie Tendre vers la sobriété numérique, je passe à l’acte, aux Ed. Actes Sud.

"La sobriété numérique, c’est le fait d’être plus raisonnable dans nos usages numériques quotidiens, pour pouvoir économiser cette ressource critique, non renouvelable, et qui sera épuisée dans 30 ans au rythme actuel. L’enjeu est de pouvoir en léguer à nos enfants et qu’ils puissent eux aussi avoir la chance, grâce au numérique, de s’éduquer, de se soigner, de modéliser le climat…"

On se rend compte en effet qu’il reste 30 ans de numérique devant nous, compte tenu de la rapidité à laquelle on épuise les stocks de matières nécessaires pour fabriquer le numérique.

Typiquement, pour un smartphone de 150 grammes environ, il faut extraire du sol mille fois son poids de terre, pour en extraire les minerais, et ensuite les métaux nécessaires. Ce sont des quantités astronomiques : à l’échelle d’un Européen, chaque jour, pour chacun d’entre nous, 200 kilos de terre sont extraits chaque jour pour qu’on puisse bénéficier du numérique au quotidien.

Vers un retour à l’âge de la pierre ?

C’est compliqué car nous vivons dans cette société de consommation individuelle de base, où il faut acheter toujours plus de produits avec des durées de vie toujours plus courtes. L’enjeu est de faire prendre conscience aux consommateurs et consommatrices de l’importance que revêt le numérique dans leur vie. Comment faire pour fonctionner si on nous enlève notre smartphone ?

"Il faut prendre la mesure des enjeux derrière l’usage du numérique au quotidien. C’est grave pour notre civilisation, pour nos enfants et les générations à venir. La vie pour nos enfants sans numérique, c’est grave, car c’est le retour à l’âge de la pierre. La société serait probablement très fortement désorganisée. Les enjeux dépassent nos petits plaisirs de consommateur au quotidien."

Comment devenir plus raisonnable ?

Pour réduire son empreinte numérique au quotidien, les gestes à faire sont très simples, explique Frédéric Bordage : ils ne nécessitent aucun argent, il ne faut rien acheter, ça va nous faire faire des économies, et c’est tellement simple qu’un enfant de 3 ans peut le faire.

  • Il faut déjà comprendre que 3/4 de nos impacts numériques sont directement associés à la fabrication de nos smartphones, télévisions et ordinateurs. Le premier geste à mettre en oeuvre est donc d’éviter de se suréquiper et de ne pas céder à toutes les tentations : non, on n’a pas raté sa vie à 40 ans quand on n’a pas de montre connectée.
  • Il faut favoriser le réemploi. "On a le droit d’être un peu geek ou victime de la mode et de se séparer de son smartphone au bout de deux ans, par contre on n’a plus le droit, d’un point de vue moral vis-à-vis des générations à venir, de ne pas favoriser sa seconde vie."
    Idéalement, on va acquérir du matériel d’occasion, reconditionné, et c’est ça qui va permettre de massifier le réemploi et la durée de vie de nos équipements. Le réemploi est heureusement aujourd’hui beaucoup plus accessible : sur internet on peut trouver facilement des offres d’équipements reconditionnés, y compris sur les sites des opérateurs téléphoniques. "Maintenant, il va falloir y passer, c’est vraiment une décision individuelle."

Quid de l’obsolescence programmée ?

L’obsolescence programmée est un vrai problème, admet Frédéric Bordage. La France a heureusement réussi à légiférer pour favoriser l’installation de mises à jour qui vont permettre d’allonger la durée de vie du smartphone, en corrigeant des failles de sécurité ou des bugs, et en n’installant pas toutes les fonctionnalités qui l’encrassent. Une résolution du Parlement européen de novembre 2020 prévoit de faire la même chose pour l’Europe.

La société civile et les pouvoirs publics sont donc en train de préparer une situation où on va pouvoir allonger la durée de vie de nos smartphones et autres. Des propositions de loi visent à allonger la durée de garantie légale de ces appareils à 5 ans. "On pourra mieux agir parce qu’on sera moins victime de l’obsolescence programmée."

Cela prend du temps parce qu’on a du mal à prendre conscience de l’impact et des enjeux sociétaux de cet épuisement accéléré de la ressource numérique. Et d’autre part, parce qu’il y a un lobbying extrêmement puissant des acteurs du numériqueC’est aux pouvoirs publics d’avancer sur ce sujet et à la société civile de mettre la pression sur les pouvoirs publics pour qu’ils avancent vite.

Attention au greenwashing

On entend souvent par exemple qu’il faut supprimer ses anciens mails pour éviter de polluer le serveur ou le cloud. Mais en fait, pas tellement, nous dit Frédéric Bordage !

Alors comment s’y retrouver parmi ces vérités et contre-vérités ? Un chapitre du livre est consacré au greenwashing, il remet les choses en perspective et nous aide à relativiser les choses.

A titre de comparaison, pour nous faire comprendre la différence d’impact dans nos gestes : supprimer l’ensemble de ses mails et arrêter toutes les vidéos qu’on regarderait dans l’année en streaming a moins d’impact que garder son smartphone 4 mois supplémentaires.

"C’est très compliqué de s’y retrouver parce que l’industrie du numérique a tout intérêt à laisser s’exprimer sur le sujet des pseudo-experts qui racontent des bêtises sur les usages, parce que, pendant ce temps-là, on ne s’intéresse pas à la clé fondamentale qui est très simple : moins d’équipement, mais qui dure plus longtemps."

Une fois que notre ordinateur ou notre smartphone est fabriqué, ce qu’on fait avec, ça ne change plus grand-chose. La bonne nouvelle, c’est que c’est simple : il suffit de moins s’équiper et de conserver le plus longtemps possible nos équipements. Et on a fait l’essentiel !

 

Quid de l'obsolescence du réseau ?

Partager des vidéos, des photos… est-ce dangereux pour l’avenir de nos sociétés ? "Ce qui est dangereux, c’est que si tout le monde regarde des vidéos dans les lieux publics, on va être obligé de déployer partout la 5G, puis la 6G… pour compenser techniquement nos mésusages du numérique."

L’enjeu est de ne pas déclencher l’obsolescence du réseau internet, de notre terminal, des data centers. Donc moins on va consommer inutilement de vidéos en streaming, mieux on se porte. Mieux vaut, par exemple, écouter de la musique sur Spotify plutôt que sur Youtube, parce qu’on va économiser une très grande quantité de bande passante, qui pourra être utilisée par d’autres utilisateurs ; cela évitera de devoir déployer d’autres antennes relais, de changer de smartphone, etc…
 

Tous ces gestes sont expliqués dans le livre de Frédéric Bordage : Tendre vers la sobriété numérique, je passe à l’acte, aux Ed. Actes Sud.

Ecoutez ici, dans Tendances Première >>

 

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