Justice

Cyberharcèlement : la chanteuse Hoshi est déçue par la lenteur et le manque d’efficacité de la justice française. Qu’en est-il en Belgique ?

© Getty Images - Capture d'écran Twitter - RTBF

C’est un torrent d’insultes homophobes et de menaces de mort dont est victime quotidiennement la chanteuse française Hoshi sur les réseaux sociaux. Après avoir déposé une plainte en mars 2020, elle affirme qu’une seule personne sera poursuivie alors qu’elle a reçu "des milliers" de messages haineux. Mathilde Gerner, de son vrai nom, a dénoncé sur Twitter la lenteur et la faible réaction de la justice française vis-à-vis des cyberharceleurs.

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La déception et l’appel au secours de Hoshi

 

Sauvez-nous tant qu’il est encore temps, n’attendez pas que ça finisse mal avant de vous intéresser aux dossiers […] Moi qui aime tant mon pays, je viens de perdre foi en sa justice.

C’est dans un long post que la chanteuse-compositrice s’adresse à l’Etat français et exprime son énorme déception. Hoshi a d’ailleurs publié de nombreux messages aussi violents qu’homophobes envoyés par des internautes.

Elle dénonce également le fait que seul un d’entre eux devrait être jugé au mois de juin, alors que d’autres personnes ont été identifiées au fil de l’enquête menée par la justice française.

Une plainte déposée en 2020

 

Le cyberharcèlement, dont est victime Hoshi, a particulièrement commencé lors des 35es Victoires de la musique. Elle y interpréta "Amour censure", une chanson qui dénonce l’homophobie. À la fin de sa prestation, la chanteuse embrassait une danseuse. Un acte militant qui aura malheureusement comme conséquence un déferlement d’attaques homophobes et de menaces de mort sur les réseaux sociaux.

Très marquée et effrayée par ces propos haineux, l’artiste a déposé une plainte en 2020 pour harcèlement moral "en meute", "menaces de mort et de viols", injures aggravées et provocation à la haine.

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Un seul cyberharceleur poursuivi

Dans son post, elle explique avec un grand désarroi que seule une personne sera poursuivie : "Je viens de raccrocher avec mon avocate qui s’est battue à mes côtés de toutes ses forces et elle vient de m’annoncer que sur les milliers de messages reçus, et que sur toutes les personnes retrouvées une seule personne sera potentiellement convoquée à un procès au mois de juin."

Il faut identifier une machine et encore la rattacher à une personne en particulier

Si la justice française ne poursuivra qu’un seul des présumés coupables de cyberharcèlement dans cette affaire c’est parce qu’il n’est vraiment pas aisé de réussir à prouver l’identité de ces criminels. C’est un pénible travail d’enquête pour remonter à l’adresse IP des émetteurs de ces messages haineux.

Spécialisé dans le droit des médias et des nouvelles technologies, Etienne Wéry nous livre pourquoi peu de poursuites sont engagées : " Quand il y a une enquête qui vise plusieurs personnes, il y a des conditions à respecter. La première est qu’il faut avoir réussi à identifier ces personnes. Ce n’est pas nécessairement simple, car il y a la question des adresses IP que l’on obtient via les opérateurs d’accès internet", explique l’expert.

Mais même avec l’adresse IP, un travail de recherche supplémentaire doit être fait : "Il faut identifier une machine et encore la rattacher à une personne en particulier. Cela peut demander beaucoup de travail à la justice. De plus, si on tombe sur des mineurs, ils vont être jugés séparément quand ils sont jugés. Enfin, on doit établir qu’il y a des soupçons suffisants par rapport à l’infraction. Donc il n’est pas rare qu’à partir de 100 ou 150 personnes suspectées, seules trois d’entre elles soient poursuivies. "

J’ai eu peur à chaque fois que je suis montée sur scène

En France comme en Belgique, une victime de cyberharcèlement peut déposer une plainte soit à la police, soit directement devant un juge d’instruction lorsque les affaires sont très graves.

Déçue par la lenteur de la procédure et par le fait que d’autres personnes ne soient pas poursuivies, Hoshi exprime à quel point les cyberharceleurs ont affecté sa santé et son quotidien jusqu’à prendre la décision de déménager : "Ça m’a empêché de vivre pleinement pendant trois ans. J’ai vécu un enfer psychologique et physique. J’ai eu peur à chaque fois que je suis montée sur scène, peur de me faire agresser, je ne suis jamais sortie seule dans la rue."

Une procédure plus compliquée et plus longue en Belgique

Etienne Wéry, qui traite régulièrement ce genre de dossiers, rappelle dans un premier temps que les cours et tribunaux sont tellement submergés et manquent de moyens suffisants, et que cela prend bien plus de temps en Belgique qu’en France.

De plus, la spécificité du droit belge rend les poursuites très rares. Car à l’exception des propos racistes et xénophobes, c’est devant une cour d’assises que les auteurs de messages haineux en ligne doivent être jugés.

C’était d’ailleurs le cas de Sami Haenen qui fut condamné en 2021 à 12 mois de prison avec sursis probatoire de deux ans pour le surplus de la détention préventive.

Il avait été reconnu coupable d’avoir commis un délit de presse pour avoir proféré des menaces sur les réseaux sociaux.

L’article 150 de la Constitution, une loi qui "entrave" les poursuites ?

C’est parce que ces méfaits sur internet sont considérés comme un délit de presse que le bât blesse pour l’avocat spécialisé en droit des nouvelles technologies.

En France, c’est le tribunal correctionnel qui est compétent en la matière.

Cependant en Belgique, l’article 150 de la Constitution, qui doit garantir la liberté d’expression et donc de la presse, conduit ces affaires de cyberharcèlement devant une cour d’assises avec un jury : "C’est très lourd et cher à organiser. C’est pour cette raison qu’on ne réunit pas des cours d’assises pour des affaires pareilles", détaille Etienne Wéry

"La cour d’assises, on la réserve principalement pour les crimes, etc. Or, à cause de l’article 150 de la Constitution, ces insultes en ligne sont considérées comme un délit de presse. Dans les faits, ces insultes ne sont pratiquement jamais punies. J’ai une quantité de dossiers dans lesquelles on a vraiment des milliers de messages. Et on sait parfaitement qui c’est, parce qu’ils s’en vantent. Et le cyberharceleur ne sera jamais puni."

La Belgique est un paradis pour les insultes et le harcèlement en ligne

Pour toutes ces raisons, l’expert en droit des médias insiste : " Il faut savoir qu’en Belgique, on peut insulter, on peut harceler, on est libre à peu près de faire ce qu’on veut sur internet. Il y a 99% de chance de ne jamais être poursuivi. Il serait plus logique que ces comportements haineux, ce cyberharcèlement, soient jugés devant un tribunal correctionnel. Mais dans les conditions actuelles, la Belgique est un paradis pour les insultes et le harcèlement en ligne. "

Les experts en la matière reconnaissent qu’il y a un travail conséquent et nécessaire afin de faire évoluer la justice pour la prise en charge de ces affaires. Ils sont nombreux à traiter le sujet et espèrent que le système judiciaire s’adaptera pour lutter efficacement et rapidement contre ces faits de cyberharcèlement.

Sur le même sujet : Extrait JT (09/01/2023)

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