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Crise sociale au Royaume-Uni : il y a plusieurs facteurs, mais "celui qui explique un peu plus que les autres, c’est le Brexit"

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Par Miguel Allo sur base du Focus sur La Première

C’est du jamais vu depuis la fin des années 70, 40 ans que le Royaume-Uni n’avait plus connu pareil mouvement social. Plus d’un million de travailleurs s’apprêtent à faire grève d’ici au 31 décembre. Cheminots, postiers, douaniers réclament de meilleures conditions de travail et des augmentations de salaire dans un contexte d’inflation à 11%. Et encore plus exceptionnel, les infirmiers et infirmières débrayent aujourd’hui en Angleterre et au Pays de Galles pour la première fois depuis un siècle. Les soignants ont perdu 20% de pouvoir d’achat en 12 ans.

Une infirmière londonienne, gréviste, estime qu'"il y a un cruel manque de ressources. Nous devons prendre des gardes supplémentaires, faire des heures supplémentaires après nos 12 heures, nous courrons après le temps en permanence. Mais nous n’avons pas assez de personnel, alors que peut-on faire ? Nous n’avons pas le choix que de travailler avec un nombre énorme de patients, ce qui n’est plus sécuritaire. Nous faisons ce métier pour aider, pour protéger nos patients et leur prodiguer les meilleurs soins, et c’est difficile de travailler dans des conditions où cela n’est pas possible."

Les raisons de la colère sociale

Quelles sont les raisons d’une telle colère sociale au Royaume-Uni ?

Dans son analyse, Leo Cendrowicz, journaliste pour The I Paper et pour le Brussels Time magazine et citoyen britannique, explique que : "Dans une économie, il y a plusieurs facteurs. Il y a des facteurs globaux, comme on le voit en Europe avec la guerre et le Covid, etc., et il y a des facteurs spécifiques à l’économie britannique, comme le fait d’être orientée vers les finances, vers l’immobilier, etc. Mais il y a bien sûr d’autres facteurs et celui qui explique un peu plus que les autres, c’est le Brexit. L’économie est plus petite, les ressources sont plus difficiles à trouver et ça impacte non seulement les liens commerciaux, mais aussi les ressources du marché du travail."

Est-ce que les Britanniques sont en train de s’appauvrir aujourd’hui ? Quels sont les échos du niveau de vie et du pouvoir d’achat au Royaume-Uni ?

"Oui, on entend de plus en plus parler de gens qui doivent prendre des décisions difficiles", relate Leo Cendrowicz. Les questions que se posent les citoyennes et citoyens britanniques sont : "Est-ce qu’ils doivent acheter de la nourriture pour leur famille, faire leurs courses, ou est-ce qu’ils doivent payer pour le chauffage à la maison ? C’est très difficile pour eux. Et les gens qui sont le plus touchés sont bien sûr les gens qui sont les plus pauvres. C’est pour ça qu’on parle de la grève des infirmières, des postiers ou des douaniers, qui ne sont pas nécessairement les gens les plus riches."

Il y a une sorte de sentiment d’incompétence, de scandale et de mensonges au sein du gouvernement et les gens en ont marre

La classe moyenne est donc aussi concernée, comme en Belgique. Les Britanniques comprennent-ils ces mouvements de grève et leurs conséquences, par exemple pour voyager et rendre visite à sa famille ?

Actuellement, selon le journaliste Leo Cendrowicz, "il y a un soutien pour les grèves. Un sondage montre que les Britanniques soutiennent les infirmières." Il ajoute que concernant le rail, "il y a un peu moins de soutien, mais ils les soutiennent quand même." Et puis : "Ils comprennent que c’est le chaos au cœur du gouvernement et que des promesses n’ont pas été tenues. […] Il y a une sorte de sentiment d’incompétence, de scandale et de mensonges au sein du gouvernement et les gens en ont marre."

Inflation, mais pas d’indexation des salaires

Les Britanniques se sont appauvris

À quel point le niveau de vie des Britanniques a-t-il baissé ces derniers mois ou ces dernières années ? Pour Elsa Leromain, professeure à l’Université d’Anvers et vous travaillez aussi pour la London School of Economics, effectivement : "les Britanniques se sont appauvris." Cela, explique-t-elle est dû à une augmentation des prix à la consommation, mais aussi parce que cette hausse des prix n’a pas été accompagnée d’une augmentation proportionnelle des salaires.

L’inflation est à 11%, mais le Royaume-Uni n’a pas de mécanisme d’indexation des salaires comme celui de la Belgique. Elsa Leromain explique :"On a évalué la hausse des salaires à l’embauche, qui est censée être la plus forte a priori, à 6%. Par rapport à une inflation à 11%, ça donne une idée d’où les mouvements sociaux peuvent arriver, parce que c’est clairement le cas dans le secteur public, où, comme vous le disiez, il n’y a pas d’indexation des salaires. Les salaires sont très fixes et n’ont pas beaucoup bougé."

Quel est l’état de l’économie britannique aujourd’hui ? Pour la professeure à l’Université d’Anvers l’économie ne va pas bien en raison d’une croissance faible et d’une inflation importante. Mais elle précise que si l’on compare la situation du Royaume-Uni avec d’autres pays occidentaux comme les États-Unis ou l’Europe, elle n’est pas forcément pire : "parce que […] on a beaucoup de facteurs globaux — le Covid, la crise en Ukraine, les prix de l’énergie — qui pèsent de façon importante."

Le journaliste Leo Cendrowicz a précisé qu’il y avait plusieurs facteurs pour expliquer la crise sociale et économique actuelle. Des facteurs qui touchent aussi d’autres pays occidentaux en ce moment. Mais qu’il y avait aussi, et peut-être surtout, le Brexit qui a restreint le marché et l’espace économique britannique. Peut-on faire cette analyse ?

"Oui, je pense", répond Elsa Leromain. Elle ajoute : "Je suis chercheuse, donc je serai un peu plus nuancée sur le fait qu’il est certain que le Brexit est la cause majeure. Ce qui est sûr, c’est que c’est un facteur important. Par rapport au commerce, on a vu que les importations venant de l’Union européenne allant au Royaume-Uni avaient énormément baissé. Les investissements des firmes ont baissé, et ça a été vu même avant le Covid, avec l’augmentation de l’incertitude."

Quant à l’inflation, "je pense que c’est le sujet le plus brûlant, il est clair qu’il y a une grosse partie qui est due à l’augmentation de l’incertitude, mais aussi, depuis le Brexit, à des barrières non tarifaires."

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