Belgique

Crise de l’accueil : les associations exigent une hausse des astreintes et leur paiement

Des réfugiés attendent, dans le froid, à l’entrée du centre Fedasil "Petit Château" à Bruxelles, le 7 décembre 2021.

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Dix organisations retournent ce mardi devant le tribunal de première instance de Bruxelles pour demander le paiement des astreintes dues par l’État en raison de sa gestion des demandes de protection internationale au Petit-Château à Bruxelles (les demandes d’asile). Et ce mercredi, elles plaideront pour une hausse du montant des astreintes. L’État avait été condamné le 19 janvier dernier mais depuis, rien ne bouge, déplorent les organisations. Le Ciré dénonce une crise de l’accueil doublée d’une crise démocratique.

Cette crise est effectivement davantage une crise de l'accueil qu'une crise des migrants. Le tribunal de première instance de Bruxelles ne s’y est pas trompé dans son ordonnance du 19 janvier dernier, en statuant que l’État Belge ne remplit pas ses obligations internationales et en le condamnant à le faire, sous peine d’astreintes.

L’accueil, une obligation internationale

L’affaire a débuté à l’automne lorsque dix organisations parmi lesquels le Ciré (Coordination et Initiatives pour et avec les réfugiés et les étrangers), la Ligue des droits humains, Médecin du Monde, MSF ou encore l’ordre des Barreaux francophones et germanophones de Belgique – pour citer ces exemples – ont observé que des migrants venus demander l’asile en Belgique n’arrivaient même pas à pousser la porte de l’ancienne caserne du Petit Château, le centre d’arrivée situé à Bruxelles. De nombreux exilés sont ainsi restés dehors, faisant la queue dans le froid, parfois pendant plusieurs jours de suite, en espérant pouvoir s’enregistrer.

Pourtant, en vertu d’une directive européenne transcrite en droit belge, les personnes ayant droit à une protection internationale doivent pouvoir se présenter et ensuite s’enregistrer dans un délai minimum de trois jours ouvrables (et dans un délai de maximum dix jours s’il y a beaucoup de demandes). Le texte européen prévoit par ailleurs que Fedasil est compétent pour octroyer une aide matérielle aux demandeurs, pendant toute la procédure, c’est-à-dire dès que la personne s’est présentée au Petit-Château.

Ne pas lier places et demandes

A partir d’octobre toutefois, le nombre de personnes autorisées à se présenter dans le centre d’arrivée a été limité. Il a été fixé en fonction du nombre de places disponibles chez Fedasil, un réseau en permanence au bord de la saturation. Concrètement, les portes ont été ouvertes pour les personnes les plus vulnérables comme les malades, les personnes à mobilité réduite, les familles avec enfants mais elles sont restées closes pour les hommes seuls. 

Les arguments officiels avancés pour expliquer cette priorisation étaient la hausse des demandes d’asile en Belgique, la durée des procédures et des séjours dans les centres, voire la gestion des places rendue plus difficile en temps de coronavirus et de distanciation physique nécessaire.

Ces arguments et ce fonctionnement n’ont pas convaincu la justice bruxelloise qui a condamné l’État belge le 19 janvier dernier (ordonnance à retrouver ici). Pour le tribunal, l’État belge ne peut pas lier le nombre de personnes autorisées à présenter une demande de protection internationale au nombre de places disponibles dans le réseau Fedasil. En le faisant, elle manque à ses obligations internationales. La Belgique doit donc, toujours selon l’ordonnance, prévoir les structures appropriées pour faire face à la hausse des demandes qui, ajoute le texte, n’a rien d’extraordinaire.

Le tribunal a alors ordonné à la Belgique de prendre toutes les mesures nécessaires sous peine d’astreinte (5000 euros par jour avec un maximum de 100.000 euros). Il exigeait dans le même temps que Fedasil octroie l’aide matérielle adéquate, ici aussi, sous peine d’astreinte de 5000 euros par jour (avec un maximum de 100.000 euros) en cas de manquement.

Choisir ses réfugiés

Le cabinet du secrétaire d’État à l’asile et à la migration Samy Mahdi, explique que désormais, tous les exilés qui arrivent au Petit Château peuvent se présenter (première étape de la procédure). Mais ça ne signifie pas qu’ils seront hébergés. Cette fois, le secrétaire d’État veut privilégier les personnes qui introduisent leur demande pour la première fois dans l’Union européenne (en Belgique donc) et brandit le règlement de Dublin. Ce texte prévoit que le pays où le demandeur s’est enregistré est celui qui gère sa demande (système Eurodac où sont enregistrées les empreintes).

Plus globalement, ce règlement, que les États membres veulent réformer depuis des années, divise les 27 et met la pression sur les pays situés aux frontières extérieures de l’Union européenne puisque ces pays constituent la porte d’entrée dans l’UE. De nombreuses personnes sont par conséquent enregistrées dans ces pays limitrophes mais certains exilés "passent entre les mailles du filet". C’est notamment le cas de ceux qui filent – avec ou sans succès – vers le Royaume Uni où ils veulent s’enregistrer.

"À un moment donné, il n’est pas possible d’offrir une place à tout le monde. Il y a quelque 30.000 places en Belgique. Nous sommes solidaires mais nous ne pouvons pas pallier les manques de pays européens qui ne suivent pas. Nous voulons donner un signal parce que ce n’est plus possible", fait-on remarquer au cabinet du secrétaire d’Etat à l’asile et la migration. Et d’ajouter que la Grèce a déjà reçu trois milliards d’aide de l’UE pour l’accueil des exilés et la gestion de sa frontière extérieure de l’UE…

Une crise démocratique

À ces arguments, les dix associations qui défendent le droit des personnes à demander une protection internationale rétorquent, comme la justice l’a fait précédemment, que la Belgique doit simplement respecter le droit. Ne voyant rien venir, elles enclenchent la vitesse supérieure ce mardi, deux semaines après la condamnation.

"Quand les demandeurs vont devant la justice à titre individuel, elles font condamner Fedasil et Fedasil s’exécute. C’est un drôle de jeu qui se joue ici. Tout est fait pour dissuader les personnes. Dans le meilleur des cas, un demandeur sur deux va faire la démarche", fulmine Sotieta Ngo.

La directrice du Ciré poursuit : "On est dans une crise de l’accueil qui se double d’une crise démocratique. Nous vivons dans un État de droit où le pouvoir exécutif ne respecte pas une décision de justice. Si la Belgique est tenue d’envoyer des personnes à l’hôtel, il faut activer ces mesures. L’État n’y arrive pas. L’État ne fait pas tout pour répondre à ses obligations, ce qui fait que des personnes sont à la rue".

Les dix associations porteront une nouvelle fois l'affaire devant la justice ces mardi et mercredi.

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