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Crise de la biodiversité : l’alimentation est le premier problème sur lequel on peut agir, tout de suite

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Par Alors on change ! via

On peut voir notre planète comme une pomme : plus on en mange de quartiers, moins il en restera pour les générations futures. "

La métaphore paraît légère, mais le message est lourd de sens. Et Caroline Nieberding pèse avec soin le choix de ses mots pour véhiculer son message : il est l’heure de faire des choix drastiques mais potentiellement très rapides sur nos choix de vie, afin de maintenir un niveau et un confort de vie important pour nous et nos descendants dans les prochaines décennies.

Professeure à l’UCLouvain et scientifique spécialisée dans la biodiversité, Caroline était la personne indiquée à inviter dans notre émission consacrée aux " limites planétaires ". Car la biodiversité est en crise : nous traversons actuellement la 6e extinction de masse depuis que la vie existe sur Terre. Nous en sommes la cause, mais nous en subirons aussi les conséquences. Mais selon notre spécialiste, nous avons les compétences pour limiter la casse. Rencontre.

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Face à l’urgence actuelle, tu te définis comme une " scientifique engagée ". Ça veut dire quoi ?

Caroline Nieberding : Quand j’ai vu la sortie du rapport sur la crise de la biodiversité en 2019 qui annonçait qu’on allait perdre 10% des espèces dans les 30 ans, c’est-à-dire un million d’espèces, j’ai paniqué. Et je me suis rendu compte que mon rôle de scientifique consistait aussi à sortir de mon bureau de présenter les données autrement et d’expliquer à un maximum de gens – en tout cas à ceux qui le souhaitent – ce qui se passe vraiment et quelles sont les conséquences.

Sur les cinq limites planétaires qui ont déjà été franchies, tu travailles plus spécifiquement sur la crise de la biodiversité. Comment sait-on que le seuil a été dépassé ?

On le sait parce qu’on utilise des indicateurs sur des espèces encore vivantes et dont on voit qu’ils sont en train de se crasher. D’une part, le nombre d’individus qui représentent une espèce : on a perdu 70% des individus sur les 50 dernières années (pour la plupart des espèces qu’on mesure). Et d’autre part, la surface qu’occupent ces espèces : on en a perdu la moitié. Et donc on sait qu’à très court terme, ces espèces vont disparaître.

Les pays où la natalité est encore élevée n’ont absolument pas contribué à aux crises environnementales.

L’espèce humaine, elle, se porte plutôt bien par contre…

Oui, c’est l’exception, avec les animaux dont on se nourrit. Mais ce sont les dernières espèces de grandes tailles qui survivent. Et vraisemblablement, ce sursis est de faible durée. Parce que dans les crises d’extinction majeure précédente, comme à la fin du Crétacé il y a 65 millions d’années, on a perdu toutes les espèces de grandes tailles, dont les dinosaures.

La surpopulation humaine, une menace pour la nature ? "C'est un faux problème !"
La surpopulation humaine, une menace pour la nature ? "C'est un faux problème !" © Getty Images

Finalement, le problème n’est-il pas qu’on est trop nombreux sur la planète ?

Non, ça, c’est vraiment un faux problème. Les crises environnementales sont générées par nos patterns de consommation. Et ces patterns de consommation ont été produits par des populations dont la démographie, la natalité, a été stabilisée les dernières décennies. Donc c’est l’Europe, l’Amérique du Nord, l’Australie… Alors que les pays où la natalité est encore élevée n’ont absolument pas contribué à aux crises environnementales. Par exemple, un Ethiopien pollue 1000 fois moins qu’un Américain. Ce ne sont pas ces personnes-là qui sont responsables, en dépit de leur natalité, des problèmes climatiques ou de biodiversité.

Beaucoup de gens ont déjà adopté des écogestes au quotidien. Mais certains gestes valent plus que d’autres…

Oui, il y a des moments clés dans la vie où certaines décisions vont influencer tout le reste. Cette décision, c’est notamment son lieu de vie. Choisir un lieu de vie qui va vous permettre d’utiliser la mobilité douce et les transports en commun, l’énergie qui sera partagée à travers des logements conjoints, par exemple, va vous permettre d’économiser un budget gigantesque, de réduire votre empreinte écologique quant aux ressources fossiles, et ça va aussi libérer du temps pour cuisiner végétarien, par exemple, au lieu d’être coincé dans sa voiture. C’est vraisemblablement la principale réponse à apporter : organiser l’espace pour qu’un maximum de gens partagent des ressources en ville, et libérer les campagnes pour restaurer de la place pour la nature.

Si tout le monde décidait de passer à un régime végétarien, on réduirait de moitié la surface des terres utilisées pour la production agricole, c’est-à-dire un territoire équivalent à la surface des USA.

Tu parles d’alimentation, ça aussi c’est un point clé sur lequel on peut jouer !

C’est sans doute le principal problème sur lequel on peut agir tout de suite. Au niveau global et pour toute notre vie, l’alimentation représente 10% de notre usage des terres. Si tout le monde décidait de passer à un régime végétarien, on réduirait de moitié la surface des terres utilisées pour la production agricole, c’est-à-dire un territoire équivalent à la surface des USA.

Déforestation en Amazonie pour l'élevage de bovins.
Déforestation en Amazonie pour l'élevage de bovins. © Getty Images

On n’a pas forcément tous envie, ou on ne se sent pas capable de devenir végétarien, mais réduire ça a déjà un impact très important…

Dans une étude très intéressante qui fait le lien entre climat, santé et biodiversité, on voit que passer à un mode végétarien, partiel ou total, va permettre d’augmenter aussi notre espérance de vie. Pour l’instant, notre moyenne de consommation de viande par jour et par personne s’élève à 120 grammes. Si on réduit à 50, 30 ou même 20 grammes (ce qui est conseillé par les nutritionnistes), on va pouvoir espérer vivre en moyenne 6 ans plus longtemps, et on va réduire globalement la mortalité d’environ 11 millions de personnes par an. Ce qui est quand même 11 fois plus que les décès associés au sida par exemple !

Face à la transition, au fait de devoir changer nos habitudes, on est parfois un peu morose. Mais ce n’est pas du tout l’état d’esprit que tu veux faire passer…

Jamais auparavant on n’a eu accès à des données comme c’est le cas actuellement. On a notamment les 17 objectifs de développement durable qui quantifient les démarches à entreprendre d’ici 2030 pour assurer toute une série de stabilisations, dont les crises environnementales. Et on peut constater qu’en 200 ans, on a fait pratiquement disparaître l’analphabétisme, on a diminué par 10 la mortalité des enfants, on a augmenté l’espérance de vie et l’accès à l’éducation de façon drastique. Donc en fait, on est très compétent, il faut juste accepter de regarder les données et d’agir en conséquence !

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