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Crash du Boeing 737 Max d’Ethiopian Airlines : le rapport qui fâche les Américains et les Français

© Getty Images - Bertrand Massart

Les autorités éthiopiennes de l’aviation viennent de publier leur rapport final à propos du crash du Boeing 737 Max survenu le 10 mars 2019, quelques minutes après le décollage à Addis Abeba. Fait extrêmement rare, ce rapport est publiquement et plutôt sévèrement critiqué à la fois par le très sérieux investigateur américain du transport, le NTSB (National Transport Safety Board) et par le non moins réputé BEA, le Bureau d’Enquêtes et Analyses pour la sécurité de l’aviation civile.

Le crash du Boeing 737 Max d’Ethiopian Airlines est tout sauf anodin. D’abord parce qu’il coûte la vie à 157 personnes, bien sûr. Mais aussi et surtout parce que c’est le second crash d’un appareil de ce type en l’espace de quelques mois à peine, le premier étant celui du vol Lion Air 610 tombé en mer de Java peu après avoir décollé de Jakarta le 29 octobre 2018. Le terrible bilan est de 189 morts.

A l’époque, le choc du crash du Boeing 737 Max d’Ethiopian est planétaire. En deux jours, toute la flotte des Boeing 737 Max est clouée au sol. Un véritable séisme pour l’aviation en général et pour Boeing en particulier, le 737 Max ayant été conçu pour être le fleuron du constructeur américain. Il lui faudra 20 mois et de sérieuses modifications pour retrouver le ciel.

Un rapport final pas tout à fait complet

Le résumé du rapport final publié fin décembre 2022 par le bureau d’enquêtes éthiopien (EAIB) est assez simple : toute la culpabilité porte sur Boeing et son fameux système MCAS, un logiciel censé aider l’équipage à stabiliser l’appareil. Les enquêteurs américains et français ne contestent pas le fait que ce logiciel porte une part de responsabilité, comme en atteste cette phrase extraite du communiqué publié par le BEA : "Le BEA partage l’analyse et les conclusions du rapport de l’EAIB en ce qui concerne la contribution du système MCAS du 737 Max à l’accident".

Mais tant les Américains que les Français pointent aussi certains manquements dans le chef de l’équipage. Voici ce qu’écrit le BEA: "Les commentaires du BEA portent principalement sur l’analyse de la performance de l’équipage et sa contribution au scénario de l’accident, notamment pendant la première partie du vol (entre la rupture de la palette de la sonde d’incidence et l’activation du système MCAS). Le BEA considère que cette analyse permettrait de dégager des enseignements de sécurité au-delà de ceux relatifs au système MCAS".

Et c’est tout aussi clair du côté du NTSB : "Nous pensons que la cause probable doit également reconnaître qu’une gestion appropriée de l’équipage de l’événement, selon les procédures qui existaient à l’époque, aurait permis à l’équipage de récupérer l’avion même face aux manœuvres de piqué non commandées", écrivent les Américains dans les commentaires qu’ils avaient rédigés à l’attention du bureau d’enquêtes éthiopien après la première version du rapport, un document qu’ils viennent de rendre public.

Une volonté de dissimulation ?

Pourquoi les Ethiopiens n’ont-ils pas intégré les remarques des enquêteurs américains et français ? Ancien pilote et enquêteur, Yves Enderlé précise que "les compétences des NTSB et BEA, entre autres, sont mondialement reconnues".

Dès lors, sa conclusion est simple : "Ne pas vouloir inclure leurs remarques dans le rapport final est preuve soit d’incompréhension totale, soit de volonté de dissimulation, en plus du non-respect de la réglementation", puisque c’est en effet prévu par l’OACI (l’organisation de l’aviation civile internationale), comme le rappelle très clairement le BEA sur son site : "Les dispositions de l’OACI prévoient que l’État qui mène l’enquête envoie un projet du rapport final aux États participant (dans le cas présent au représentant accrédité du BEA pour la France et à celui du NTSB pour les États-Unis). Ceux-ci sont alors invités à présenter aussitôt que possible toutes observations dignes d’intérêt qu’ils souhaiteraient formuler sur le rapport. Si l’État qui a mené l’enquête reçoit des observations dans les 60 jours, il amende le projet de rapport final de façon à y inclure la teneur des observations reçues ou, en cas de désaccord sur celles-ci, et si l’État qui a formulé les observations le souhaite, présente ces observations en annexe au rapport".

Le bureau d’enquête français explique encore qu’à partir de janvier 2021, le NTSB et le BEA ont été consultés sur un projet de rapport final élaboré par l’EAIB et que tant les enquêteurs américains que français ont demandé que "les aspects relatifs à la performance de l’équipage soient mieux exposés et analysés". Mais, conclut le BEA, "ces échanges n’ont pas permis d’aboutir à des modifications satisfaisantes et ont conduit le NTSB et le BEA à demander la mise en annexe de leurs observations au rapport final". Ce qui n’a pas été fait.

Une image mise à mal

Expert en aéronautique, Waldo Cerdan rappelle qu’Ethiopian Airlines est une compagnie nationale qui jouit, sur le plan international, d’une image d’excellence en termes d’efficacité opérationnelle et de profitabilité : "Elle a connu une croissance spectaculaire ces dix dernières années triplant quasiment sa flotte, le nombre de passagers transportés, le cargo, tout en restant rentable. Elle est également membre d’une alliance – Star Alliance – de renommée mondiale. Dans ce contexte, les remarques du NTSB et de BEA, pour pertinentes qu’elles soient, mettent à mal cette image d’autant plus qu’elles mettent en cause de potentiels dysfonctionnements systémiques, tant au niveau de la sélection/formation de pilotes que des procédures de suivi au niveau de la maintenance. Donc, bien que les autorités éthiopiennes auraient dû intégrer les remarques du NTSB et du BEA, on comprend leur réticence à le faire puisque cela revient à rédiger, eux-mêmes, un texte qui pourrait servir d’acte d’accusation à leur endroit ".

Des sanctions sont-elles imaginables ?

Quelles pourraient être les suites d’un tel comportement de la part des enquêteurs éthiopiens ? A partir du moment où le règlement n’est pas respecté, serait-il possible qu’il y ait des sanctions ?

"Pour qu’il y ait sanction", répond Waldo Cerdan, "il faut qu’il y ait faute et qu’elle puisse être établie. On peut imaginer une enquête émanant de l’Organisation de l’Aviation Civile internationale (OACI), de l’Association Internationale du Transport Aérien (IATA), un audit au sein de l’alliance STAR ALLIANCE, de l’Agence européenne pour la Sécurité européenne (EASA), mais qui y a vraiment intérêt ? Ethiopian Airlines ne représente pas seulement une compagnie aérienne, mais un État, qui plus est, un État très bien établi dans le commerce international et qui, du moins pour ce qui concerne les échanges commerciaux, répond parfaitement aux canons de gestion d’un modèle occidental fondé sur l’efficacité et la rentabilité ".

Fort de sa longue expérience du monde l’aviation, l’expert en aéronautique pense donc que ce scénario d’une sanction ou même d’une enquête approfondie est fort peu probable : " Je ne crois ni à des sanctions ni à une enquête approfondie et indépendante qui risqueraient de mettre à mal un système qui accommode tout le monde, sauf les familles des victimes ".

Le fait que le NTSB et le BEA aient publiquement critiqué le rapport publié par le bureau éthiopien tout en précisant bien les raisons n’en reste pas moins un geste fort.

L’importance de la formation des pilotes

Entretemps, le Boeing 737 Max vole donc à nouveau un peu partout dans le monde, après certaines modifications, qui lui ont permis de récupérer toutes les licences et autorisations nécessaires. "Le Boeing 737 est et reste, depuis ses premières versions, notamment le B737-100 basic – un excellent avion ", explique Waldo Cerdan, qui a non seulement piloté mais aussi été instructeur pour ce type d’avion.

"Au fil du temps et des progrès technologiques, le constructeur Boeing n’a eu de cesse de l’améliorer tant d’un point de vue de la sécurité, de l’efficacité énergétique (surtout pour moins consommer et ainsi réduire les coûts d’exploitation), que du confort pour les passagers. Ce faisant, certaines options, comme le MCAS, cachent mal, et de manière peu efficace, la réalité d’un " business model " basé sur une croissance exponentielle du transport aérien, et donc des ventes d’avion, et sur son corollaire, le glissement de la formation des pilotes comme pilier essentiel de la sécurité aérienne vers une variable d’ajustement ".

Waldo Cerdan ajoute que certains progrès technologiques tels que les avertisseurs de proximité de sol ou encore le système d’alerte et d’évitement de trafic à proximité sont de réelles avancées qui ont participé à l’amélioration de la sécurité dans le transport aérien. "En revanche, le développement massif des aides au pilotage, sans sous-estimer le confort et l’amélioration de la gestion du vol qu’il apporte, a pour effet, assez paradoxal, de contribuer à réduire la capacité des pilotes à réagir de manière adéquate à des situations inattendues. Or, l’inattendu, c’est la norme et non l’exception dans le transport aérien".

Deux accidents aux circonstances similaires

L’expert aéronautique constate que les manquements des pilotes soulignés par le NTSB et le BEA se retrouvent aussi dans le rapport du crash du Boeing 737 Max de Lion Air survenu quelques mois plus tôt : " Les deux situations, Ethiopian et Lion Air, étaient éminemment complexes, personne ne le contestera, mais la question qui se pose est celle de savoir s’il est possible de gérer de telles situations sans structure, sans méthode de travail, sans rigueur, sans verser au premier instant dans l’agitation et la gesticulation ?"

Une question à laquelle Waldo Cerdan apporte une réponse négative : "Je ne crois pas que ce soit possible, non, ou alors avec beaucoup de chance. D’aucuns avancent le fait que l’absence d’information concernant la présence d’un MCAS a contribué à mettre les équipages dans un état de sidération, ce qui expliquerait une dégradation, voire un effondrement, des facultés cognitives, phénomène connu sous le nom de STARTLE EFFECT. Le problème c’est qu’il n’y a jamais eu, si on lit les rapports, le début d’un contrôle de quelque chose. Cela pourrait confirmer l’hypothèse, que je défends, que le modèle de formation de pilotes forme des opérateurs d’avions plutôt que des aviateurs ".

Ce qui est sûr, c’est que les autorités éthiopiennes ont décidé de ne pas aborder ce chapitre de l’absence de réaction des pilotes dans leur rapport.

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