CRITIQUE ***
Varia : Macadam Circus, la pièce qui se joue côté cour
Scène
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© Beata Szparagowska
CRITIQUE ***
Ce n’est pas la première fois que le tandem Antoine Laubin/Thomas Depryck explore l’œuvre de Patrick Declerck. Après "Dehors", adapté des "Naufragés", essai sur les SDF, et "Démons me turlupinant", autobiographie de cet écrivain belge atypique, à la fois psychanalyste, anthropologue et philosophe, voici à présent "Crâne".
Mars 2013 : Patrick Declerck subit une grave opération au cerveau pour se libérer d’une tumeur qui le menaçait depuis plusieurs années. "Crâne" (2018) est le récit clinique de cette expérience à haut risque, où le patient reste éveillé car c’est lui-même qui, par des exercices de calcul et de langage, aide le médecin à cartographier son cerveau.
Antoine Laubin et Thomas Depryck y connaissent un bout en matière d’adaptation. Mais cette fois, le défi était de taille : il s’agissait de mettre en scène une immobilité forcée, et de donner le beau rôle à la parole tout en évitant la "déclamation", ennuyeuse et peu théâtrale.
Le découpage du récit en trois actes - avant, pendant, après - s’impose tout naturellement et l’idée ingénieuse est d’avoir attribué chaque partie à un comédien différent qui, à travers sa sensibilité propre, s’empare des mots de l’écrivain. Jérôme Nayer raconte les dernières heures avant l’opération, la volonté de rester hyper conscient jusqu’au bout de la nuit en relisant "Hamlet", Hervé Piron prête son humour pince-sans-rire à la description de cet impressionnant marathon chirurgical de huit heures et Renaud Van Camp, presque immobile et sotto voce, évoque le réveil progressif et le lent retour à soi-même. Quant à Antoine Laubin, il assume la parole du médecin, scande régulièrement les heures ou bien joue son propre rôle de metteur en scène.
Pudeur ou volonté de créer une distance ironique ? … dans son livre, Patrick Declerck s’invente un double autobiographique, Alexandre Nacht ("nuit" en allemand et en néerlandais, un nom qui, on s’en doute, n’a pas été choisi au hasard…) et opte pour une narration à la troisième personne.
En résonance avec cette mise à distance, Laubin et Depryck ont choisi très judicieusement de dissocier le récit et son protagoniste, d’offrir à celui-ci une présence autonome sur le plateau. Il est incarné par Philippe Jeusette, intensément présent tout au long du spectacle et parfait dans le rôle de Nacht/Declerck dont il a la puissance physique, la morgue et l’ironie. A la fois sujet et témoin survivant, il reste quasi muet, à part quelques brefs commentaires cyniques pour mieux exorciser l’angoisse, jusqu’à la scène de l’opération, moment fort de la soirée : enfermé jusqu’au cou dans une boîte noire, sa tête seule émerge, offerte au chirurgien bourreau.
En parfaite adéquation avec l’esprit de l’œuvre, ce spectacle très réussi nous fait redécouvrir la plume d’un grand auteur et nous confronte à une expérience humaine exceptionnelle : celle d’un écrivain menacé dans ce qu’il a de plus précieux, la conscience et le langage. Patrick Declerck ne se prend pas pour un héros, il reconnaît que le "vouloir vivre", inhérent à notre nature, l’a poussé à se battre … mais avec dignité et pas à n’importe quel prix. Un fusil de chasse à portée de main au cas où … Car l’important pour lui c’est de pouvoir continuer à écrire. Ses armes, il les trouve aussi ailleurs : dans l’humour, ou chez les philosophes et les écrivains. La reconstruction post-opératoire a été longue et pénible, il a fallu réapprendre chaque son, chaque lettre, chaque geste … Aujourd’hui, Patrick Declerck , plus lucide que jamais, se définit lui-même comme un survivant, un exilé de la vie, toujours en sursis. Avec la conviction de "n’être jamais à lui-même que sa propre illusion". Mais il continue à écrire, et ce dernier opus, devenu passionnant objet théâtral, en est l’éclatant témoignage.
" Crâne " d’après le livre de Patrick Declerck
Adaptation et mise en scène : Antoine Laubin/Compagnie De Facto
Adaptation et dramaturgie : Thomas Depryck
Avec : Philippe Jeusette, Antoine Laubin, Jérôme Nayer, Hervé Piron, Renaud Van Camp et la chienne Tippi
A voir au Petit Varia (production du Rideau de Bruxelles) jusqu’au 16 février
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