Coronavirus : tournant vers une démondialisation ?

Coronavirus : tournant vers une démondialisation ?

© nito100 - Getty Images/iStockphoto

Par RTBF La Première

L’épidémie de coronavirus met en lumière notre dépendance économique aux échanges commerciaux internationaux et plus particulièrement notre dépendance à la Chine. Parfois même ironiquement, lorsque cette entreprise verviétoise de gel désinfectant pour les mains, utile à la prévention du virus, craint de tomber à cours de matière première… parce que certaines viennent de Chine. Alors, sommes-nous trop interdépendants ? L’épidémie de coronavirus est-elle un tournant vers une démondialisation ? Débat entre Arnaud Zacharie, secrétaire général du CNCD-11.11.11 et Mikael Petitjean, professeur de finance à l’UCLouvain dans CQFD.

La démondialisation a déjà commencé

Pour Arnaud Zacharie, il est clair que le coronavirus montre la fragilité de la mondialisation des systèmes de production. Pour autant, nous ne sommes plus à l’apogée de l’interdépendance économique qu’il situe plutôt au moment de la crise de 2008. "Dans les années 90, la Chine s’est profilée comme l’atelier du monde. Ses pièces et ses composantes étaient acheminées partout dans le monde pour être assemblés. C’était des produits made in monde. Et puis en 2008, la Chine s’est rendu compte qu’elle était dépendante des multinationales occidentales qui cherchent à réduire leur coût de main-d’œuvre et en même temps des marchés de consommations qui étaient eux-mêmes en crise. Ça fait donc déjà une bonne douzaine d’années qu’on assiste à une montée en gamme de la Chine. Le pays cherche à fabriquer à un niveau national des composants qu’elle devait importer jusque-là".

La crise de la mondialisation, c'est 2008

Et puis il y a Donald Trump qui s’est lancé dans une guerre commerciale contre la Chine en imposant d’importants droits de douane. Tant et si bien que depuis 2008, on assiste déjà à un processus de relocalisation partielle des activités en Chine et aux États-Unis. Pour Arnaud Zacharie, la crise de la mondialisation c’était en 2008, depuis, une démondialisation a déjà commencé.

Ne pas oublier les bienfaits de la mondialisation

Malgré ce processus de relocalisation de l’économie mondiale, les économies occidentales sont, dans certains domaines, encore très dépendantes de la Chine. Pour Mikael Petitjean, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. "Il faut rappeler que notre système néolibéral a sorti 1,1 milliard de personnes de la pauvreté en une 20 aine d’années. C’est une première dans l’histoire de l’humanité. Et c’est lié à la montée en puissance de la Chine. Certes, il faut repenser notre dépendance à la Chine, dans le secteur pharmaceutique par exemple. De là à remettre en cause la mondialisation…".

Pour Arnaud Zacharie, si la Chine a sorti tellement de monde de la pauvreté c’est grâce à la volonté étatique plutôt qu’au système économique libéral : "Si le néolibéralisme c’est fonder la société sur le marché autorégulateur, en Chine ce n’est pas ça. La main de l’Etat y est on ne peut plus visible. C’est vraiment une stratégie volontariste".

Démondialisation ou transformation de la mondialisation ?

Dès lors que le constat d’une grande dépendance à la Chine est partagé, Michael Petitjean plaide pour repenser certains aspects de cette mondialisation sans la remettre fondamentalement en cause. D’ailleurs pour lui, c’est inéluctable : "La Chine est aujourd’hui une économie d’avantage tournée vers les services, qui s’importent et s’exportent moins que les biens. Structurellement, la mondialisation sera différente demain qu’elle ne l’était hier".

Structurellement, la mondialisation sera différente demain qu’elle ne l’était hier

Pour Arnaud Zacharie, on est plutôt dans une phase de normalisation que de démondialisation : "La situation excessive, c’était avant 2008. Malgré la stagnation depuis, on reste aujourd’hui dans des niveaux élevés d’interdépendance". Dès lors, le secrétaire général du CNCD-11.11.11 prône une société ouverte, de continuer d’avoir des échanges mais qui garantissent des normes sociales, environnementales et sanitaires, "et c’est évident que plus la chaîne de production est longue, plus elle est opaque et difficile à contrôler". Trop longue, en allant aux quatre coins du monde, cette chaîne de production serait trop fragile. Il faudrait donc un juste milieu dans la longueur de la chaîne de production pour garantir une certaine mainmise et le respect des normes.

"Ce n’est pas en fermant nos frontières qu’on parviendra à exporter ces normes dans des pays qui n’y prêtent pas beaucoup d’attention rétorque Mikael Petitjean. Pour lui, il faut absolument continuer d’échanger avec ces pays pour défendre les normes sociales, environnementales importantes à nos yeux. "Si on freine trop le commerce international, les premières victimes ce seront le consommateur européen et surtout les populations qui sont tirées vers le haut quand les échanges internationaux se développent, l’Afrique notamment".

Relocaliser l’activité. Pas si simple…

Quelques que soit le degré et les nuances de démondialisation ou de relocalisation, le problème pour Mikael Petitjean, c’est que c’est long et compliqué : "repenser une chaîne de production éprouvée ça prend des années ! Notamment en raison des normes. C’est beaucoup de travail à modifier. Une autre stratégie beaucoup plus simple pour les entreprises c’est d’avoir des stocks plus importants qu’on peut mobiliser en cas de besoin. Mais ça a un coût permanent que les entreprises vont essayer d’éviter". Le consommateur doit donc être conséquent, s’il veut des produits de qualité et relocalisés qui respectent des normes il doit y mettre le prix pour le professeur de finances.

Pas forcément pour Arnaud Zacharie parce que si on relocalise toutes une série d’activités chez nous, c’est parce que la robotisation le permet. Des robots sur des chaînes de montage permettent aujourd’hui de faire encore moins cher ce qu’une main-d’œuvre bon marché faisait avant à l’autre bout du monde. Les prix plus élevés d’une production locale ne sont donc pas une fatalité.

CQFD, Ce Qui Fait Débat, un face-à-face sur une question d’actualité chaque jour à 18h20 sur La Première et à 20h35 sur La Trois. L’entièreté du débat ci-dessous.

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