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Coronavirus : quelle place sur nos antennes pour les discours qui questionnent la vaccination ?

La rapidité avec laquelle les vaccins ont été développés, c’était l’un des thèmes abordés dans l’émission spéciale QR sur la vaccination.

© RTBF

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Par Un article Inside de Jérôme Durant, Journaliste à la rédaction Info

"Supercherie" ou "émission conduite avec tact et bonne foi" ? Les réactions ont été nombreuses suite à l’émission spéciale QR consacrée à la vaccination, début décembre sur la Une.

Le mail du service médiation de la RTBF a chauffé. Parfois pour des messages de félicitations, mais le plus souvent pour critiquer la forme de cette émission de télé. Des critiques sur lesquelles on a choisi de s’arrêter dans cet article car elles font écho à celles fréquemment reçues ces derniers mois.

 

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Durant plus d’une heure, l’émission a permis à des citoyens de poser toutes leurs questions, depuis leur salon, sur la vaccination. Face à eux, pour leur répondre en plateau, quatre experts : une immunologue, un infectiologue, un pharmacologue et un vaccinologue.

Revoir l’émission QR du 1er décembre 2021

Plusieurs téléspectateurs estiment que la promesse faite en début d’émission n’a pas été tenue. "Alléché par une présentation qui nous annonçait qu’aucune question concernant la vaccination ne serait taboue", Philippe V. a éteint sa télé déçu : "les quatre invité-e-s étaient d’accord sur tout". "Je suis déçue que la partie adverse en défaveur du vaccin ne soit pas représentée par des scientifiques", nous écrit une jeune femme "non-vaccinée qui hésite à se faire vacciner". "Il n’y a que des intervenants pro-vaccin sur votre plateau", enchaîne Alain D., "ceci ne donne pas un bon débat contradictoire".

Mais, justement, s’agissait-il vraiment d’un débat ? Non et de manière assumée. Le présentateur Sacha Daout le mentionne d’ailleurs dès l’entame de l’émission qui vise à "parler de ce qui est le plus généralement et très majoritairement admis par le monde scientifique", mais sans "rien éluder", même ce qui fâche. Sont donc abordés dans cette émission le caractère expérimental du vaccin, les effets secondaires, la vaccination des enfants, les risques pour les femmes enceintes ou encore la méfiance que suscite l’industrie pharmaceutique.

Une émission sans tabou ? Avec le recul, l’éditeur de QR Hugues Angot estime le contrat rempli. "Le but n’était pas de faire un pour ou contre la vaccination. Le but était de soumettre les questions, les doutes légitimes des citoyens, et d’y répondre sans tabou. Mais sans tabou ne veut pas dire laisser diffuser de fausses informations", nuance Hugues.

C’est la raison pour laquelle aucun théoricien affilié à l’idéologie antivaccinale n’a été convié en plateau. "Ces gens sont très largement, pour ne pas dire unanimement, condamnés par la société scientifique", rappelle Sacha. "Ils tiennent des propos qui peuvent être dangereux pour la santé des patients."

Voilà donc pour la réflexion liée à cette émission en particulier. Mais sa diffusion a généré parmi les téléspectateurs d’autres interrogations ou suggestions que nous allons aborder dans la suite de cet article.

La RTBF veut-elle inciter à la vaccination ?

C’est une question qui revient souvent et qu’Inside a déjà traitée ici. A en croire le téléspectateur Ghislain B., il y avait dans cette émission et dans d’autres une "orientation unilatérale […] qui ne répond qu’à une seule motivation : vacciner la terre entière".

Une intention dont se distancie clairement Sacha. "Je n’espérais pas du tout voir les centres de vaccinations se remplir le lendemain matin. On n’est pas là pour forcer les gens à aller se faire vacciner. On n’a pas de mission de conviction, on a une mission d’explication."

La pédagogie, donc, est plus que jamais au centre de nos missions, confirme Thomas Gadisseux. "On est dans une période où les gens ont besoin de réponses", affirme le responsable éditorial politique. "Et pour répondre valablement, on a besoin de gens qui ont un discours construit, étayé scientifiquement et reconnu par leurs pairs."

La RTBF n’a donc pas pour objectif d’inciter à la vaccination. Y parviendrait-elle, de toute manière, à convaincre les sceptiques, avec ce genre d’émission spéciale ? Nous avons posé la question à l’anthropologue Jacinthe Mazzocchetti, qui suit de près la crise sanitaire.

"En regardant l’émission, je me suis dit qu’elle devait faire du bien aux vaccinés sans grande conviction", estime la professeure de l’UCLouvain, "tous ceux qui se posent encore beaucoup de questions : cela les a sans doute confortés dans le choix qu’ils ont fait. Pour les autres, je ne suis pas sûre que cela peut avoir un effet. Et tout à l’extrême des antivax, où l’on trouve des militances proches du complotisme, ils ont leurs propres experts, qui peuvent avoir un chemin du côté de la médecine, mais qui ne sont pas validés par la communauté scientifique. Ces personnes-là, vous, les médias, vous n’arriverez jamais à les satisfaire."

La pédagogie a donc ses limites, selon l’anthropologue, qui attire aussi l’attention sur le "risque d’infantilisation qui génère beaucoup de colère depuis le début de la crise. Pour ceux qui sont en questionnement, il y a une demande de parole moins consensuelle, moins donneuse de leçons. Ceux qui ne se font pas vacciner, ce n’est pas juste parce qu’ils n’ont pas compris, c’est beaucoup plus compliqué que cela", estime Jacinthe Mazzocchetti.

Avec ce genre d’émissions, les journalistes marchent sur des œufs. Le défi est double : il s’agit de donner les informations largement admises par la communauté scientifique, sans donner l’impression de prêcher la bonne parole, de faire du "matraquage", voire de la "propagande médiatique", comme nous accuse Rachel L.

Le défi est d’autant plus difficile à relever, selon notre collègue Arnaud Ruyssen, qu’il y a "chez les méfiants ou les antivax une tendance à caricaturer les propos des spécialistes qu’on invite", explique celui qui coprésente l’émission d’information Déclic, en fin d’après-midi sur La Première. "Quand tu écoutes bien les immunologues, ils ne disent pas qu’il y a zéro problème, que c’est absurde de critiquer le vaccin. Ils reconnaissent que c’est une technologie vaccinale nouvelle, ils ne nient pas certains effets secondaires. Ils disent tout cela, tout en constatant une balance bénéfice/risque extrêmement favorable à la vaccination. "

Quelques recherches sur notre site internet permettent d’ailleurs de constater que s’il y a "unanimité des experts sur les grandes guidelines", comme le résume Thomas, il y a bien également des "différences de discours à la marge". Que cela concerne l’obligation vaccinale généralisée, celle du personnel soignant ou encore celle des enfants ou des personnes âgées et immunodéprimées, il y a toute une palette de nuance parmi les avis exprimés sur le site de la RTBF.

Revoir le plateau JT du 20 décembre consacré à la vaccination des enfants

La RTBF doit-elle diversifier ses plateaux ?

Évoquant l’émission spéciale QR sur la vaccination, le téléspectateur Jean D. fait cette suggestion : pour comprendre "pourquoi les antivax sont ainsi irréductiblement ancrés dans leurs convictions, il y aurait pu y avoir sur le plateau, non seulement des "scientifiques", mais aussi des "psy"".

Sacha et Hugues ne ferment évidemment pas la porte à ce genre de plateau. "Inviter des psychologues, des philosophes, la Ligue des droits humains, on l’a beaucoup fait par le passé", explique Hugues. "On n’a que quatre places au centre. On a donc pris les quatre spécialités liées au vaccin." "Cette fois-ci, on a choisi le prisme scientifique", complète Sacha, "pas celui des sciences humaines".

Un plateau plus mélangé, plus panaché, plus diversifié, c’est aussi une piste que suggère l’anthropologue Jacinthe Mazzocchetti. "Si on avait quelques experts en sciences sociales, cela ouvrirait d’autres questions. On serait sur un autre registre, pas uniquement sur l’efficience du vaccin. Je crois qu’un plateau mélangeant des experts en sciences sociales et des experts en santé, cela permettrait un dialogue intéressant. Des choses très pertinentes pourraient ressortir d’une discussion comme celle-là."

Plus généralement, selon Thomas, la diversité de nos intervenants ne doit pas s’analyser émission par émission. "Elle se fait tous les jours, sur toutes nos plateformes, on la recherche en permanence", explique le responsable éditorial politique. "La diversité des profils s’illustre par les employeurs différents de nos experts, par leur obédience différente, on recherche aussi une diversité géographique."

A quand un débat incluant des théoriciens "antivax" ?

C’est une demande lancinante parmi les nombreux commentaires parvenus au service médiation de la RTBF suite à l’émission spéciale de QR sur la vaccination : "un vrai débat avec autour de la table des pour, des contre et des entre les deux, cela ferait la différence", estime une citoyenne anonyme qui hésite à se faire vacciner.

Selon Patrick D., "vacciné convaincu", cela pourrait même souligner les failles du discours remettant en cause les bienfaits de la vaccination : "cela permettrait, je crois, de mettre en évidence la manipulation ou la désinformation voulue ou pas de ces personnes. Cela m’aiderait aussi à m’enrichir d’arguments à pouvoir utiliser lors de débats "amicaux" avec mes amis anti-covax", nous dit Patrick D.

A la RTBF, Sacha n’est pas favorable à la tenue d’un tel débat. "Il ne s’agit pas de savoir si on est pour ou contre le nucléaire, l’heure d’été ou l’heure d’hiver. Il s’agit de savoir comment on sauve la vie des gens. En tant que journaliste, on doit se poser la question : ne met-on pas en danger l’opinion publique en laissant passer des opinions comme celles-là ?" C’est le même genre de crainte qui anime Thomas à l’idée d’un tel débat contradictoire : "c’est 15 fois plus compliqué de démonter une fake news que d’expliquer une news".

Au centre des doutes émis par les journalistes RTBF, il y a la question de l’expertise de celles et ceux qui militent au sein du courant anti-vaccination, la question de la validation de leurs savoirs par la communauté scientifique.

"Quels sont ces experts unanimement reconnus qui doutent de la vaccination ?" interroge Thomas sans trouver de réponse. "De l’OMS au Conseil supérieur de la santé en passant par l’ABSYM, il y a un consensus. Ce ne sont pas les médias qui organisent ce consensus, c’est un consensus scientifique. On adopte donc le même raisonnement qu’avec les climatosceptiques."

 

►►► A lire aussi sur la page INSIDE de la rédaction : "Un an de crise du coronavirus : avons-nous bien rempli notre mission d’information ?"

 

Arnaud fait lui aussi le parallèle entre remises en question de la vaccination et du réchauffement climatique. "C’est un peu comme si je mettais, à la même table, trois climatologues et un agriculteur des Pyrénées qui constate, lui, dans ses champs, que le climat s’est plutôt refroidi ces dernières années. Non, ça ne va pas. Si tu fais ça, tu triches car tu laisses à penser que ce sont deux opinions qui se valent. Or, on n’est pas ici dans un débat d’opinion. Il y a un très large consensus parmi les experts qui étudient de près ces questions d’immunité pour dire que la vaccination a changé complètement la donne en médecine", explique le journaliste qui a réalisé, pendant un an avec notre collègue Johanne Montay, un podcast radio hebdomadaire intitulé "Derrière les chiffres du Covid".

Mais alors, quelle place pour le débat et pour le doute ?

Pour Sacha, les choses sont très claires. "Qu’il y ait un débat sur la vaccination obligatoire, je n’ai aucun problème avec cela, c’est de l’éthique", explique le présentateur télé, "mais se demander si un vaccin, c’est bon ou pas bon pour l’évolution du traitement d’une pandémie, j’estime qu’il n’y a pas de débat là-dessus. La réponse est : c’est bénéfique."

Selon cette conception, c’est donc non à un débat sur l’intérêt de la vaccination en général, mais oui à des débats ciblés, entre autres, sur l’obligation vaccinale, la vaccination des enfants, ou celle des personnels soignants. "On a illustré ces doutes-là", explique Thomas. "On a par exemple montré que le mouvement de grogne dans les hôpitaux a touché des non-vaccinés comme des vaccinés, qu’il allait bien au-delà des récalcitrants. Cette parole-là, on l’a entendue."

Manifestation du personnel soignant, ce 7 décembre à Bruxelles.
Manifestation du personnel soignant, ce 7 décembre à Bruxelles. © Belga

Arnaud invite aussi à élargir notre spectre habituel. A s’ouvrir aux stratégies de protection présentées par certains comme complémentaires à la vaccination. "On pourrait faire un débat "doit-on doper notre immunité naturelle ?" et inviter des naturopathes qu’on mettrait face à des immunologues pour voir si cette piste peut changer la donne."

En outre, et comme déjà évoqué dans cet article Inside, la RTBF veut s’intéresser, dans toutes ses nuances, aux raisons qui poussent un Belge adulte sur dix à refuser la vaccination.

 

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