Coronavirus : les usagers de drogues, population à risque oubliée ?

70% des personnes auxquelles sont confrontées les associations n'ont pas de "chez soi".

© KENZO TRIBOUILLARD - AFP

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Par Johanna Bouquet

La pandémie du coronavirus crée une situation d’urgence pour tout le personnel sanitaire en première ligne. Une urgence que le manque de masques, de matériel de protection ou encore de tests de dépistage ne fait qu’exacerber. Alors que le gouvernement a établi une liste des personnes prioritaires pour recevoir du matériel de protection, les associations qui travaillent auprès des usagers de drogues se sentent oubliées, notamment par le niveau fédéral. Ils travaillent auprès d’une population précarisée, souvent sans-abri, sans matériel de protection.


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Une population, qui pourtant, est considérée comme principalement à risque avec une santé fragile.

Population précaire exposée

La population des usagers de drogues est principalement une population précaire. Ce sont des personnes qui ont, en temps normal déjà, un accès difficile aux soins de santé, souvent à la rue et très mobile.

Bruno Valkeneers, chargé de communication de l’ASBL Transit qui accueille des usagers, explique. "Chez nous, ils viennent pour se requinquer, dormir un peu, manger et se laver. Puis ils repartent dans la rue. C’est une population extrêmement mobile". Quand on parle de confinement, pour cette population, c’est compliqué, "70% de cette population n’a pas de chez soi".

Ils ont également une santé fragile, qui les rend plus susceptibles d’être contaminés par le Covid-19. "Il y a un souci de comorbidité chez certaines personnes (une pathologie qui rend le patient atteint de COVID-19 plus à même de déclencher une forme sévère de la maladie, ndlr), certains sont atteints du VIH, chez un certain public injecteur par exemple, et un rapport au milieu médical pas toujours simple. C’est une population hyper exposée qui peut développer des symptômes et sans tests nous aurons du mal à pouvoir identifier ces personnes contaminées", décrit Robin Drevet, chargé de projet pour l’ASBL Modus. "C’est un risque de contamination dans une population à risque, donc c’est potentiellement létal", ajoute-t-il.


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En somme, les usagers de drogues pourraient être un foyer de contamination possible. Mais les mesures de confinement réduisent drastiquement les marges de manœuvre des associations et donc la possibilité de garder pleinement le lien avec cette population. Ce qui empêche à la fois de leur venir en aide mais également de les identifier et donc les orienter.

Et puis, en cas de contamination où les loger ? Médecins Sans Frontières a installé un centre de triage et d’accueil à Tour & taxis à Bruxelles. Mais cela risque de ne pas être suffisant. "En 2018, on comptait 4287 sans-abri, rien qu’à Bruxelles", nous informe Bruno Valkeneers.

Un personnel non protégé

A cela s’ajoute le manque criant de matériel de protection pour le personnel de ces associations, en première ligne, ou plutôt sur une autre ligne, "la ligne 0,5" comme le dit Bruno Valkeneers. Pour obtenir du matériel de protection, du gel désinfectant, "c’est le système D", dit-il. "Plus personne n’a rien donc c’est effectivement une grosse galère pour avoir des masques et du gel hydroalcoolique", ajoute Robin Drevet.

Certains hôpitaux sont solidaires et viennent en aide officieusement à ces associations, quelques masques et de quoi "aller chercher du gel avec des bidons dans une cuve que l’on reconditionne pour ensuite les donner". La débrouille.

Certaines associations doivent elles-mêmes reconditionner du gel hydroalcoolique pour pouvoir ensuite le redonner.
Certaines associations doivent elles-mêmes reconditionner du gel hydroalcoolique pour pouvoir ensuite le redonner. © D.R

Robin Drevet explique : "on n’a pas de quoi s’équiper. A Bruxelles, au niveau de la Région, ça commence à bouger. Mais en Wallonie ils ont fourni 2000 masques il y a deux semaines. Plein de services ont fermé. Si on souhaitait que tous les services fonctionnent normalement, il faudrait 2000 à 3000 masques FFP2 par semaine, plus des masques pour les usagers."

"On a le sentiment de désamorcer une bombe sanitaire et de ne pas en avoir les moyens", résume ainsi Bruno Valkeneers.

Une crise dans la crise

Affronter le COVID-19 en même temps que la toxicomanie ne risque pas d’être simple effectivement. Fermeture des frontières, donc par endroits, c’est de plus en plus difficile de trouver son produit, comme de trouver l’argent pour se le procurer. Le risque ? Des risques de crise de manque extrêmes qui pourraient avoir des répercussions d’ordre psychologiques, informent les associations.

En plus, nombre de services fournissant des produits de substitution ont réduit leur activité. Coronavirus oblige. Par exemple, nous explique Robin Drevet, certains centres qui fournissent de la méthadone (le produit de substitution de l’héroïne, ndlr) n’acceptent plus de nouveaux patients. Difficile pour une personne dépendante à l’héroïne, ne trouvant pas le produit sur le marché, de trouver le substitut. Difficile aussi pour une personne qui voudrait décrocher.

"Il faut comprendre que pour les personnes qui consomment des opiacés cela a une fonction d’antidouleur, cela calme leur stress. En cas de manque, ils vont se retrouver dans des situations de très grandes douleurs. Ils vont devoir avoir recours au sevrage forcé. Ce qui pourrait provoquer des crises d’anxiété à répétition, des sueurs froides, des douleurs chroniques qui reviennent et parfois une décompensation au niveau psychologique", décrit Robin Drevet.

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