Un projet ambitieux…
Les pionniers de l’Europe visaient haut.
Ils proposaient la création d’un marché commun des médicaments et du matériel médical. Mais aussi une assurance maladie harmonisée à échelle européenne, comme la formation du personnel soignant. Et la construction d’hôpitaux et de laboratoires de recherche européens.
L’objectif était double : protéger la santé des Européens de manière solidaire, ce qui n’était significatif au sortir de la guerre. Mais c’était aussi et surtout un pas de plus vers une unification politique européenne. Par ces réalisations communes concrètes, bétonner la paix sur le continent.
La "Communauté européenne de la santé", appelée aussi le "pool blanc" de l’Europe, aurait rejoint le "pool noir" du charbon et du "pool vert" de l’agriculture.
…Resté dans l’œuf
Mais ce " pool blanc " n’a jamais vu le jour.
Le projet était bien avancé mais il a capoté, pour plusieurs raisons.
Il y a eu une forte opposition des entreprises pharmaceutiques, alors nationales, qui ont eu peur de perdre leur marché. Dans le corps médical, il y avait la crainte d’une concurrence déloyale liée à une plus grande mobilité du personnel soignant entre pays.
Il y a ensuite des changements politiques en France, le pays qui portait ce projet. Enfin, il y a eu un réflexe nationaliste, souverainiste des gouvernements qui ont préféré garder la main sur leurs soins de santé.
Et ce réflexe prime encore aujourd’hui.
L’Europe pas aux commandes, mais en appui
Depuis les années 50, les choses ont quand même bougé.
La santé publique est effectivement restée une compétence des Etats-membres mais l’Union peut leur venir en soutien. Elle complète les actions nationales.
Sa mission : améliorer la santé publique, informer, prévenir, favoriser la recherche ; surveiller, lancer des alertes, lutter contre les menaces transfrontalières.
Mais pour l’essentiel, elle agit à travers des mesures d’encouragement, des recommandations. La possibilité pour l’Union d’adopter des mesures contraignantes en matière de santé est extrêmement limitée.
Cette limite est bien perceptible aujourd’hui.
Le Coronavirus pourrait-il ranimer ce projet d'"Europe de la santé ?"
En regardant en arrière, on constate que les crises successives ont permis à l’Europe de grappiller un peu d’influence en matière de santé.
Il y a une quinzaine d’années par exemple, suite à l’épidémie de SRAS (Syndrome Respiratoire Aigu Sévère), l’Union européenne a créé le "Centre européen de prévention et de contrôle des maladies". Cet organe de 300 personnes évalue les risques sanitaires, publie des analyses scientifiques, émet des recommandations. Une action à portée limitée toutefois, puisque les ressources de cette agence sont limitées et ses recommandations ne sont pas contraignantes. Les Etats-membres en font d’ailleurs un usage très libre.
Cette nouvelle crise, d’ampleur inédite, pourrait-elle faire bouger les lignes de façon tout aussi inédite ? Voire ranimer cette "Union de la santé" qu’avaient lancée les pionniers de l’Europe ?
Claire Dhéret, chargée des recherches sur l’Europe sociale et du bien être au sein du think tank European Policy Center, estime que certaines lignes ont déjà bougé : "L’Union européenne a déjà pris des initiatives depuis le début de cette crise. Par exemple la création d’une réserve médicale, un stock de matériel pour s’assurer que les respirateurs, les masques puissent aller aux Etats dont le besoin est accru. Tout cela se met en place dans l’urgence au fil de la crise. Une des leçons sera donc de se demander après coup comment faire de ces outils temporaires des instruments permanents au niveau européen".