Santé physique

Coronavirus : Kraken, le surnom du dernier descendant d’Omicron. Que sait-on ?

A new coronavirus subvariant XBB.1.5, nicknamed Kraken, sublineage of Omicron BA.2.

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Arrière-petit-fils d’Omicron, voici Kraken, le nouveau sous-variant tout droit venu des Etats-Unis, et qui inquiète quant à une éventuelle propagation.

Jamais entendu parler de lui ? C’est un petit surnom, que lui a donné un biologiste canadien. De son vrai nom scientifique, XBB.1.5, "Kraken" est venu d’outre-Atlantique, et non de la "libération" des voyageurs chinois. Surnommé du nom du monstre marin géant, mi-pieuvre, mi-calamar très connu dans la culture anglo-saxonne, XBB.1.5. rappelle les débuts d’Omicron de par sa rapidité de diffusion. Mais que sait-on vraiment de lui ?

Les surnoms de Ryan

C’est T. Ryan Gregory, professeur de biologie de l’évolution à l’Université de Guelph, en Ontario (Canada), qui a commencé à donner des surnoms aux sous-variants d’Omicron. Il estimait qu’avec les lettres assorties de chiffres et de points, le commun des mortels ne s’y retrouvait plus. Face à ce qu’il appelle la "soupe des variants" – et des sous-variants issus d’Omicron - il a opté pour le surnom "Kraken", pour désigner le XBB.1.5. Kraken, du nom, donc, de cette créature fantastique issue des légendes scandinaves médiévales, monstre marin capable de faire chavirer des navires.

Contacté par la RTBF, le "père" du "nickname" du dernier sous-variant d’Omicron, justifie son choix par un besoin de pédagogie. "Les lettres grecques utilisées fonctionnaient bien, lorsqu’on avait des variants individuels, mais c’est devenu compliqué de communiquer avec les sous-variants d’Omicron, BA.1, BA.2, BA.5… Et récemment, on a connu une large diffusion de ces sous-variants d’Omicron. Beaucoup d’entre eux se répandent en même temps. Cela devient très difficile d’expliquer ces noms techniques."

Alors XBB.1.5 = Kraken ? Les épidémiologistes en laboratoire ne reprennent pas cette appellation, mais certains médias généralistes, friands de surnoms, l’ont déjà adopté. Alors, si vous entendez parler de Kraken, vous saurez, en lisant ces lignes, de quoi il s’agit.

T. Ryan Gregory donne par ailleurs depuis plusieurs mois un surnom aux sous-variants antérieurs d’Omicron : tout une mythologie pédagogique. "Ce qui me préoccupe, c’est l’idée selon laquelle, Omicron, c’est toujours Omicron. En réalité, ces sous-variants sont fort différents", explique le biologiste canadien.

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Des surnoms inusités dans la communauté scientifique

Dans les cercles où l’on pratique la surveillance génomique, tout le monde ne partage pas ces appellations mythologiques. Sans en faire un point de conflit, Simon Dellicour, chercheur FNRS au Laboratoire d’Epidémiologie Spatiale de l’ULB, ne trouve pas utile de donner de tels surnoms à des sous-variants du SARS-CoV-2. "Il faut distinguer communication scientifique et communication avec le grand public", dit-il. "Par rapport à la communication scientifique, ça n’a pas d’intérêt parce qu’on utilise le nom des lignées génétiques, ce qui nous permet de nous référer à l’arbre phylogénétique, ce qui est très utile. La communauté scientifique n’utilise donc a priori pas ces noms-là. Et au niveau du grand public – c’est peut-être une question à poser plus à un psychologue ou à un sociologue -, mais moi je ne vois pas trop l’intérêt de mettre des noms de choses qui font peur, parce que quand un nouveau variant émerge, c’est un peu chaque fois la même chose : au début, on a toujours plus de questions que de réponses."

Le professeur de biologie canadien, lui, estime que la population générale, en dehors du cadre scientifique, doit continuer à s’y retrouver dans ces variants. "Je pense qu’il est important", dit-il, "que les gens comprennent quel sous-variant est en train de gagner […] et par exemple que XBB.1.5 ne vient pas de Chine." Ou plutôt"Kraken", comme le biologiste préfère l’appeler pour être plus compréhensible.

Un sous-variant recombinant

XBB.1.5 alias Kraken est donc un descendant, un sous-variant d’une lignée du SARS-CoV-2 baptisée XBB, également renommée, mais "Gryphon", cette fois, par Ryan Gregory, le professeur de biologie de l’évolution canadien amateur de surnoms.

Mais revenons-en à Kraken : cette lignée recombine deux descendants de la lignée BA.2 qui a commencé à grimper au début de l’année dernière, et qui était elle-même une ramification d’Omicron. C’est en cela qu’on peut, pour simplifier, dire qu’il s’agit d’un arrière-petit-fils d’Omicron, comme l’explique le journal Nature.

"Il faut vraiment voir l’évolution du virus comme un arbre qui grandit", explique Simon Dellicour. "Omicron, c’est un grand rameau et en fait, les variants qui circulent depuis maintenant un an, ce sont tous des nouveaux rameaux qui émergent du rameau Omicron de fin 2021 […] XBB.1.5 est un descendant de XBB, qui est lui-même une recombinaison entre deux sous-variants d’Omicron qui étaient en circulation. Une recombinaison fait que deux virus s’échangent une partie de leur patrimoine génétique. XBB avait des mutations associées à l’échappement immunitaire. La différence entre XBB et XBB.1.5, c’est qu’il y a de nouvelles mutations et notamment une, spécifique qui a lieu sur la protéine Spike et qui pourrait favoriser sa fixation au récepteur humain ACE2."

Avantage de croissance, évasion immunitaire et points d’interrogation

En d’autres termes, ce que l’on sait à ce jour de "Kraken", c’est qu’il combine une certaine capacité d’échappement immunitaire qu’il a hérité de son parent direct, XBB, et que sa mutation sur la Spike pourrait lui donner des facilités d’entrée dans nos cellules.

Les chiffres aux Etats-Unis semblent d’ailleurs donner raison à ce second élément. Kraken possède là-bas un avantage de taux de croissance, le plus important à ce jour. Par contre, il n’y a pas encore d’analyse sur l’impact qu’il peut avoir sur les indicateurs épidémiologiques. Il n’y a pas non plus d’indication à ce stade qu’il soit associé à une plus grande virulence, c’est-à-dire à une plus grande proportion de formes graves de la maladie.

Selon le CDC, le Centre américain de Contrôle des Maladies, le sous-variant "Kraken" représente désormais 28% des cas de Covid-19 aux Etats-Unis et sa prévalence est en augmentation dans le monde. Les contaminations ont doublé la semaine dernière aux USA. Dans le nord-est du pays, il représente désormais 75% des cas à lui seul. Il y a un mois, il ne représentait que 4%. Et depuis, XBB.1.5. a été détecté dans 29 pays.

"Pour le moment, c’est le variant sur la scène mondiale qui semble être le meilleur candidat pour devenir le nouveau variant dominant, constate l’épidémiologiste Simon Dellicour (ULB). "On pense que si ça continue comme ça, il y a de fortes raisons de penser que cela va être le même scénario dans d’autres régions du monde et donc chez nous. Mais ce n’est pas inédit. On a déjà observé ça quatre fois l’an passé avec BA.1 début 2022, BA.2 avant l’été, BA.5 l’été passé et plus récemment BQ.1. On pense que le 5e épisode Omicron pourrait être associé à XBB.1.5, mais on en aura le cœur net dans les prochaines semaines."

Répartition géographique du sous-variant XBB.1.5
Répartition géographique du sous-variant XBB.1.5 © cov-spectrum.org

Et en Europe ?

En Europe, XBB.1.5 est encore rare.

D’après une plateforme GitHub consacrée à l’enregistrement et au suivi des variants, Kraken ne représentait encore que 1% de toutes les données soumises au cours de la seconde moitié de décembre, mais la fréquence a doublé environ chaque semaine.

D’après les projections, nous pourrions nous attendre à environ 3 à 6% au cours de la première quinzaine de janvier. C’est surtout au Royaume-Uni et aux Pays-Bas que ce sous-variant est le plus observé. En Belgique, il a été détecté, mais de façon très isolée.

N’oublions pas que malgré les mutations, on reste dans la famille Omicron. La bonne nouvelle, c’est qu’il y a toujours cette immunité croisée, qu’elle résulte de nos infections antérieures ou du fait que les derniers vaccins dits "bivalents" intègrent les protéines Spike de sous-variants d’Omicron, comme BA.5.

Kraken malgré son nom de monstre, est un variant à surveiller mais qui ne doit pas nous effrayer. S’il semble plus transmissible et mieux échapper à l’immunité, rien ne permet par exemple de nous inquiéter à ce jour par rapport à sa virulence.

"Certains spécialistes estiment que les gens n’ont pas besoin de savoir ça (ndlr : toutes ces distinctions de variants)", conclut T. Ryan Gregory. "Je ne suis pas d’accord. Je pense que les gens méritent de le savoir. Et c’est ce que je fais comme enseignant en biologie de l’évolution."

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