En novembre 2018, le chef du gouvernement Giuseppe Conte avait visité l’hôpital, s’était engagé à prendre des mesures et avait promis de revenir, ce qu’il n’a pas fait.
De 2013 à 2018, l’ASP, qui n’a pas répondu à plusieurs demandes d’interview de la part de l’AFP, a également fonctionné sans budget. Et, selon un rapport rédigé en 2019 par l’agence de notation Crif, sa dette s’élevait à 420 millions d’euros à fin 2017.
"Normalement, une administration qui n’a pas de budget, on la ferme ou on arrête quelqu’un", s’étonne Bruna Filippone, une habitante de la ville qui en février a créé un groupe citoyen appelé "Défendons l’hôpital".
Interrogé par l’AFP, un médecin de l’hôpital de Locri ayant demandé l’anonymat, a de son côté présenté l’ASP comme "l’agence la plus paralysée d’Italie". Quant à l’hôpital, il offre selon lui "un service digne du tiers-monde".
L’Italie offre à tous ses citoyens un système de santé gratuit, mais la qualité du service est très variable selon les régions, et le Mezzogiorno, le sud du pays, est à la traîne.
"En Italie, la Constitution nous garantit un droit à la santé. Ce droit n’a jamais été respecté à Locri", assure ainsi le maire Giovanni Calabrese.
Le budget de la santé étant alimenté dans chaque région par les impôts sur les revenus et sur les entreprises, les zones les plus pauvres, comme la Calabre ou la Campanie voisine, où chômage et travail au noir sont très présents, sont moins bien loties.
Mais le manque d’argent n’est pas une explication suffisante. En plus d’un manque cruel d’effectifs et de matériel, les experts pointent également la corruption, le crime organisé et le népotisme.
Quelques cas spectaculaires ont été documentés, comme celui d’une femme hospitalisée à Naples dans un lit infesté de fourmis ou celui d’un médecin nettoyant les seiches de son futur dîner dans un évier d’un hôpital calabrais. Mais les problèmes structurels ne sont pas traités.
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Niveaux inadéquats
En 2019, un rapport de la Commission européenne sur le système de santé italien avait montré que les habitants du Sud avaient par rapport à ceux du Nord "une probabilité presque multipliée par deux" de ne pas pouvoir faire traiter un problème de santé. Les trajets jusqu’aux structures de santé et les temps d’attente sont également plus longs.
La même année, la Cour des Comptes estimait qu’en Calabre, "les services offerts restent à des niveaux inadéquats" et l’ASP a une dette faramineuse de 213 millions d’euros.
Et selon l’indice LEA sur les niveaux de prestations essentielles dans le domaine de la santé, la Calabre se classe dernière des 20 régions d’Italie.
Les inégalités peuvent prendre diverses formes. Selon l’agence nationale des statistiques Istat, la Calabre compte ainsi le nombre de lits d’hôpital par habitant le plus bas du pays, avec 81 pour 1000, contre 138 pour 1000 en Emilie-Romagne, dans le Nord.
De la même façon, en 2018, seules 35% des victimes d’une fracture de la hanche étaient opérées dans les 48 heures en Calabre, contre près de 80% en Toscane et 60% pour la moyenne nationale.
En conséquence, de très nombreux Calabrais vont vers le nord pour se faire soigner. Selon le médecin de l’hôpital de Locri interrogé par l’AFP, la structure s’occupe essentiellement de cancers en phase terminale, de crises cardiaques ou de maladies chroniques chez des patients âgés qui ne peuvent plus voyager.
"Pour tout le reste, de 0 à 60 ans, tu ne viens pas te faire soigner à Locri. Tu prends un avion et tu vas à Milan".
Le cas de Locri n’est pas isolé en Calabre. A 40 minutes de voiture de là, l’hôpital de Polistena manque selon son maire de radiologues, d’anesthésistes, de pédiatres, de spécialistes de soins intensifs et de matériel.
Quant au responsable régional de la Protection Civile en charge du coronavirus, Domenico Pallaria, il a démissionné la semaine dernière après avoir déclaré dans une interview télévisée qu’il ne savait pas à quoi servait un respirateur et que la question du matériel médical ne l’intéressait pas.