En pleine pandémie de covid-19, le port du masque fait partie des six règles d’or en Belgique. S’il n’est plus obligatoire systématiquement en rue depuis quelques jours, il reste un indispensable pendant les rencontres en intérieur, et donc fatalement pendant les cours à l’école ou à l’université. Une mesure nécessaire et peu confortable, voire sérieusement handicapante pour les cours de langues : comment apprendre à bien parler une langue étrangère si l’on ne voit pas la bouche du professeur ? "Une langue, ça se parle, note Carsten Booth, pédagogue au centre CLL. On est plus impactés qu’un cours de maths…"
►►► À lire aussi : Coronavirus : les huit moments-clés de l’obligation du port du masque à Bruxelles
"C’est une barrière symbolique", affirme Benoît Gridelet, responsable pédagogique chez Berlitz. S’il comprend la nécessité de se protéger du virus, que ce soit pour les élèves ou les enseignants, il confirme que sur plusieurs points, la tâche est beaucoup plus ardue avec un masque sur le visage. "Les professeurs de langues aiment bien souvent mimer la place des lèvres, par exemple", explique-t-il.
En effet, c’est comme ceci que les apprenants peuvent assimiler des sonorités qui n’existent pas dans leur langue maternelle. "Il y a des sons particuliers à certaines langues, le 'th' en anglais, le 'g' en néerlandais, précise Carsten Booth. Avec le masque, on entend moins bien donc c’est moins facile à reproduire."
Ça nous fait réfléchir à la place du regard et du corps
D’autant plus que dans l’enseignement actuel des langues, les cours se tournent davantage vers l’immersion que la simple traduction. "C’est doublement difficile, il faut penser dans une autre langue, affirme le pédagogue du CLL. Il faut essayer de viser une certaine précision." Alors pour y arriver, les professeurs ont mis au point des stratégies. "Nous avons créé des post-it smiley, pour indiquer qu’on rigole, qu’on hésite…", raconte Benoît Gridelet. Il y a aussi des posters explicatifs, des vidéos, des bandes audio.
La question des masques transparents est également évoquée. Chez Berlitz, on y réfléchit mais on note que ce n’est pas "évident" de s’en procurer, estime Benoît Gridelet. Au CLL, Carsten Booth a remarqué que certains professeurs en avaient acheté de leur propre chef, mais il n’est pas encore à l’ordre du jour d’investir dedans pour toute l’équipe.
►►► À lire aussi : Coronavirus en Belgique : suis-je à risque si j’ai un contact rapproché avec une personne infectée, mais que nous avons tous les deux un masque ?
L’absence de visibilité de la bouche de l’enseignant a permis en quelque sorte de réinventer la façon de transmettre les connaissances et les pratiques. "Ça nous a fait réfléchir à la place du regard et du corps, au-delà de la bouche, note Benoît Gridelet. Un des avantages du masque, c’est que le fait d’avoir cette barrière nous fait prêter plus attention à l’intonation et l’articulation", ajoute-t-il. "Il faut faire attention de bien énoncer, de plus projeter sa voix", renchérit Carsten Booth, qui précise qu’il recommande aux enseignants du CLL de faire de l’échauffement vocal et de se faire coacher pour bien soutenir leur voix.
Certains élèves sont repassés à la visioconférence, à cause du masque !
Quoi qu’il en soit, les pédagogues ne s’alarment pas de la situation. "Nous sommes tous dans le même bateau, on sait qu’il faut le porter, admet Benoît Gridelet. On doit trouver des petites idées pour encourager les élèves à porter le masque." Même optimisme chez Carsten Booth, qui dit être "très compréhensif" vis-à-vis des élèves. "C’est fascinant de voir comment ils arrivent à surmonter les obstacles", affirme-t-il. Il met l’accent sur les techniques de répétition collective, lorsque les élèves tentent d’assimiler la prononciation tous ensemble. "Si on entend un peu moins bien, on a le soutien de tous les autres", remarque le pédagogue, qui se réjouit de voir que cela crée "une bonne cohésion de groupe."
►►► À lire aussi : Port du masque : et si cela améliorait notre communication avec les autres ?
Pendant le confinement, les cours se donnaient par visioconférence. Mais si le port du masque pose problème, pourquoi avoir tenu à revenir en présentiel ? C’est d’abord une question de fréquentation, donc financière, note Benoît Gridelet, de Berlitz : "Nous avons perdu beaucoup d’étudiants pendant le confinement, nous ne pouvions pas nous permettre d’en perdre encore." La visioconférence n’est en effet pas toujours accessible pour tout le monde. Même si, remarque le responsable, "certains élèves qui étaient revenus au centre au déconfinement sont repassés à la visioconférence, à cause du masque justement !"
Au-delà de la question de la fréquentation, les professeurs admettent qu’il est plus concret et aisé de suivre des élèves en présentiel. "Nous avons une bonne plateforme en ligne, mais le plaisir du présentiel nous manquait terriblement", affirme Carsten Booth. Il y a un vrai "plaisir d’être ensemble", ajoute-t-il, expliquant qu’en plus de cela, avoir les élèves en face permet de mieux voir "l’impact direct de ce qu’on fait."