Ici encore, les auteurs portent une affirmation définitive à une question qui reste largement ouverte, complexe, et pour laquelle il y a lieu de porter une vue nuancée. L’avis du JCVI est loin d’être le seul, et d’autres groupes d’experts ont abouti à des conclusions différentes qui devraient également être mentionnées. En outre, pour appuyer cette affirmation, les auteurs de la lettre citent différents articles sur le rôle des enfants dans la transmission, mais aussi des articles qui n’ont strictement rien à voir, traitant, par exemple, de l’effet des mesures non pharmaceutiques sur la santé mentale des enfants (Tanir et al. 2020, Aleksandrov & Okhrimenko 2020).
Quel rapport avec la vaccination ? La référence Johnson et al. (2018) n’a elle strictement rien à voir avec la Covid-19 et porte sur le lien entre santé mentale des adultes et dépression des adolescents. En réalité, la liste des "sources" ne comporte aucune étude sur la balance risque/bénéfice des vaccins vis-à-vis de l’infection chez les enfants.
De nombreux travaux ont montré que les enfants et adolescents peuvent transmettre la maladie à l’échelle du foyer, même s’il y a effectivement un consensus sur le fait qu’il est probable qu’ils contribuent moins à la transmission que les adultes. Par ailleurs, les travaux non cités par les auteurs de la lettre, disponibles à ce jour et portant sur la tranche d’âge 12-17 ans, indiquent un risque d’hospitalisation plus élevé pour les individus non vaccinés que chez ceux entièrement vaccinés, avec un bénéfice de la vaccination augmentant avec l’âge, allant de 2 à 10 fois plus de risque lié à l’infection qu’à la vaccination (Delahoy et al. 2021, Bozkurt et al. 2021).
Pour mesurer précisément cette balance risque/bénéfice, et en prenant le risque spécifique de péricardites/myocardites lié aux vaccins à ARN messager, il y a lieu de prendre trois éléments en considération : la prévalence de la maladie dans la population générale, le risque lié à l’administration des vaccins et le risque lié à la maladie Covid-19. Lorsque la prévalence de cette maladie a été déterminée dans la population avant l’émergence de la Covid-19, la myocardite était diagnostiquée chez 10 à 20 individus par 100.000 individus et par an, et ce plus fréquemment chez les individus jeunes et chez les hommes (Bozkurt et al. 2021).
D’après les données collectés et publiées par les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) aux États-Unis, 12,6 cas de myocardite/péricardite ont été signalés par million de secondes doses de vaccin à ARN messager administrées à des personnes âgées de 12 à 39 ans. Cela représente un risque de myocardite 3,2 fois plus élevé par rapport au risque estimé pour la population générale (Barda et al. 2021).
Le dernier élément à signaler est qu’il a été estimé que les patients atteints de Covid-19 ont 16 fois plus de risque de myocardite par rapport aux patients qui n’ont pas de Covid-19, ce risque variant en fonction de l’âge. Par exemple, le risque est 32 fois plus élevé pour les personnes de moins de 16 ans (Boehmer et al. 2021). Finalement, en ce qui concerne cette manifestation clinique spécifique, la balance des risques entre le vaccin Covid-19 et la maladie Covid-19 semble être en faveur de la vaccination pour les adolescents de plus de 12 ans.
Il est également surprenant que les conséquences à court et à long terme de l’infection chez l’enfant et l’adolescent semblent avoir peu de poids dans cette affirmation qui n’envisage la question que sous le prisme du risque d’hospitalisation. Pourtant, plus de 500 enfants (<18 ans) sont morts de la Covid-19 depuis le début de la pandémie aux États-Unis (données rapportées ici).
Le Covid long, qui est connu pour affecter les enfants, les adolescents et les jeunes adultes (Blomberg et al. 2021), n’y est même pas mentionné. Enfin, dans un contexte où les adultes sont bien protégés par des taux de vaccination élevés, il est probable que les interventions non pharmaceutiques collectives ne soient plus maintenues en place pour maintenir la circulation globale du virus à un niveau relativement bas. Tant que le taux d’hospitalisation reste faible, les pays pourraient en effet laisser la transmission se développer, exposant les enfants, les adolescents et les adultes non vaccinés à des niveaux de transmission jamais atteints auparavant.
Références additionnelles :
* Barda et al. (2021). Safety of the BNT162b2 mRNA Covid-19 vaccine in a nationwide setting. New England Journal of Medicine 385 : 1078-1090
* Boehmer et al. (2021). Association between COVID-19 and myocarditis using hospital-based administrative data — United States, March 2020 – January 2021. Centers for Disease Control and Prevention (CDC), Morbidity and Mortality Weekly Report 70 : 1228-1232
* Bozkurt et al. (2021). Myocarditis with COVID-19 mRNA vaccines. Circulation 144 : 471-484
* Blomberg et al. (2021) Long COVID in a prospective cohort of home-isolated patients. Nature Medicine volume 27, pages 1607-1613
* Delahoy et al. (2021). Hospitalizations associated with COVID-19 among children and adolescents — COVID-NET, 14 states, March 1, 2020 – August 14, 2021. Centers for Disease Control and Prevention (CDC), Morbidity and Mortality Weekly Report 70 : 1255-1260
* Hause et al. (2021). COVID-19 vaccine safety in adolescents aged 12 – 17 years — United States, December 14, 2020 – July 16, 2021. Centers for Disease Control and Prevention (CDC), Morbidity and Mortality Weekly Report 70 : 1053-1058
* Schleiss et al. (2021). Children are the key to the Endgame : A case for routine pediatric COVID vaccination. Vaccine 39 : 5333-5336