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Coronavirus : de la crise sanitaire au risque psychologique

Xavier Noël, docteur en psychologie, chercheur permanent au F.R.S/FNRS – Université Libre de Bruxelles (ULB).

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Par Xavier Noël

Covid-19, pandémie, confinement total, ces mots sont source d’anxiété mais ils nous sont désormais familiers. Le confinement strict s’impose pour réduire l’embolie de nos unités de soins intensifs (USI) [1]. Cette guerre sanitaire est exigeante pour la population et pour nos soignants. Ce confinement peut stimuler notre créativité, le vivre ensemble autrement, notamment de manière plus solidaire. Toutefois, les risques pour la santé mentale sont néanmoins réels et doivent être évoqués afin de les prévenir efficacement.

Une étude de synthèse récente examine les travaux scientifiques portant sur les effets psychologiques des confinements passés consécutifs au SARS (Severe Acute Respiratory Syndrome), à Ebola et aux grippes H1N1 et équine [2]. Selon les résultats, le personnel hospitalier présente un risque persistant accru de souffrance psychologique tels que du stress aigu, de la fatigue, de l’irritabilité et du détachement envers les autres.

Trouble de stress post-traumatique

Pire encore, au cours des 3 années suivantes, le risque est 4 fois supérieur de manifester un trouble de stress post-traumatique chez les enfants. Pour les soignants, le risque de dépression à long terme est 3 fois plus élevé.

Nous ne sommes pas égaux face au risque psychopathologique. Les personnes présentant un trouble psychologique avant la quarantaine sont plus à risque de manifester une souffrance mentale persistante.

Un point essentiel concerne la durée du confinement, le risque psychopathologique étant plus élevé lors des périodes de confinement longues et solitaires. Par ailleurs, la peur d’être contaminé persiste au cours des mois suivants la levée du confinement, ce qui réduit les contacts sociaux durablement.

Craindre de manquer de ressources de première nécessité est un facteur de risque également, comme c’est aussi le cas lorsque les informations fournies à la population manquent de précision et de cohérence.

Enfin, la crainte d’être exposé à des difficultés financières augmente la souffrance psychologique durable chez les personnes ayant de faibles revenus faibles.

Rassurer et favoriser les actions solidaires

Dès lors, protéger le pouvoir d’achat des plus démunis, limiter les "fake news", rassurer la population de l’absence de pénurie alimentaire, favoriser les échanges sociaux notamment en permettant de l’accès non-coûteux aux technologies de communication sont autant de mesures préventives des troubles mentaux. Prendre soin des soignants est primordial. Il s’agit de favoriser les actions solidaires telles que la création d’espaces de paroles ainsi que fournir des moyens de protection (masques, gel hydroalcoolique).

Pour les jeunes scolarisés, l’enseignement par vidéoconférence, par e-learning, doit être organisé et l’accès aux ressources informatiques pour tous garantis par les pouvoirs publics. Renforcer le sens de l’altruisme est important, notamment en offrant aux personnes qui le souhaitent de participer aux services de première nécessité.

Crise inédite

Même si ces recommandations sont essentielles, il nous faut signaler le caractère inédit de la présente pandémie. En l’occurrence, le confinement est global (et pas seulement centré sur les groupes à risques) et la durée utile est incertaine, son efficacité n’est pas visible à court terme et les traitements médicaux efficaces sont sujets à controverse. L’incertitude est source d’inquiétude comme le démontrent les neurosciences. En effet, les situations incertaines déclenchent des réactions cérébrales associées aux émotions négatives [3].

La connaissance est produite par la redondance et la régularité des événements, ce qui permet d’établir des modèles de prédiction valides. Le caractère inédit de la présente crise sanitaire permet néanmoins de formuler des recommandations.

Le retour d’expérience des confinements chinois et italien indique une augmentation des violences intrafamiliales faites aux femmes, souvent en présence de leurs enfants. Cette observation est compatible avec l’augmentation de la colère et de l’agressivité lors des périodes de confinement que d’autres pays confinés ont connues par le passé. Un autre aspect négatif de notre confinement concerne notamment l’augmentation des conduites addictives. Par ailleurs, nos professionnels de santé mentale proposent à leur patient la poursuite de la prise en charge, par téléphone ou par vidéoconférence.

Etablir des rituels de vie

Au motif de la prévention, des recommandations aux familles confinées peuvent être formulées. Etablir des rituels de vie permet des repères temporels utiles pour structurer le fonctionnement mental de chacun. La délimitation des espaces de vie commune, fussent-ils de petites tailles et privatifs bien distincts est de la plus haute importance. Il s’agit de permettre de satisfaire les besoins de l’adolescent à la fois soucieux d’établir un contact avec ses proches mais aussi de s’isoler pour notamment interagir confidentiellement avec ses pairs.

Une autre recommandation consiste à responsabiliser chacun des membres de la famille, à décider ensemble de tâches à réaliser pour le bien commun, et cela à la mesure des capacités de chacun. Il faudra aussi favoriser le dialogue, laisser s’exprimer les émotions et les doutes au sujet des circonstances sanitaires exceptionnelles que nous traversons.

Les enfants entendent souvent parler de la dangerosité des virus, au point où ils peuvent s’inquiéter pour la santé de leurs grands-parents. Une information claire et adaptée aux capacités de compréhension des jeunes est essentielle. Suivre sans cesse les chaînes d’informations continues peut être anxiogène et il est souhaitable que les parents transmettent une information synthétique et fiable, laquelle permet aux jeunes de se sentir acteur (par exemple, respecter les mesures barrières).

Si l’on se sent débordé par la situation, il peut être soulageant de prendre contact avec des professionnels de santé par téléphone ou en vidéoconférence. Par exemple, on peut joindre le service de pédopsychiatrie de l’HUDERF [4] mais d’autres services se mettent en place progressivement.

En résumé, nos concitoyens traversent des moments difficiles de confinement et les soignants sont soumis à des pressions considérables. Même s’ils permettent de renforcer les liens entre nous tous, des recommandations peuvent utilement faciliter la vie des confinés et des soignants ainsi que prévenir l’apparition de troubles psychologiques au cours du temps. Stimuler les travaux de recherche sur ces thèmes est une question de santé publique.

 


Xavier Noël est docteur en psychologie, chercheur permanent au F.R.S/FNRS – Université Libre de Bruxelles (ULB).

 


[1] Ferguson et al. Impact of non-pharmaceutical interventions (NPIs) to reduce COVID-19 mortality and healthcare demand (16 mars 2020), Imperial College London

[2] Brooks et al., The psychological impact of quarantine and how to reduce it : rapid review of the evidence (14 mars 2020), The Lancet.

[3] Hsu et al., Neural systems responding to degrees of uncertainty in human decision-making (2005), Science 310, 1680-1683.

[4] Tel : 02/477.31.80 De 9h à 16h30, Du lundi au vendredi

 

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