Jouer de la trompette, un art risqué ? Boudés depuis le début de l’épidémie de coronavirus, les fabricants d’instruments à vent s’activent en coulisses pour apporter toutes les garanties sanitaires à même de redonner du souffle à un secteur touché de plein fouet par la crise.
Une chute d’activité de 40% chez Buffet Crampon
Contrairement aux pianos et aux guitares qui ont vu leurs ventes bondir sur internet pendant et après le confinement, trompettes, clarinettes, hautbois ou autres saxophones doivent, eux, composer avec une chute du nombre des commandes, en France comme à l’international.
"Il y a une appréhension assez forte des musiciens, des professeurs, du public en général pour les instruments à vent", soupçonnés "de projeter plus de virus à droite et à gauche", souligne Jérôme Perrod, président du groupe Buffet Crampon, un des leaders mondiaux de la clarinette.
Mais rien n’y fait. Combinées au confinement, à la fin des concerts et à l’annulation des festivals de musique, ces appréhensions ont fait chuter de 40% l’activité de l’entreprise Buffet Crampon, quasi-bicentenaire de Mantes-la-Ville, dans les Yvelines en France, qui exporte plus de 90% de sa production aux Etats-Unis, au Japon ou en Chine.
Arrêt complet au plus fort de la crise, chômage partiel encore en vigueur pour 40% de ses salariés à Mantes… Buffet Crampon, comme le reste du secteur, a vu son avenir s’assombrir malgré quelques signes timides de reprise, essentiellement en Europe.
Pour tenter de rebondir, l’entreprise s’est donc associée dès cet été à l’Institut technologique européen des métiers de la musique et à la Chambre syndicale de la facture instrumentale (CSFI) pour publier un guide des bonnes pratiques destiné à rassurer amateurs et professionnels.
Un guide des bonnes pratiques et des gestes barrières
Conscient que ces préconisations devaient être validées scientifiquement pour convaincre, Buffet Crampon s’est ensuite rapproché de l’unité des virus émergents (UVE) à Marseille pour valider ou compléter les protocoles.
Les résultats définitifs de ces tests, réalisés à partir de souches de Covid-19 placées sur les instruments, sont attendus pour courant novembre mais l’alcool à plus de 70° semble d’ores et déjà le produit le plus efficace pour éradiquer les traces de virus, loin devant l’eau oxygénée un temps pressentie comme une solution viable.
Dans les allées de l’usine de Mantes-la-Ville, certains gestes sont en quelques semaines devenus habituels.
"Dès que je touche le bec" de l’instrument, "je mets du gel juste avant", explique Jean-François Marissal, "essayeur de clarinette". "Il est nettoyé encore après avec des produits adaptés pour qu’il n’y ait pas de problème pour la suite du parcours de l’instrument".
Au-delà de la désinfection de l’instrument, c’est la question des projections qui suscite le plus d’interrogations et d’inquiétudes. Une personne contaminée qui souffle dans une trompette peut-elle en contaminer une autre ? Quelle distance de sécurité faut-il observer ?
La recherche tâtonne encore sur ce point. Au printemps, les premières préconisations en Allemagne consistaient à instaurer une distance de 12 mètres avec un joueur de trompette ou de cuivre. Si ces études divergent, il semblerait que le danger soit largement surestimé, en raison du mode d’émission des instruments (sauf pour les flûtes à bec et traversières). C’est la vibration de la colonne d’air, et non l’air lui-même, qui produit le son. Le flux d’air qui passe dans l’instrument, très mince au départ, se trouve encore ralenti, ce qui le rend a priori moins dangereux qu’un échange de paroles sans distanciation sociale. C’est d’ailleurs à ce résultat qu’est arrivée l’étude préliminaire de l’Orchestre Symphonique de Bamberg, qui indique que les instruments à vent n’entraîneraient pas de risque majeur de propagation du coronavirus.
Dans cette veine d’incertitude liée aux instruments à vent, une Américaine a conçu des masques spéciaux, non seulement pour les joueurs de cuivre et de bois, mais aussi pour… leurs instruments !
Les "déplacements d’air" au centre du débat
"Il y avait l’idée que les instruments à vent véhiculaient d’énormes mouvements d’air sur de très grandes distances", se rappelle Michael Jousserand, ingénieur de recherche à Buffet Crampon.
Depuis, les études ont évolué et le "mouvement d’air" serait plus proche des 1m – 1m50, soit la distance de sécurité minimale recommandée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Dans l’attente des résultats des tests et de nouvelles recherches scientifiques, conservatoires et écoles de musique se débrouillent comme ils peuvent, à l’image de l’Atelier musical de Sylvian Coudène, niché au pied de la butte Montmartre à Paris.
"On a été obligés d’enlever toutes les moquettes puisque le protocole exige qu’on fasse un nettoyage complet tous les soirs", explique-t-il. "Là, dans la salle des flûtes, on a également été obligés de mettre des paravents spéciaux, des écrans qu’on doit désinfecter après chaque cours".
Un protocole strict qui n’émeut pas plus que ça Pauline, 8 ans et demi, qui étudie la flûte traversière depuis deux ans. Séparée par le paravent transparent de sa professeure Gwladys et d’une autre élève, la jeune fille se lance dans un morceau tiré de la Belle et le Clochard.
Pour sa mère, qui dit n’avoir eu aucune crainte à l’inscrire cette année en dépit de l’épidémie, il est avant tout "très important" que sa fille "puisse continuer son activité".