Climat

COP26 : quand des oiseaux ne migrent plus jusqu'en Afrique, "comme si l’évolution se passait devant nos yeux"

© Getty Images

Par Alice Dulczewski

Des oiseaux qui restent en Europe et ne migrent plus en Afrique, des jeunes oiseaux qui naissent en octobre plutôt qu’au printemps… Pour les scientifiques le constat est clair : le changement climatique impacte tellement les oiseaux qu’il modifie même complètement leur comportement.

D'ailleurs, ces changements de comportement "sont tellement forts qu’ils ont même été un des premiers indices biologiques de l’impact" du réchauffement climatique, souligne Jean-Yves Paquet, directeur du département Etudes de Natagora. "Les choses sont en train de changer, parfois beaucoup plus vite qu’on ne pourrait l’imaginer", développe l'ornithologue, "c’est un peu comme si l’évolution se passait devant nos yeux." 

Changement de routes migratoires et compétition

La fauvette ne migre plus en Afrique du nord pour passer l’hiver. Elle migre en Grande Bretagne.
La fauvette ne migre plus en Afrique du nord pour passer l’hiver. Elle migre en Grande Bretagne. © Tous droits réservés

Par exemple, la fauvette (voir ci-dessus) ne migre plus au nord de l’Afrique pour hiverner (passer l’hiver) mais en Grande Bretagne. Et même si de nombreuses espèces continuent à migrer en Afrique, "on a observé qu’en 30 ans, ces oiseaux passent 15 jours de plus en Europe. En conséquence, cela fait 15 jours de moins en Afrique sur leur temps d’hivernage. Il y a donc une tendance claire des oiseaux migrateurs à passer plus de temps en Europe l’hiver", explique Jean-Yves Paquet.

Le problème, c’est que ces oiseaux migrateurs pourraient, à terme, entrer en compétition avec les espèces sédentaires, celles qui ne migrent pas. La nourriture – plus rare en hiver – devant alors être répartie entre de plus nombreuses espèces. "On peut supposer que ça va se produire, ajouter une pression supplémentaire et poser des problèmes inattendus", pense Jean-Yves Paquet. 

Il suffit d’un hiver froid et tous ces oiseaux meurent sur place

Autre problème avec le fait de rester en Europe… Ces espèces sont plus sensibles aux brusques modifications de la météo. "Avant, les hirondelles, par exemple, passaient l’hiver en Afrique. Depuis quelques années, elles restent dans le pourtour méditerranéen, au sud de l’Europe. Mais il suffit d’un hiver froid, du gel pendant une semaine, et tous ces oiseaux meurent sur place", explique Mario Ninanne, ornithologue.

Des hirondelles
Des hirondelles © Gettyimages

Les oiseaux sédentaires sont, eux aussi, impactés par les changements climatiques. En Belgique, la Ligue Royale pour la protection des oiseaux s’occupe de recueillir les oiseaux en détresse. L’ornithologue Mario Ninnane en est l’administrateur. "Cette semaine, on m’a signalé la naissance de jeunes ouettes d’Egypte, soit en octobre ! Ce n’est pas normal. Leur période de reproduction est déréglée comme l'est le climat", explique-t-il. Le problème c’est que "lorsque les oiseaux nichent (font leur nid et pondent) en automne, leurs jeunes ne sont pas aptes à affronter l’hiver."

A contrario, certains oiseaux nichent trop tôt, quand l’hiver est trop doux. "En janvier-février-mars, on se croit parfois déjà au printemps et certains merles commencent à nicher. Mais soudain, il suffit d'un coup de froid et les parents ne peuvent plus nourrir leurs jeunes".

Les oiseaux migrateurs fragilisés

Les oiseaux migrateurs semblent toutefois quand même plus fragilisés que les oiseaux sédentaires. "Il y a des signaux qui montrent que, en moyenne, les oiseaux migrateurs évoluent moins bien", souligne Jean-Yves Paquet. Et ce serait peut-être bien lié à la migration elle-même. Pour bien comprendre cela, il est important de revenir sur le fonctionnement de la migration des oiseaux.

"Dans le nord des continents, la ressource est très abondante mais temporaire", explique Jean-Yves Paquet. "Il y a une production végétale et d’insectes très très forte qui a lieu pendant une très courte période et le reste de l’année, il n’y a plus rien à manger." Ainsi, explique-t-il, "la migration permet aux oiseaux d’être au nord lorsqu’il y a beaucoup à manger, et puis de passer la mauvaise saison plus au sud, où les ressources sont plus stables au cours de l’année, mais moins abondantes."

Les chenilles se sont déjà transformées en papillons

Au moment où commence le pic d'abondance au nord, les oiseaux y reviennent mécaniquement afin de nourrir leurs petits. Le problème, c’est qu’à cause du changement climatique… le moment de ce pic d’abondance peut varier. Le risque est donc qu’ils le ratent. "Certains oiseaux passent l’hiver en Afrique et reviennent pour nourrir leurs petits avec des chenilles. Mais quand ils arrivent sur place, les chenilles se sont déjà transformées en papillons. Ils ne trouvent donc plus de nourriture pour leurs petits sur place", explique Mario Ninanne.

Ainsi, "c’est tout le pattern de la disponibilité des ressources qui change. La grande question est de savoir si les oiseaux vont être capables de s’adapter à ces changements", se demande Jean-Yves Paquet.

© Gettyimages

Fatalement, "les espèces qui migrent sont plus exposées que les sédentaires car elles ne peuvent pas percevoir les signaux (feuilles qui commencent à sortir etc.) qui indiqueraient un pic de d’abondance [et l'arrivée des chenilles] plus hâtif," souligne Jean-Yves Paquet.


>>> A lire aussi: Objectifs climatiques belges à la COP26 : quel chemin parcouru, et surtout, que reste-t-il à faire ?


"On constate que la mésange niche de plus en plus tôt, pour avoir des petits au moment de la sortie des feuilles. Et pouvoir ainsi les nourrir de chenilles", continue Jean-Yves Paquet. tant sédentaire, "la mésange qui reste sur place peut voir que la végétation se met en route plus vite et peut donc s’adapter. Ce n’est pas le cas des oiseaux qui ont migré en Afrique."

L'oiseau migrateur 'gobemouche noir', présent dans nos forêts, rencontre ce problème. Lui aussi a besoin de chenilles pour nourrir ses jeunes, au retour d'Afrique. Et pour certaines populations de cette espèce, avance Jean-Yves Paquet, "on a pu démontrer qu'elles ne se sont pas adaptées à la modification du timing de l’apparition des feuilles et des chenilles".

Les oiseaux vont-ils pouvoir s’adapter ?

Gobemouche noir
Gobemouche noir © Ron Knight

A quel point les oiseaux vont-ils pouvoir s’adapter ? A cause du réchauffement climatique, "plein de choses sont en train de changer drastiquement. Ce sont des changement non seulement extrêmement rapides, mais aussi très marqués", avance Jean-Yves Paquet. Mais malgré ça, ajoute-t-il, "on voit chez les oiseaux des adaptations qui se font aussi très rapidement".

On pense que les perdants seront plus nombreux

Cela dit, précise-t-il, "heureusement qu’ils ont une capacité d’adaptation, sinon ça serait vraiment catastrophique. A vrai dire, on sait qu'il y aura forcément des gagnants et des perdants, mais on pense que les perdants seront plus nombreux".

De son côté, l’ornithologue Mario Ninanne dit être "réaliste" avant tout. "Il y a de quoi être pessimiste. Certaines populations sont en chute libre. On a déjà perdu jusqu’à 70% de certaines espèces. Les alouettes, par exemple, sont durement touchées. Ces oiseaux  nichent au sol, mais leur nichée - avec les petits- est souvent détruite par les moissonneuses-batteuses, parce que les récoltes se font de plus en plus tôt à cause du changement climatique." 


>>> A lire aussi: Un dinosaure à la tribune de l’ONU pour implorer : "Ne choisissez pas l’extinction"


Fondamentalement, l'impact du changement climatique déprendra beaucoup d'une espèce à l'autre. "On voit que ce sont les espèces spécialisées qui sont en diminution, c'est-à-dire celles qui se nourrissent exclusivement d’un type de nourriture, ou nichent d’une certaine façon", explique l'ornithologue. A contrario, "les espèces généralisées, qui sont presque omnivores, sont en augmentation. C'est le cas des corneilles par exemple." 

Que faire pour aider les oiseaux ?

A la bonne saison, il faut "aménager son jardin le plus naturellement possible. Ça favorise la biodiversité. Ça signifie ne pas tondre toutes les semaines par exemple", explique Mario Ninanne. "Il faut laisser des fleurs, par exemple les pissenlits. Ça attire les insectes, la nourriture des oiseaux. Idéalement, il faudrait aussi laisser un petit carré d’orties aussi, ça attire les chenilles".

En période hivernale, soit de décembre à mars, il y a la solution de la mangeoire de graines pour les oiseaux. Mais attention, précise l’ornithologue, "il faut que la mangeoire soit propre, sinon ça favorise les maladies et surtout, il faut que les graines soient renouvelées. Parce qu’une fois que l’oiseau s’habitue à avoir de la nourriture, il reviendra tout le temps. Si le nourrissage est interrompu, ça le perturbera".

© Tous droits réservés
Loading...

Sur le même sujet:

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma... Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Tous les sujets de l'article

Sur le même sujet

Articles recommandés pour vous