Climat

COP26 : moins d’insectes sur nos pare-brise, c’est moins de confiture au petit-déjeuner

Souvenez-vous de cet effet pare-brise : après une longue distance, les insectes y collaient par dizaine.

© Matt Mawson – Getty Images

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Par Marie-Laure Mathot

Nous sommes avant les années 2000. La voiture est chargée. En route. Destination : les vacances. Pause à l’aire d’autoroute. Plein de la voiture. Mais aussi, corvée pare-brise avec le matériel mis à disposition à la station-service. Souvenir. Les insectes écrasés y collaient par dizaine. Aujourd’hui, si vous faites le même long trajet, vous l’aurez remarqué : il n’y a quasi plus rien. Serait-ce un indicateur de la disparition de ces petits êtres vivants essentiels à la survie des plus grands ?

Depuis 2017, les articles se multiplient sur cet "effet pare-brise". Cette année-là, le journal français Libération parle d’une des "rares études menées en France" sur le sujet. Elle y compare l’examen de cette vitre avant dans les années 80 par rapport aux années 2000. L’Institut national de la recherche agronomique a mené son enquête dans Vosges et la région de Fontainebleau. Le nombre d’insectes a chuté de manière "considérable", relaie le quotidien.

Une autre étude menée dans la campagne danoise compare des données collectées pendant l’été 1997 à l’été 2017. Elle montre que la quantité d’insectes a baissé de 80%, rapporte le Guardian en 2020.

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Une impression révélatrice

Ces études localisées sont-elles révélatrices d’une baisse du nombre d’insectes ? Notre "impression" basée sur nos souvenirs de vacances est-elle un bon indicateur d’une baisse du nombre d’insectes ?

"En tout cas, c’est ce que les études menées en Europe et aux Etats-Unis montrent, répond Nicolas Schtickzelle professeur à l’école de biologie de l’UCLouvain. Il étudie les insectes. Il est donc entomologiste et a l’habitude avec les statistiques. Pour lui, il faut généralement manipuler les données avec précaution et prendre en compte des facteurs extérieurs. Par exemple la forme des voitures. Mais même dans ce cas, le constat reste le même.

"Des chercheurs ont roulé le même trajet avec une voiture datant d’avant 2000 et un véhicule actuel pour voir si ce n’était pas dû à une forme plus aérodynamique aujourd’hui. Cela aurait permis aux insectes de glisser vers l’arrière de la voiture dans le flux d’air plutôt que de se coller au pare-brise. Et il n’y avait pas de différence : sur l’ancienne non plus il n’y avait pas beaucoup d’insectes."

C’est un bon indicateur

"Donc oui, c’est un bon indicateur, continue Nicolas Schtickzelle. Surtout, l’intérêt de cet indicateur c’est la quantité de données : ce n’est pas juste une poignée de scientifiques qui ont fait une étude dans son coin. C’est une grande partie de la population, celle qui s’est retrouvée en voiture, qui peut en témoigner. C’est généralisable."

Si le pare-brise peut donner une première indication, il ne donne pas de données chiffrées. Des études plus "formelles" viennent confirmer ce constat général.

"Il y a 76% d’abondance d’insectes volants en moins." Ce chiffre impressionnant, c’est un autre entomologiste qui nous le donne, Francis Frédéric. Il enseigne aux facultés de Gembloux Agro-Bio Tech de l’Université de Liège. Il est aussi doyen de cette faculté. "Ces dernières années, quelques études ont été menées sur la quantité d’insectes. L’une d’entre elles a été menée en Allemagne, dans des zones naturelles pendant 27 ans. En grammes d’insectes volants, il y en avait 76% en moins." Au milieu de l’été, il y en avait même 82% en moins, peut-on lire dans l’étude.

Un tiers des insectes en régression voire en danger

Et ce n’est pas tout. "Un tiers des espèces d’insectes étudiées sont en régression voire en danger", continue le Gembloutois qui nuance : si le total des insectes est en diminution, ce n’est pas le cas de toutes les espèces. Les moustiques et les mouches par exemple ne sont pas en diminution à toutes les saisons. Là encore, certains d’entre vous l’ont remarqué : il y a encore des moustiques qui se baladent en octobre. On a aussi vu à la fin de cet été certains papillons comme les vulcains en nombre dans les lierres et les orties.

Si on perd 1% des espèces par an, dans un siècle, il n’y en a plus

"Ces populations-là sont toujours bien présentes voire en augmentation", confirme Francis Frédéric. Ces espèces prennent plus de place. D’autres moins. Cela signifie que l’on perd en diversité dans la nature. "On perd 1 à 2% de réduction de nombre d’espèces par an. Ça veut dire que si on perd un pourcent par an, dans un siècle, il n’y en a plus. Globalement, les études donnent donc des résultats plutôt négatifs."

Moins de nature, plus de moustiques

Autre mauvaise nouvelle (ou bonne nouvelle si on considère qu’on peut changer les choses) : ce sont nous, les êtres humains qui sommes à l’origine de cette baisse de biodiversité : urbanisation, déforestation, pollution, pesticides, monocultures, incendies contribuent à la baisse du nombre d’insectes.

"La cause la plus importante du déclin des insectes, c’est le changement d’affectation des sols, affirme Nicolas Schtickzelle. On détruit ou transforme les habitats de ces êtres vivants. Vous prenez un champ de betteraves ou de maïs, il y aura moins d’insectes que s’il y avait une forêt ou une prairie naturelle."

Là encore, si certaines espèces voient leur maison détruite quand les plantes sont rasées, d’autres peuvent davantage proliférer une fois que le sol est artificialisé, imperméabilisé. Car on y crée des eaux stagnantes. C’est le cas des moustiques par exemple.

Autre cause assez évidente : les pesticides, bio ou non. "Quand on utilise des insecticides dans les champs, ils ne sont pas extrêmement sélectifs. Ils se propagent par le vent, par l’eau et vont toucher d’autres populations d’insectes", explique l’entomologiste de l’Uclouvain.

Des effets collatéraux dus à l’agriculture mais pas seulement ajoute Francis Frédéric. "Même les insecticides dits biologiques utilisés par les particuliers ont des effets collatéraux. Par exemple, la bactérie utilisée pour lutter contre les chenilles comme la pyrale du buis, va aussi toucher les autres chenilles."

Et sans chenilles, pas de papillons. Pas de papillons, moins de pollinisation. Moins de pollinisation, moins de fruits et de légumes.

Un petit dèj sans confiture ni café ni jus de fruit

Et il n’y a pas que les papillons qui pollinisent. En fait, chaque espèce d’insecte est reliée à une ou plusieurs espèces végétales. "Il y a bien sûr des redondances : certaines fleurs sont reliées à plusieurs types d’insectes mais globalement, si on perd certains types d’insectes, on perd certaines fleurs", dit Nicolas Schtickzelle.

Une chaîne d’hôtel a eu la bonne idée de photographier différents repas avant et après l’extinction des abeilles. Bye bye les fruits dans le granola, le jus d’orange, le café au petit-déjeuner. À midi, la quantité de frites est moindre car il y a moins de plants de patates ensemencés. Au dessert, il ne reste plus que la croûte de la tarte aux pommes.

Autre conséquence très concrète de notre quotidien : moins d’insectes, c’est aussi moins de dégradation de nos déchets organiques : ce que vous mettez au compost mais pas seulement, les excréments et même les cadavres d’animaux (les nôtres aussi donc) sont dégradés notamment par des insectes.

On se retrouverait dans des montagnes de résidus

"Les résidus et matières organiques sont dégradés en grande partie par des insectes, explique Francis Frédéric. Ça veut dire qu’on se retrouverait dans des montagnes de résidus."

Et enfin, si nous ne sommes pas des gros mangeurs de cigales et sauterelles, d’autres espèces le sont. "Des oiseaux, des batraciens, des rongeurs s’en nourrissent, continue Francis Frédéric. "S’il y a moins d’insectes, nous aurons un déficit de ces espèces. Nous aurons donc une perte de diversité en cascade de manière très significative."

Le lien avec le changement climatique ?

Un scénario qui ne sent pas la rose et qui risque bien de se confirmer si nous n’agissons pas. Petit rappel : les changements ont des effets directs sur le vivant sous toutes ses formes. Si notre climat se réchauffe d’1,5°C, près de 7% des écosystèmes sont modifiés. Si on augmente de 2 °C, on passe à 13%. Résultat, 6% des insectes, 8% des plantes et 4% des vertébrés voient leurs habitats réduits de 50% dans l’hypothèse basse, chiffres qui grimpent à 18% des insectes, 16% des plantes et 8% des vertébrés à +2 °C. A +4 °C, la moitié des espèces animales et de plantes seraient menacées.

Alors si on est moins empathiques à sauver les mouches que les baleines, reste l’image bien triste de notre petit-déjeuner sans café.

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