COP26 : moins de jours de neige, moins de gel, vers le glas (-gla) de l’hiver ?

Ces joies simples de l'hiver vont-elles fondre comme neige au soleil?

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Nos contrées durant la Renaissance : une campagne enneigée. Dans le Brabant, en 1565, la couche de poudreuse est généreuse. Les hommes et leurs chiens partent à la chasse. Les canaux sont figés dans la glace. Sur les lacs gelés, les sports d’hiver de l’époque. On y patine, on y tombe, on fait ce qui ressemble à du curling et du hockey. Les clochers des églises semblent retentir de mélodies engourdies. L’air, lui, paraît figé. Seuls quelques corbeaux s’ébrouent dans le calme…

Cette image d’Epinal, beaucoup l'ont à l'esprit. Hormis des montagnes fictives bouchant une partie de l’horizon, nous sommes bien chez nous. Brueghel l’Ancien peint son époque. Saisissant.

"Chasseurs dans la neige" de Peter Brueghel l’Ancien (1565)
"Chasseurs dans la neige" de Peter Brueghel l’Ancien (1565) © Tous droits réservés

Dans nos régions au climat tempéré, les saisons sont marquées. Et les hivers peuvent être rudes. Bien rudes. Sibériens, même. Sans forcément remonter jusqu’aux temps ancestraux de Brueghel et de ses amis de l’école flamande, un sentiment demeure tenace dans bien des esprits actuels : les hivers sont bien plus doux qu’il y a ne fût-ce que quelques années. Les jours de neige sont moins nombreux, ceux où l’on dégivre son pare-brise aussi.

Plus non plus de Noël blancs et sur nos routes, de congères qui restent en place des jours durant. Des saleuses moins ambulantes, des stalactites aux corniches des maisons plus rares et des bonshommes de neige plus rabougris.

Fausses idées ou réalité ?

Paysage d’hiver avec patineurs et trappe aux oiseaux, Pieter Brueghel l’Ancien, 1565
Paysage d’hiver avec patineurs et trappe aux oiseaux, Pieter Brueghel l’Ancien, 1565 © Getty

Tombe la neige

Pour mettre les choses dans leur contexte, l’époque de création des œuvres artistiques ci-dessus jouissait d’un climat différent. Nous étions en plein dans ce qu’on a appelé par la suite "le petit âge glaciaire". Dans le passé eut lieu – surtout dans l’hémisphère nord – entre environ l’an 1300 et 1860, une période de refroidissement. Un peu moins de 1 °C. Cela a néanmoins suffi à provoquer des hivers bien plus rigoureux et un climat plus frisquet.

Dans cet espace de temps, trois périodes encore plus spécifiquement froides ont été observées : les trois premiers quarts du XIVe siècle, le dernier tiers du XVIe (période des peintures de Brueghel, notamment) et de 1815 à 1860. On pointe aussi des périodes de froid particulièrement terribles, comme celle survenue en 1709. Trois mois de gel intense. A Paris, la Seine se fige ; la Tamise est elle aussi prise dans les glaces ; il fait -29 °C à Berlin ; il est possible d’aller du Danemark en Suède… À pied. Disettes, épidémies et famines vont ensuite se charger de frapper l’Europe.


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Tout comme un peu avant cet hiver 1709, on a remarqué que ce "petit âge glaciaire" était émaillé de grandes éruptions volcaniques sur la planète. Les poussières et la cendre crachées par les volcans empêchent le passage des rayons du soleil et favorisent le froid. Ainsi, 1816 fut "l’année sans été", à cause de l’explosion du Tambora, en Indonésie. Des facteurs comme des éruptions, une diminution de l’activité solaire ou encore une altération du Gulf Stream sont invoquées pour expliquer cette période de l’histoire climatique. Avant elle, il y eut l’inverse, une moyenne positive d’environ 1 °C. Ce qu’on surnomme parfois l’optimum climatique médiéval (du Xe siècle à environ 1300, donc). Et à partir de la fin du XIXe, les effets de la révolution industrielle et le début de l’augmentation progressive des températures due à l’activité humaine.

Image d’illustration
Image d’illustration © Getty

Mais y a-t-il forcément moins de neige à l’heure actuelle qu’il y a une cinquantaine d’années ? Bien que des épisodes neigeux et de froid de canard peuvent encore survenir, comme ceux de l’hiver dernier, il semblerait bien que oui.


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Neige au mois d'avril en Belgique au début du 20e siècle et en 1988

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Sortons les graphiques !

En fait, selon l’IRM, une tendance sensible à un réchauffement et à une diminution de la neige est apparue dans nos contrées dans les années 80. Auparavant, mis à part une réduction des jours de neige aux alentours de 1920, on comptait par an environ 25 jours avec des flocons dans la capitale. Les années 90 connurent, elles, moins de neige.

Nombre de jours où sont tombées des précipitations neigeuses à Uccle de 1901 à 2019

Depuis l’an 2000, la variabilité des précipitations est grande d’une année à l’autre. Un pic fut par exemple noté aux environ de 2010. Année 2010 qui a d’ailleurs connu le plus grand nombre de précipitations neigeuses depuis le début des relevés… Cependant, on observe que les six dernières années ont malgré tout été moins neigeuses qu’auparavant.

En hiver 2020, il n’y eut que 2 jours de neige. Il s’agit du 4e moins blanc (après 1990, 2008 et 2014) depuis le début des mesures.


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Et l’an passé, et bien, malgré des températures plus que frisquettes et de la poudreuse en abondance, il a été plutôt doux.

Nombre de jours avec au moins 1cm de neige à Uccle de 1891 à 2020

En ce qui concerne le nombre de jours où la neige se maintient au sol ? En 2020, on a été encore moins bien servi. Il y eut… Zéro enneigement (4e fois, après 1920, 1961 et 1989). Mais les chiffres se montrent également fort variables à partir de l’an 2000. En moyenne, on compte une dizaine de jours par an.

Mais, me direz-vous, tout cela est bien intéressant, mais ce sont des relevés bruxellois. Et on sait bien que dans les grandes villes, la température est en général plus élevée, et la neige tient bien moins… C’est exact. Et l’Institut Royal de Météorologie en est bien conscient également. C’est pour cela qu’il collecte les données aussi à Saint-Hubert – de 1948 à 2007- et au Mont Rigi, dans les Hautes-Fagnes, depuis 1976.

Maximum de l’épaisseur neigeuse à Saint-Hubert et au Mont Rigi
Maximum de l’épaisseur neigeuse à Saint-Hubert et au Mont Rigi © IRM/Capture d’écran

Dans ce graphique, malgré la différence d’altitude des deux stations (près de 120 mètres), les courbes sont similaires. On observe une grande variabilité de l’épaisseur selon l’année (de 105 cm au sommet de la Belgique en 1988 à 16 cm deux ans plus tard). Le tapis blanc diminue de taille dans les années 90, avant de repartir à la hausse il y a une dizaine d’années et de diminuer par la suite.

Jours de neige au Mont Rigi, dans les Hautes-Fagnes

Le nombre de jours blancs maintenant… Au Mont-Rigi, les années se suivent et ne se ressemblent pas. L’IRM note une variabilité forte selon l’année. Malgré tout, un "âge d’or" blanc est à noter de la fin des années 70 au milieu des années 80. En l’an de grâce 1979, ce fut Byzance pour les loueurs de ski : 85 jours de neige cette année-là !

Ensuite, le nombre de flocon s’est tari. 1989 en connu 3 jours seulement et la décennie 90 marqua un net recul des jours de neige. Les hivers depuis l’an 2000 sont disparates, parfois abondants, mais sans jamais retrouver l’enneigement d’il y a trente ans.

Le constat est relativement le même sur ces différentes parties du territoire. L’enneigement en Ardenne reste, toujours selon l’IRM, "relativement faible et stable depuis les années 1990, après le réchauffement de la fin des années 1980, même si, à partir du milieu des années 2000, l’enneigement semble montrer une légère reprise". Pour ces paramètres, l’institut "n’observe pas vraiment d’évolution significative", précise-t-il.

Gelées perdues ?

Nombre de jours de gel à Uccle

Jusque dans les années 60, le nombre de jours par an où une température négative était observée demeure relativement stable, selon l’IRM. Ensuite, la tendance sera à la baisse. Depuis 1981, l’Institut souligne qu’elle s’accentue encore mais reste encore non significative.

Archive SONUMA : reportage JT sur les bienfaits du froid (hiver 2012) :

Tombe (moins) la neige

Mais l’on remarque aussi qu’il pleut davantage. Entre le milieu du XIXe siècle et 1980, la quantité annuelle des précipitations a augmenté de 9%. En France, on note déjà qu’à basse et moyenne altitude, la neige fait davantage place à la pluie et quand il y en a un, le manteau neigeux fond plus vite. Ainsi, "jusqu’à environ 2000 mètres d’altitude, la durée d’enneigement a diminué d’un mois depuis les années 70" souligne Samuel Morin, du centre national de recherches météorologiques, cité par Géo. Et ce dernier d’ajouter, à propos de la durée où la neige tient au sol qu’elle "perdra encore plusieurs semaines ces prochaines décennies". Selon le Giec, entre 1982 et 2009, la masse neigeuse en Europe a diminué de 7% en mars.


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Une neige moins fréquente, surtout en dessous de 2000 mètres, est donc à prévoir dans les années à venir (pour les différentes simulations selon les scénarios retenus par le Giec en France, cliquez ici).

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On perd Noël ?

Une neige moins fréquente en dessous de 2000 mètres est à prévoir dans les années à venir. Et les fameux "Noël blancs", y en aura-t-il encore ?

L’image de nombreux "Noëls blancs" passés au coin de l’âtre ces dernières décennies est relativement fausse. Depuis 1906, onze seulement ont été répertoriés à Uccle (le dernier eut lieu en 2010). Ce qui est donc loin d’être habituel. Excepté sur les crêtes ardennaises (on en estime à un tous les 3 ou 4 ans), dans le reste du pays, c’est plutôt rare. On les estime à un tous les dix ans dans le centre et un tous les 20 à 25 ans au littoral. Les "Noël blancs" de nos enfances sont donc aussi une image d’Epinal. Ainsi, à Bruxelles, entre 1965 et 1986, soit pendant trente ans, il n’y en a eu aucun (!).

Archive JT : "J’ai rêvé d’un Noël Blanc" (21 décembre 2016)

Réchauffement général

Malgré cela, force est de constater que le climat change. Et les "années les plus chaudes" se succèdent à un rythme effréné. Et à l’IRM, on constate : "en hiver, les mesures enregistrées témoignent d’une nette tendance à la baisse du nombre de jours d’hiver où la température ne dépasse jamais 0 °C et du nombre de jours de gel où la température minimale est inférieure à 0 °C."

Une nette tendance à la baisse du nombre de jours d’hiver où la température ne dépasse jamais 0 °C

Graphique de l’IRM.
Graphique de l’IRM. © IRM (capture d’écran)
Graphique IRM montrant la température moyenne en Belgique selon l'année.

Ainsi, comme le montre ce graphique de l’IRM, les cinq années les plus chaudes (selon la température moyenne) répertoriées depuis l’existence de telles données, à savoir 1833, se sont déroulées toutes sur les 10 dernières années. Et pour ce qui est du top 10, tout se regroupe après 2000.

Encore plus édifiant, l’IRM a analysé que les vingt années les plus chaudes sont postérieures à 1988 tandis que les vingt années les plus froides ont toutes été enregistrées avant 1896.

Selon Climat.be, site du gouvernement fédéral, 2020 a été l’année la plus chaude de tous les temps en Belgique. Année très sèche, vague de chaleur en août, moins d’orages, plus d’ensoleillement.

Des températures qui faisaient froid dans le dos…


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Dans l’histoire récente, quelques événements hors du commun on eut lieu. Ainsi, le 26 juin 2013, il gela dans les Hautes-Fagnes, à Elsenborn (-0,1 °C). La même température a été relevée l’année d’après, à Uccle, le 25 janvier. Mais il s’agissait du dernier jour de gel dans l’année à Uccle. Un jour sous zéro que ne s’était jamais produit si tôt dans l’année depuis… 1901.

Et souvenez-vous du fameux "Neige-Bastogne-Liège" de 1980, où les cyclistes, frigorifiés, ont courageusement traversé l’Ardenne un 20 avril. Sur 174 au départ, 21 coureurs virent la Cité ardente, dont Bernard Hinault, grand vainqueur. Quarante ans avant, le 20 janvier 1940, c’est la température la plus basse du siècle qui a été enregistrée : -30,1 °C à Rochefort. Ça caille ferme !

Rappel des faits dans le JT du 28 avril 2019 :

Les grandes vagues de froid et leu intensité. La taille des bulles varie en fonction de l'indice de sévérité de chaque vague de froid. Cet indice est calculé par Météo France en prenant en compte l'intensité maximale et la durée de la vague.

Février 2012. Pendant douze jours, les minima sont restés sous les –5 °C dans toutes les stations du pays, et même sous les –10 °C pendant deux jours. Il s’agissait de la plus longue vague de froid depuis 70 ans. Et aussi de la dernière vague de froid sévère touchant la Belgique ainsi que la France.

Un "vent d’hiver"… plus doux

Va-t-on connaître de moins en moins de vagues de froid (càd d’une durée de minimum 3 jours) ? Du côté de Météo France, on table jusqu’à 2050 vers une diminution du nombre de jours anormalement froids en hiver sur l’ensemble de l’Hexagone, en particulier dans les régions du nord-est (frontalières de la Belgique). Ceci est dû notamment à la hausse prévue des températures moyennes (entre 0,6 °C et 1,3 °C en France).


►►► Sixième rapport du GIEC sur le climat : le seuil des +1.5°C sera atteint en 2030, soit dix ans plus tôt qu’estimé auparavant


"Comme on évolue dans un climat de plus en plus chaud, la probabilité d’avoir des périodes aussi froides que les froids historiques est de plus en plus faible" explique le prévisionniste français Gaétan Heymes, interviewé par Ouest France. Et celui-ci d’inviter à prendre en compte le réchauffement climatique "comme un signal de fond". Pour une même situation météorologique, "on a des températures plus élevées qu’avant, parce que l’atmosphère se réchauffe".

Et quand on regarde encore un peu plus loin, à l’horizon 2010, Météo-France prévoit une poursuite de la diminution des extrêmes froids.

Evolution de la température moyenne en Belgique :

(Projection jusqu’à 2100 suivant les 3 scénarii)

Evolution des températures selon les trois scénarios du GIEC (source : IRM)
Evolution des températures selon les trois scénarios du GIEC (source : IRM) © IRM/capture d’écran

En résumé, des temps rigoureux comme en ont connu le père et le fils Brueghel, il se peut donc que nous puissions toujours en connaître à l’avenir. Cependant, la chose sera de plus en plus exceptionnelle…

Et le patinage sur les canaux et les homériques batailles de boules de neige bientôt, si nous ne faisons rien, à définitivement ne voir que dans les musées.

Scènes de patinage, de Brueghel le Jeune (1613) en vente aux enchères chez Sotheby’s, à Londres, en 2018.
Scènes de patinage, de Brueghel le Jeune (1613) en vente aux enchères chez Sotheby’s, à Londres, en 2018. © GettyImage
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