Et le conte que nous raconte Brigitte Mahaux nous emmène d’ailleurs dans une vallée reculée, entourée de montagnes enneigées, à la rencontre de celle que tout le monde appelle "la bête petite avalanche". Cette petite avalanche, comme tous ses camarades, se rend chaque jour à l’école des avalanches. C’est là que la plus ancienne des avalanches dispense ses cours pour apprendre à ses apprentis comment procéder pour se muer en la plus belle et spectaculaire des avalanches : comment se fissurer, comment gronder, comment faire peur aux hommes… C’est tout un art d’être une avalanche.
Dans la classe, en général, les élèves sont assez disciplinés, captivés qu’ils sont par les explications de la grande avalanche. Mais cette année-là, dans la classe, une petite avalanche pas comme les autres ne cesse de poser des questions sans queue ni tête.
C’est que la petite avalanche a observé les humains et elle les trouve très sympathiques, elle n’a aucune envie de leur nuire ! "Mais pourquoi n’y a-t-il pas un chien d’avalanche, qui court à côté de nous, pour secourir les humains s’ils en ont besoin ?", demande-t-elle avec tout le sérieux du monde, provoquant chez ses camarades avalanches les rires et moqueries. Ils l’affublent du sobriquet de "bête avalanche". Un jour, la petite avalanche pose la question de trop, qui laisse tout le monde sans voix : "mais pourquoi descendons-nous la montagne ? Pourquoi ne pourrait-on pas remonter la montagne et épargner les humains ?" Parce qu’on a toujours fait comme ça, répondit la grande avalanche, décontenancée et profondément agacée par cette petite qui ne veut pas faire comme tout le monde. "On ne se remet pas en question !"
Rentrant à la maison avec un bulletin catastrophique, la petite avalanche essaye d’expliquer à son père qu’elle voulait simplement avoir un peu d’imagination, et de tenter de faire les choses autrement pour une fois. Son père, excédé par les propos de sa fille, la chasse de la maison et lui dit d’aller en bas, dans la vallée, auprès des hommes qu’elle aime tant. Déçue et triste de se voir rejetée par ses parents et ses camarades, la petite avalanche descend tout doucement la vallée et passe la nuit toute seule. Le jour venu, les enfants arrivent et la console en montant sur elle, et en jouant gaiement. Cela met du baume au cœur de notre petite avalanche, qui s’attache à ces enfants, et notamment, au petit Jean, un petit casse-cou qui, lui aussi, n’en fait qu’à sa tête.
Un jour, alors qu’il avait beaucoup trop neigé pour permettre de dévaler les pistes en sécurité, le petit Jean décide de monter seul en haut de la montagne pour s’offrir un peu de sensations fortes. La petite avalanche, qui l’observe en contrebas, voit soudain l’une de ses amies avalanches sur le point de se fissurer. Elle va emporter Jean avec elle, se dit la petite avalanche, catastrophée. Elle appelle alors le vent, et le supplie de l’aider à remonter la montagne pour qu’elle puisse empêcher l’avalanche de se déclencher. Ses cris désespérés finissent par payer et, comme elle l’avait prédit lors de ses cours d’avalanche, le vent souffla assez fort pour lui faire remonter la montagne, juste à temps pour retenir l’avalanche qui était prête à avaler le petit Jean.
L’avalanche qui se retrouve ainsi coupée dans son élan sermonne vivement notre petite avalanche : "mais pourquoi as-tu fait ça ?" Mais tu n’as pas compris, dit notre petite avalanche, tu allais descendre faire ta plus belle prestation, mais tu allais surtout rendre des enfants et des familles malheureuses, ça n’a aucun intérêt ! Si on s’associe, nous serons plus fortes pour protéger les humains.
Et c’est ainsi que les deux avalanches devinrent les meilleures amies et dans ce village-là, comme dans aucun autre, les enfants ont joué avec la neige tout l’été.