A bien y réfléchir, ne devrait-on pas aussi (encore) plus souvent bousculer les codes de préséance ? Interviewer la vice-présidente, plutôt que le président ? La collaboratrice plutôt que le chef de labo ? Celle qui n’a rien demandé plutôt que celui qui estime que ça va de soi, grosso modo ? Mais en même temps, les titres, c’est quand-même censé vouloir dire quelque chose, signifier une compétence particulière, supérieure… Ou pas (toujours)?
Encore faut-il que les femmes elles-mêmes soient prêtes à passer de l’ombre à la lumière médiatique. "On a plusieurs vies à combiner donc on ne met pas nécessairement l’accent sur la visibilité", commente Vaïa Demertzis, politologue et chercheuse au CRISP. "Je pense qu’on a tendance aussi à parfois manquer un peu de confiance en soi ou avoir dû trop batailler que pour avoir envie de mettre l’énergie restante dans une visibilité".
Des expertes (trop) prudentes ?
La réticence plus fréquente chez les femmes à s’exprimer dans les médias, c’est ce qu’a découvert avec surprise Marie Vancutsem, féministe assumée, quand elle a pris les rênes de l’émission "Les Décodeurs" sur La Première. "J’ai découvert que, souvent, les femmes ont une très grande conscience professionnelle et ne veulent être interrogées que sur des sujets qu’elles sont sûres de maîtriser à 100%", explique-t-elle. "Si ça sort de leur champ de compétences, elles vont dire non. S’il faut donner un avis plus large, plus global, prendre une position dans un débat, amener une réflexion qui sort un peu de leur domaine d’expertise, elles refusent car elles ne se sentent pas légitimes. Alors qu’elles le sont, quand tu entends ce qu’elles te disent au téléphone".
Du coup, quand elle trouve une experte au profil idéal pour son émission mais qui hésite, Marie prend le temps - quand elle le peut - de discuter, de convaincre, de rassurer. Un constat partagé par plusieurs collègues, comme Mélanie : "Parfois, j’ai l’impression qu’elles ont moins confiance et que les hommes vont plus avoir tendance à dire oui même s’ils sont parfois un peu à côté de la plaque. Ils ont ce côté plus assuré, assumé". Une impression confirmée par plusieurs expertes interviewées dans le cadre de la rencontre organisée à la RTBF.
"Ah non, pas moi !"
"Le premier réflexe c’est de dire ‘non, je ne suis pas la personne appropriée’", reconnait la politologue Emilie Van Haute. "Puis on se rend compte que d’autres collègues n’ont pas forcément les mêmes freins et peuvent parler de sujets plus variés et donc petit à petit on relativise le degré d’expertise qui est attendu par les médias. Nous en tant qu’académiques, on a des degrés d’expertise, des barrières très élevées".
►►► Retrouvez plus de coulisses sur notre traitement de l’info sur la page INSIDE
Marie Hendrix explique pour sa part qu’elle a changé d’attitude depuis une dizaine d’années. "Avant, je disais ‘ah non, pas moi’, et je proposais quelqu’un d’autre de mon entourage". Un homme ? "Oui!" Et dire que c’est pourtant bien elle qui me disait écrire régulièrement à la RTBF pour s’offusquer du manque de femmes ! Mais qu’est-ce qui a changé la donne, en ce qui la concerne ? "D’abord l’âge : au bout d’un certain temps, on se dit ‘il ne me reste plus beaucoup de temps à vivre donc il faut que j’en profite’. Et puis le fait qu’au bout d’un certain temps d’expérience, on se dit ‘bah oui c’est quand-même pas mal ce que j’ai fait’". Une question d’éducation selon elle : "On a éduqué les femmes à se tenir en retrait, à ne pas trop se faire remarquer, à être douces et gentilles. Alors qu’on apprend aux hommes qu’il faut se battre et être le premier". Marie Hendrix admire aujourd’hui les jeunes qui osent…
"On est beaucoup plus attendues aussi sur la qualité de nos interventions que les hommes", ajoute Vaïa Demertzis. Une analyse partagée par la responsable de la Diversité Safia Kessas dont l’interview intégrale est à découvrir dans cet article.
S’exercer pour oser
Le manque d’habitude des médias est un autre frein récurrent. "Mais je n’ai jamais fait de radio !" : une objection que Marie Vancutsem entend à nouveau plus souvent chez les expertes que chez les experts à l’inexpérience similaire. Là encore elle rassure : "Je ne suis pas là pour vous piéger, je suis là pour vous mettre à l’aise"…
C’est pour dépasser cette crainte que des "entraînements" (média-training ou média-coaching) sont organisés à la RTBF spécifiquement pour les femmes qui le souhaitent, notamment en collaboration avec l’Association des journalistes professionnels. Une initiative utile et intéressante pour Emilie Van Haute. Mais elle n’a jamais trouvé le temps d’y aller. "Finalement, le meilleur média-training, c’est d’y aller et d’expérimenter", conclut-elle.
Et une fois que ces expertes ont mis le pied dans la porte, il y a de grandes chances que celle-ci leur reste grande ouverte. Au point de se retrouver parfois sur-sollicitées… Car au-delà de la RTBF, ce sont les médias de façon générale qui sont désormais plus attentifs à une meilleure représentation des femmes.
►►► A lire aussi : "Le carnet d'adresses du journaliste, c'est le reflet de sa manière de voir le monde"
Correction apportée le 30 janvier 2019 : Emilie Van Haute n'est pas rattachée au CRISP mais bien présidente du département de Sciences politiques à l'ULB.