Belgique

Compter les féminicides, éviter l’éducation genrée… comment la Belgique compte lutter contre les violences de genre d’ici 2025

Plan zéro féminicide

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Par Marie-Laure Mathot
Objectif zéro féminicide, c'est la direction que veut prendre la Belgique.
Objectif zéro féminicide, c'est la direction que veut prendre la Belgique. © Getty images

Alors qu’une manifestation est prévue ce dimanche pour lutter contre les violences faites aux femmes et qu’il n’y a pas une semaine sans qu’une nouvelle dénonciation ait lieu dans tous les domaines de notre société, le Plan d’action national de lutte contre les violences de genre (PAN) 2021-2025 vient d'être adopté par tous les gouvernements de Belgique.

Le but de la secrétaire d’État à l’Égalité des genres, Sarah Schlitz est de "renforcer la lutte contre les violences de genre, avec des mesures de prévention, de protection et de poursuite qui permettront de faire reculer le nombre de victimes". Et ce, à tous les niveaux de pouvoir.

Car chaque entité fédérée a déjà pris des mesures en la matière. L’idée est ici de se coordonner et de suivre les mêmes lignes maîtresses. Au total, 200 mesures réparties en 137 pages. Nous les avons parcourues pour vous et on va le voir, elles font écho à beaucoup d’événements de l’actualité de cette année 2021.

Enregistrer le nombre de féminicides de manière officielle

Et non, ce n’est toujours pas le cas en Belgique : il n’existe aucune base de données officielle sur le nombre de meurtre d’une femme, d’une fille en raison de son sexe. Le décompte qui existe est celui de la Plateforme féministe contre les violences faites aux femmes. On est à 18 en 2021, uniquement en se basant sur les articles de presse.

Une manière de compter qui cache le nombre réel de féminicides. Voilà pourquoi le plan prévoit d’adapter la manière d’enregistrer les données à la police et des formulaires qui tiennent compte de cette réalité particulière. L’idée serait de comprendre qui sont les victimes et pourquoi elles tombent dans un tel engrenage. Quel est le contexte de telles violences et pourquoi elles ne vont pas porter plainte.

La secrétaire d'État à l'égalité des genre souhaite également qu'il y ait un suivi des plaintes de violence conjugale et ainsi éviter les féminicides. "Le féminicide est souvent le résultat d'une escalade de la violence qui dure parfois pendant des années, explique Sarah Schlitz. Il faut à la fois prévenir cette violence. Ca, ça passe par la sensibilisation et la formation. Mais aussi pouvoir protéger les victimes en leur apportant l'aide dont elles ont besoin. Par exemple, nous allons pérenniser la mesure prise il y a un an en période de covid: la police va recontacter chaque victime qui fait un dépôt de plainte pour s'assurer que la situation est stable ou, au contraire, agir. C'est important de montrer qu'il y a un suivi et qu'il n'y a pas d'impunité."

Garantir les cours d’éducation à la vie relationnelle affective et sexuelle

C’est une obligation depuis 2012 de la première maternelle à la dernière année de secondaire en Wallonie et à Bruxelles et pourtant, seuls 15% des élèves de secondaire dans la capitale disent avoir déjà entendu parler d’EVRAS pendant leur cursus. L’Evras, c’est l’Éducation à la vie relationnelle affective et sexuelle.

Elle permet d’aborder des notions comme le consentement, qui est au cœur de la réforme du Code pénal sexuel, depuis le plus jeune âge. On n’y parle évidemment pas de sexe en maternelle mais il est déjà possible de mettre en place des animations sur la notion de consentement comme sur d’autres. Et ces formations, elles sont essentielles pour éduquer les garçons comme les filles à entendre la parole de l’autre et à faire entendre la sienne. Pour former et éviter que ça ne dérape et qu’il y ait des victimes.

Le plan d’action national prévoit donc de travailler avec les différents ministres de l’Enseignement obligatoire du pays pour réécrire un cadre pour l’Evras. Il prévoit notamment de mieux définir le contenu de ces formations. Car là aussi, jusqu’ici, c’est laissé à la libre interprétation des écoles. Elles peuvent donc donner les cours qu’elles veulent dans le nombre d’heures qu’elles souhaitent.

Ici, plus question d’axer ces cours n’importe comment. Des référentiels sont prévus, des objectifs précis, un minimum de thèmes à aborder et surtout, une labellisation des intervenants. Tout le monde ne pourra donc pas s’autoproclamer animateur Evras.

Déconstruire les stéréotypes de genre

Là encore, c’est un travail de formation des jeunes mais aussi et surtout du personnel éducatif comme les professeurs, les institutrices mais aussi dès le plus jeune âge, du personnel des crèches par exemple. Dire plus facilement à une petite fille "oh tu es toute jolie" et féliciter les garçons parce qu’ils sont costauds, ça n’a l’air de rien comme ça, mais à force d’être répété, cela crée des stéréotypes de genre. Des clichés à déconstruire car ils peuvent mener à des discriminations et à davantage de violences en fonction de son sexe ou de son genre.

"Le poids des stéréotypes de genre, trop souvent encore à l’œuvre dans notre société, joue un rôle capital dans les mécanismes d’émergence et perpétuation des différentes formes de violences basées sur le genre, peut-on lire dans le plan. Ces stéréotypes genrés ont dès lors comme conséquence de minimaliser et banaliser la violence. Cela peut augmenter le risque d’être victime de violences."


►►► Lire aussi : Quand les coups de la virilité deviennent des coûts pour notre société : "Sans cette éducation, le budget pourrait être à l’équilibre"


Ainsi, selon une étude menée par l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes (EIGE), il est estimé que le coût des violences basées sur le genre dans l’Union européenne s’élève à 366 milliards d’euros par an dont 79% sont des violences envers les femmes. Pour la Belgique, ce coût s’élèverait 9,399 milliards d’euros par an, soit un peu moins de la moitié du déficit annuel du pays.

Former la police, la justice, les médecins… à soutenir les victimes et responsabiliser les auteurs

Encore trop souvent, ce sont les victimes qui sont remises en cause et doivent rendre des comptes au moment d’une agression. Tous les professionnels ne sont pas formés pour reconnaître une situation avec de potentielles violences. Les abus ne sont en effet pas que physiques. Ils peuvent être psychologiques ou économiques.

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Exemple avec le "contrôle coercitif", "une forme de violence dans laquelle l’auteur présente un modèle de comportement contrôlant et manipulateur et exerce un pouvoir sur la victime. Il s’agit d’un modèle d’abus émotionnel et psychologique grave, décrit le rapport. Les victimes sont rendues dépendantes de l’agresseur par des insultes, des humiliations, le contrôle et la manipulation. La notion de contrôle coercitif permet de reconnaître l’hétérogénéité des dynamiques de violences intrafamiliales tout en soulignant la recherche de domination au sein du couple."

Le plan prévoit donc de former les travailleurs de différentes sphères de la société pour être capable de reconnaître ce genre de situations. Un travail de formation avait déjà commencé au niveau de la justice. Il devrait continuer avec la police, les médecins ou encore le personnel psychosocial.

Mettre en place un groupe de travail sur les violences au moment des accouchements

C’était il y a une semaine, la Plateforme pour une naissance respectée sortait son rapport sur les violences au moment de l’accouchement. Il en ressort qu’une femme sur cinq a déjà subi des violences au moment de donner naissance à un enfant dans un hôpital. Le PAN 2021-2025 s’empare de la thématique en créant un référent de violences basées sur le genre dans les hôpitaux et un groupe de travail spécifique pour les accouchements.

"Un groupe de travail interfédéral sera mis sur pied (incluant notamment les associations professionnelles et les représentants des ministres et départements de la santé) afin de développer une politique spécifique en la matière. Un rapport du sénat, en cours de rédaction au moment d’écrire ces lignes, sera très utile à la définition des mesures à mettre en place."

Agir auprès des auteurs de violence

L plan prévoit aussi de responsabiliser davantage les auteurs de ces violences. Il existe des programmes de prise en charge des agresseurs. L’asbl Praxis, par exemple, s’adresse aux personnes de plus de 18 ans qui se posent des questions sur ses attitudes et comportements agressifs ou violents dans ses relations affectives (couple, famille). Il existe aussi des asbl qui s’adressent aux personnes qui ont des fantasmes sexuels déviants comme Séos ou Stop it now.

Mais le plan d’action fait le constat que "ces dispositifs sont plus ou moins développés et coordonnés selon les arrondissements judiciaires". Le PAN 2021-2025 prévoit donc des programmes de prise en charge des auteurs de violence entre partenaires avec des financements pérennes.

Agir sur le monde professionnel

"La violence et le harcèlement fondés sur le genre constituent un problème systémique qui trouve sa source dans les rapports de pouvoir inégalitaires au sein de la société et dans le monde du travail", constate le PAN. Ainsi, sur les 60% de femmes qui ont déclaré avoir été victimes de harcèlement sexuel en Belgique depuis l’âge de 15 ans, plus d’une sur quatre a indiqué que l’auteur était issu du monde du travail.

C’est d’ailleurs de là qu’est partie la vague #MeToo, avec les agressions dans le monde du cinéma. S’en est suivi une kyrielle de hashtags dénonçant les abus dans tous les secteurs professionnels jusqu’à l’arrivée devant les tribunaux aujourd’hui des auteurs dont la prescription n’est pas encore de mise.

"La lutte contre le harcèlement sexuel et les violences sur le lieu de travail fera donc partie des priorités du PAN 2021-2025." Comment ? Là encore par des formations, sensibilisations et informations dans les entreprises qu’elles soient petites ou grandes.

S’attaquer à la cyberviolence

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Il y a quelques mois, le documentaire de Myriam Leroy et Florence Hainaut #SalePute montrait comment des femmes devaient se retirer des réseaux sociaux et ne pouvaient plus s’y exprimer de peur de recevoir des insultes voire des menaces.

Il y a aussi le phénomène de revenge porn, à savoir, la diffusion non consentie d’images et d’enregistrements à caractère sexuel. "Peu importe que la personne représentée ait donné l’autorisation de créer ces images ou qu’elle les ait créées elle-même ; dès lors que cette personne n’a pas donné l’autorisation de montrer ou de diffuser ces images, cette diffusion est pénalement condamnable", explique le PAN. Car le revenge porn peut mener à des drames. C’était cette année encore, Maëlle se donnait la mort suite à la diffusion d’images dénudées de la part de son ex-petit ami.

Afin de lutter contre ces violences en ligne, le PAN prévoit des campagnes de sensibilisation et pas seulement destinées aux victimes mais à tous les utilisateurs pour qu’ils connaissent les sanctions en cas de revenge porn mais aussi en cas de propos haineux envers les femmes. Des actions sont aussi prévues pour "améliorer le signalement et la répression de toutes les formes de violence sexuelle numérique". À voir comment cela se traduira.

Des lieux d’accueil pour les victimes

On l’a vu cette semaine avec l’ouverture d’une maison d’accueil pour les victimes de violences à Liège ou encore avec l’ouverture d’un nouveau Centre de prise en charge des violences sexuelles (CPVS) à Charleroi, le plan prévoit de renforcer l’accueil et l’hébergement des victimes de violences.

"Au vu des évaluations très positives, le gouvernement fédéral a approuvé la création de 7 nouveaux CPVS d’ici 2024, dont 2 en novembre 2021, afin que chaque victime trouve un centre à moins d’une heure de son domicile." Il faut à présent que ces lieux soient connus via les aides de premières lignes comme les centres de planning familial, les campus universitaires ou les lignes d’écoute.

Le plan prévoit également de renforcer la possibilité de rester dans son foyer et que l’agresseur en soit éloigné. Une possibilité qui existe déjà mais qui n’est pas utilisées de la même façon dans tous les arrondissements judiciaires.

Parents séparés, la nécessaire pension alimentaire

C’est un moyen de faire pression sur son ancien partenaire : ne pas payer les créances alimentaires. Ainsi, les mères séparées peuvent encore subir des violences de la part de leur ex-mari, économiques cette fois. "Si elles ne sont pas la cause des violences, les pensions alimentaires peuvent néanmoins devenir un facteur de réactivation de la crainte de les subir et de nouveaux passages à l’acte. C’est pourquoi, il est important d’améliorer le fonctionnement du Service des créances alimentaires (SECAL) et de limiter le plus possible les interactions entre les ex-partenaires."

Cela peut aussi réenclencher un autre cycle de violences psychologiques. "Si elles ne sont pas la cause des violences, les pensions alimentaires peuvent néanmoins devenir un facteur de réactivation de la crainte de les subir et de nouveaux passages à l’acte. C’est pourquoi, il est important d’améliorer le fonctionnement du Service des créances alimentaires (SECAL) et de limiter le plus possible les interactions entre les ex-partenaires."

D’autres mesures à venir

Le plan prévoit aussi d’autres mesures comme un accueil adapté 24 heures/24 dans les commissariats pour pouvoir porter plainte face à des personnes formées aux violences de genre et qui ne remettront pas en cause la parole de la victime, la possibilité de ne pas faire apparaître sur les factures téléphoniques le numéro d’appel pour violence conjugale ou encore l’évaluation d’un projet pilote d’une alerte sur smartphone contre le harcèlement qui consiste, pour les victimes, à disposer, où qu’elles soient, un bouton d’alarme via leur smartphone sur lequel elles peuvent appuyer lorsqu’elles se sentent menacées par la personne qui les harcèle, à savoir, le plus souvent, leur ex-partenaire.

De belles mesures sur papier. A voir comment elles seront concrétisées.

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