A l’avenir, ce type de vaccins produits par synthèse chimique pourrait aider à répondre à un défi potentiellement important : celui de "pouvoir réagir rapidement face à des pandémies qui risquent de devenir de plus en plus fréquentes", souligne l’immunologiste.
"On est à la recherche de techniques qui permettent d’accélérer la production de vaccins et donc si on a une technique de vaccin ARN qui fonctionne, elle peut nous aider à l’avenir à faire face de plus en plus rapidement à des agents infectieux." De réagir aussi plus rapidement en cas de mutation problématique du coronavirus (problématique si elle rend les vaccins existants moins efficaces par exemple).
3. Inflammation
Conceptuellement, on voit que le principe est assez "simple", à partir du moment où les scientifiques ont acquis suffisamment de connaissances sur la génétique et le fonctionnement des virus. Mais techniquement, pour que l’idée se concrétise, il a fallu relever différents défis, et en particulier celui de la réaction inflammatoire induite par cet ARN.
"Il faut savoir que l’ARN viral, pour le système immunitaire, c’est un signal de danger donc il y réagit de manière très forte, c’est ce qu’on appelle une signature moléculaire d’agent pathogène", explique Eric Muraille. "Dans les années 1990, ces vaccins ont été testés dans des modèles animaux et le principal problème, c’est qu’ils étaient très inflammatoires, avec une réaction inflammatoire locale très forte. Ce qui a amené à ce qu’on s’en désintéresse."
Autrement dit, ce morceau d’ARN, qui n’est pas issu d’une copie de notre propre ADN, est lui-même détecté à juste titre comme un intrus. Or ce qui est recherché c’est une réaction du système immunitaire contre la protéine du virus, pas contre le morceau d’ARN qui permet de la produire…
Au fil des ans, les techniques et les connaissances se sont affinées. Des modifications structurelles ont été testées pour rendre ces ARN moins inflammatoires. Cela a été l’un des axes de recherche de la biochimiste d’origine hongroise Katalin Kariko, avec son partenaire de recherche Drew Weissman, comme l’explique le journal Le Monde dans un long article (destiné à ses abonnés) : "Le principal verrou a sauté. Le rêve des deux chercheurs d’utiliser l’ARN comme mode d’emploi et de laisser ensuite les cellules fabriquer elles-mêmes les protéines thérapeutiques prend forme. En 2008, ils découvrent que l’ARN modifié produit même dix fois plus de protéines qu’un ARN naturel. […] Et les publications s’enchaînent. En 2011, Kariko et Weissman purifient encore leur ARN pour éviter toute réaction immunitaire incontrôlée. En 2012, ils réussissent à faire produire par des souris et des singes de l’hormone EPO afin de les soigner de leur anémie."
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Ces ARN modifiés synthétiques restent quand même inflammatoires de façon mesurée, ce qui est nécessaire pour l’efficacité du vaccin : trop de discrétion serait contre-productif. Il faut tout de même un peu titiller le système immunitaire pour l’amener à réagir. "C’est ce qui explique que dans ces vaccins-là, il n’y a pas d’adjuvant ajouté", précise Eric Muraille. "Généralement quand un vaccin est ‘mort’, il faut ajouter un adjuvant pour induire l’inflammation. Ici c’est la signature de l’ARN qui bien qu’ayant été réduite au niveau inflammatoire reste inflammatoire, qui fait l’effet d’adjuvant".
4. Nanoparticules
Autre obstacle technique qu’il a fallu lever : celui de la "transfection", un mot un peu barbare qui désigne le fait de permettre au matériel génétique d’entrer dans la cellule. "Si vous injectez l’ARN messager seul, il va être dégradé tout de suite", expose Jean-Michel Dogné, directeur du département de Pharmacie de l’UNamur et expert en sécurité des vaccins auprès de l’OMS et de l’AEM (Agence Européenne du Médicament).
Le problème est le même pour d’autres types de vaccins développés sur une base génétique, comme ceux d’AstraZeneca ou de Janssen Pharmaceutica. Dans leur cas, la séquence génétique est insérée dans un "vecteur viral", un virus modifié et conçu pour la transporter dans les cellules, où elle sera lue.
Dans le cas des vaccins à ARN messagers tels que développés par Moderna ou Pfizer/BioNTech, l’ARN messager est placé dans une minuscule vésicule de graisse. "C’est plus simple car vous ne travaillez pas sur un vecteur viral, donc vous ne travaillez pas sur un virus qui lui-même doit être cultivé", poursuit Jean-Michel Dogné. On parle de nanoparticules car la taille des vésicules relève d’une échelle nano, comprise entre 1 et 100 nanomètres. "Ça existe déjà pour toute une série de médicaments, ce n’est pas nouveau. On parle de liposomes, des vésicules artificielles formées de couches lipidiques, c’est différent des nanomatériaux".
5. Demi-vie
Une fois arrivé à bon port, dans nos cellules, cet ARN messager synthétique reste-t-il là indéfiniment ? Non. Il va se dégrader. "La demi-vie’biologique de l’ARN messager peut varier de quelques minutes à quelques heures", explique Jean-Michel Dogné. "Elle peut être allongée par la présence d’une ‘coiffe’".
Sans entrer dans les détails de biologie moléculaire, le principe est que plus on augmentera la "demi-vie" de l’ARN messager, plus on lui laissera le temps de contribuer à la production de protéines virales et donc de contribuer à la production d’anticorps. Et donc d‘instruire le système immunitaire. Une fois que l’ARN messager a disparu, le plan de montage disparaît, la production de protéines s’arrête.
(Et la question de savoir combien de temps dure la protection immunitaire reste pour l’instant ouverte, comme pour les autres vaccins actuellement développés contre le coronavirus, et comme pour l’immunité induite par le virus lui-même chez ceux qui ont été infectés).
Revoir la séquence du JT sur l’immunité face au coronavirus (2 novembre 2020) :