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Comment naît une idée ? Les scientifiques sont-ils des humains comme les autres ? Entretien avec Nicolas Martin

Le bonus: l'auteur Nicolas Martin

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Par Marie Van Cutsem, avec A.Poncelet via

Comment naît une idée ? D’où vient-elle ? Comment émerge-t-elle dans un cerveau traversé par des millions de connexions neuronales ? "La naissance du savoir" est le titre du livre, publié par le journaliste français Nicolas Martin, animateur de l’émission 'La méthode scientifique', sur France Culture pendant six ans, dans laquelle il a reçu de nombreux scientifiques.

Ce livre est un recueil d’entretiens avec 17 personnalités scientifiques, spécialisées en physique quantique, cosmologie, biologie, primatologie, … Dans ces entretiens exclusifs, ces cerveaux remarquables nous ouvrent pour la première fois leur 'boîte noire'.

Ce qui est très rassurant, c’est que les scientifiques sont des gens et des êtres humains absolument comme vous et moi.

L’idée derrière ce livre est de questionner la naissance des idées, du savoir. Nicolas Martin cherche en quelque sorte à savoir comment pensent les scientifiques. "J’ai reçu plus de 2000 scientifiques au cours de mon émission, avec toujours cette question : est-ce qu’il y a un ticket d’entrée ? Est-ce qu’il faut un cerveau particulier ? Est ce qu’il faut être particulièrement brillant ou est ce que c’est possible pour tout un chacun ? Finalement, est-ce que ces scientifiques-là sont, je le dis avec un peu d’humour, des êtres humains comme vous et moi ? Et du coup, j’ai pris 17 chercheuses et chercheurs dans 17 disciplines pour essayer de comprendre si un mathématicien pense comme une généticienne, s’il y a une sorte d’esprit scientifique universel.

Et ce qui est très rassurant, c’est que les scientifiques sont des gens et des êtres humains absolument comme vous et moi, avec leurs doutes, avec leurs failles, avec leurs angoisses, avec leurs inquiétudes, avec beaucoup d’humilité aussi. Je pense à Alain Aspect, prix Nobel de physique, qui me dit : 'quand le téléphone a sonné, qu’on m’a dit, Alain, tu as le prix Nobel, mon premier réflexe était de me dire, non, mais ils ont dû se tromper, c’est une erreur'. Donc c’était une plongée assez inédite pour comprendre comment, avec la vocation du début, on choisit sa matière, comment on va filer ce travail au long d’une carrière.

Le journaliste et écrivain Nicolas Martin, auteur du livre "La naissance du Savoir"
Le journaliste et écrivain Nicolas Martin, auteur du livre "La naissance du Savoir" © Philippe Quaisse

L’idée qui émerge, un concept que Nicolas Martin a abordé avec ses interlocuteurs. Est-ce que c’est spontané façon 'pop-corn' ou bien au contraire, au terme d’une méthodologie ferme, carrée ?

"Il y a cette question que je pose à chacune et chacun d’entre eux du 'eurêka', la fameuse idée géniale qui jaillit. L’eurêka, il existe, mais il n’est pas magique. Le 'eurêka', il vient après avoir travaillé, après avoir lu. Et c’est vraiment quelque chose qui revient au cours de ces entretiens : c’est le désir, la volonté de connaître, d’avoir vraiment un socle de lecture très important. Carlo Rovelli, un physicien théoricien passionnant, un peu philosophe des sciences, dit : 'il faut explorer le mur de la connaissance'. Et puis à un moment donné, à force de le connaître très bien, on va trouver la petite anfractuosité dans laquelle on va pouvoir glisser un doigt. Et d’un seul coup, on va repousser un peu. Et on va apporter un centimètre de plus de connaissance. Mais pour ça, il faut d’abord avoir effectivement une grosse connaissance de la littérature et de ce qui se fait dans sa discipline.

S’il n’y a pas de profs qui, à un moment donné, voient un potentiel dans un élève, lui tend la main, lui ouvre une porte et bien derrière, il n’y a pas de grands scientifiques.

Y a-t-il des points communs, un fil rouge entre toutes ces personnalités ? La curiosité peut être ?

Bien sûr, il y a la curiosité. D’une part, il y a - Alain Aspect disait ça aussi —, qu’il faut être un peu obsessionnel. En fait, quand on est sur une idée, il faut la travailler. Parfois ce sont des gens qui ne dorment pas bien. Mais il y a un point commun qui, moi, me semble très, très important de rappeler, c’est que souvent à l’origine, il y a un enseignant, un prof ou une prof en primaire, au collège, au lycée, parfois même un peu tard à la fac. Mais on sait que l’éducation nationale, l’enseignement supérieur, sont des milieux aujourd’hui un peu maltraités. S’il n’y a pas de profs qui, à un moment donné, voient un potentiel dans un élève, lui tend la main, lui ouvre une porte et bien derrière, il n’y a pas de grands scientifiques."

Avoir ou ne pas avoir l’esprit scientifique

"Il ou elle a l’esprit scientifique" : est-ce que cet esprit scientifique existe ou est-ce davantage un apprentissage, une méthodologie doublée de la fameuse curiosité ?

"Je ne crois pas qu’il existe d’esprit scientifique universel comme il n’y a pas une méthode scientifique, mais il y a des esprits scientifiques. Je m’attendais à avoir peut-être, dans ces entretiens, qui sont vraiment des entretiens inédits, une différence justement entre les disciplines, par exemple du vivant ou des disciplines plus théoriques. Il y a certes un écart entre les théoriciens et les expérimentateurs, c’est-à-dire qu’il y a une façon de réfléchir un peu différente. Par exemple, les expérimentateurs ou les gens qui vont sur le terrain, je pense à la primatologue Sabrina Krief, elle va recueillir des données ; et de ces données, elle va tirer des enseignements. Donc elle va faire plutôt un parcours déductif, alors que les théoriciens vont plutôt partir de l’idée pour ensuite trouver des applications et avoir un parcours inductif.

Mais en fait, il y a autant de scientifiques qu’il y a d’êtres humains et ils ont chacun leur singularité. On a souvent cette image des scientifiques un peu isolés, coupés du monde dans leur tour, dans leur laboratoire. Pas du tout. On se rend compte que ce sont des êtres humains, avec leurs passions, avec leurs doutes, avec leurs émotions, qui nous ressemblent et qui sont finalement très proches de nous.

Et Evelyne Heyer, qui a parcouru beaucoup le monde à la rencontre de différentes ethnies, dit qu’il y a un point commun, c’est que les êtres humains sont sympas. Ça fait du bien de se dire que les êtres humains sont sympas quand même."

Nicolas Martin "La naissance du savoir", aux éditions Arènes

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