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Comment la Wallonie valorise-t-elle son patrimoine industriel ?

BOIS DU CAZIER-02

© Getty Images – McBirdy Duhant

Usines abandonnées, friches industrielles, terrils végétalisés, anciennes carrières, cités ouvrières revitalisées… le patrimoine industriel attire chaque année des milliers de Belges. Du Bois-du-Luc à La Louvière au Bois du Cazier à Marcinelle, de Blegny-Mine à Liège aux ascenseurs hydrauliques du Canal du Centre… Comment la Wallonie valorise-t-elle son patrimoine industriel ? On vous emmène sur les traces de l’industrialisation qui habille, aujourd’hui encore, nos villes et nos campagnes.

De l’oubli à la reconnaissance

Au 19e siècle, la Belgique était considérée comme la deuxième puissance industrielle au monde, avec trois industries majeures : le charbon, la métallurgie et le textile. Au fil du temps, de nombreux témoins de l’industrialisation ont commencé à disparaître, laissant la place à des sites, des bâtiments et des outillages historiquement, architecturalement et socialement moins intéressants.

Ce n’est qu’à la fin des années 1970, que la Belgique a pris conscience de la valeur des vestiges de son passé industriel. Viendront ensuite des années de sensibilisations, d’études, de repérages, d’inventaires, de projets de démolition, de reconversion, de revalorisation, de réhabilitation de biens matériels… Mais aussi, de préservation de la mémoire des ouvriers.

Aujourd’hui, les mentalités ont changé. Le patrimoine industriel est reconnu comme tel, par la plupart des pays et des institutions culturelles. Certains sites wallons sont inscrits par l’UNESCO sur la liste du Patrimoine de l’Humanité. Une victoire pour les défenseurs des traces de l’industrie, ces passionnés qui se battent depuis des années pour la sauvegarde des éléments de mémoire.

Le patrimoine industriel bénéficie aujourd’hui d’une belle reconnaissance, certes. La Wallonie a même lancé, en 2020, une mise à jour de l’inventaire du patrimoine industriel existant, et a demandé à des experts compétents en la matière de répertorier le patrimoine en danger, pour "avoir une vision claire et complète des biens immobiliers menacés de démolition ou susceptibles d’être transformés, afin d’agir de manière opportune avant qu’il soit trop tard", avait alors déclaré à nos confrères du journal Le Soir la Ministre en charge du patrimoine dans le Gouvernement wallon, Valérie De Bue.

C’est oui, ou bien c’est non ?

Les administrations publiques montrent régulièrement des réticences sur ce qui doit être considéré comme patrimoine industriel ou non. Déjà, parce que les éléments industriels ne se traitent pas comme des monuments historiques traditionnels, et ne sont donc pas faciles à entretenir, transformer ou réhabiliter. Ensuite, parce qu'"il faut que ces éléments fassent sens aujourd’hui et qu’ils s’inscrivent dans l’avenir," soutient Valérie De Bue. "Il faut que l’on puisse leur donner une utilité, une nouvelle place dans notre quotidien. Le patrimoine doit vivre et non survivre !" Une vision d’avenir qui s’inscrit parfaitement dans la thématique des prochaines journées du patrimoine, les 10 et 11 septembre 2022, à savoir l’innovation, comme l’explique la ministre dans cette interview de Télésambre.

Les défenseurs des vestiges industriels, quant à eux, sont bien conscients qu’on ne peut pas TOUT sauver. Mais ils "s’inquiètent toutefois de l’absence de vision globale au sein du gouvernement et d’un manque de réflexion en profondeur sur ce qu’il conviendrait de transmettre aux générations futures", comme l’expliquent les membres de l’asbl Patrimoine industriel Wallonie-Bruxelles.

L’exemple du Haut-Fourneau 4 de Marcinelle est particulièrement intéressant pour illustrer ces propos. Démolira, démolira pas… ? Ce symbole de la sidérurgie wallonne et du passé industriel de Charleroi a une épée de Damoclès au-dessus du gueulard, depuis sa mise à l’arrêt en 2008. Son comité de défense et autres passionnés de ce vestige carolo se battent depuis plus de 10 ans pour la sauvegarde de ce patrimoine industriel. Chaque année, ils organisent d’ailleurs une marche aux flambeaux. Une longue saga qui semble toucher à sa fin : le Haut-Fourneau 4 serait enfin sauvé ! Fin 2021, le bourgmestre de Charleroi Paul Magnette annonçait que le HF4 sera conservé presque en l’état, pour servir d’abord de ‘repère’ au sein d’un grand parc urbain, qui changera le visage de Charleroi d’ici quelques années. Il servira ensuite d’espace de pédagogie, de savoir et de transmission de mémoire.

Une issue moins heureuse pour le site ArcelorMittal de Chertal, dont le démantèlement commence en ce mois de février 2022. Des férus du patrimoine industriel ont toutefois pu sauver un wagon-torpille, monument commémoratif de la sidérurgie liégeoise. Il devrait être installé en 2023 en face de la Médiacité. ArcelorMittal a également fait don d’une poche-torpille, provenant de cet ancien site sidérurgique, à la Maison de la métallurgie et de l’industrie de Liège.

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Un autre exemple d’émulation patrimoniale, celle du Haut-Fourneau B d’Ougrée. La Région wallonne avait remis en avril 2021 un permis de déconstruction. Aujourd’hui, une partie devrait être préservée, grâce à la mobilisation de citoyens, de syndicats et de certains partis de Seraing, qui aimeraient y faire naître un projet culturel et associatif. Mais voilà qu’il est aujourd’hui question de changer l’une des autorisations :

Les types de valorisation du patrimoine industriel

Il est certain que conserver des éléments du patrimoine industriel sur le long terme est quelque chose de complexe. Ces bâtiments ont une architecture hors norme, faite de fonte, de briques ou de tôles. Ils sont souvent de taille imposante, nécessitent un savoir-faire bien particulier, et pour qu’un projet de préservation ou de revitalisation soit durable, il faut tenir compte de tout un tas de facteurs économiques, socioculturels, touristiques, ainsi que des différentes possibilités offertes par la région et le bien en question.

La valorisation des sites et bâtiments industriels peut prendre des formes très diverses. Les bâtiments peuvent par exemple être réhabilités en habitations, en bureaux ou en commerces. C’est notamment le cas de l’ancienne moutarderie namuroise Bister, qui a été transformée en logements il y a 4 ans, ou l’ancienne usine à gaz de Mons transformée en logements et en bureaux pour le Forem.

Un autre type de valorisation : si un bien industriel présente un réel intérêt patrimonial et possède encore toute sa machinerie, il pourra être conservé en l’état (après avoir été remis aux normes, bien entendu), et être transformé en musée ou en centre d’interprétation. C’est notamment le cas de la Maison de la Métallurgie et de l’Industrie de Liège et de Blegny-Mine, l’un des 4 sites miniers majeurs de Wallonie, reconnus au Patrimoine mondial de l’UnescoBlegny-Mine est une mine de charbon authentique, dont les galeries souterraines sont encore accessibles par le puits original. Un passage qui plonge les visiteurs à 60 mètres sous terre, dans le quotidien des mineurs de l’époque.

Le Bois du Cazier et Le Bois du Luc sont d’autres beaux exemples de revalorisation et de muséification. Ces témoins importants du passé industriel wallon, inscrits au Patrimoine mondial de l’UNESCO, sont aujourd’hui des lieux de mémoire qui illustrent la condition et l’immigration ouvrière.

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Salles de concerts, d’expositions, de spectacles, espaces interactifs, aires de loisirs, restaurants insolites, brasseries… Les idées de réaffectation du patrimoine industriel rivalisent de créativité et d’innovation. On garde l’enveloppe, mais on y propose d’autres activités. Une façon de conserver la valeur patrimoniale et la mémoire des édifices, mais aussi d’inscrire ces lieux d’histoire dans l’avenir.

Parmi les réaffectations de lieux industriels, on peut par exemple citer le Rockerill, célèbre salle de concerts et expositions carolo installée sur le site des anciennes forges de la Providence, et le centre Sparkoh ! (ancien Pass), un parc d’aventures scientifiques bâti sur l’ancien charbonnage de Crachet-Picquery, près de Mons.

Le Grand-Hornu est un autre bon exemple de réaffectation réussie. Cet ancien complexe minier qui compte parmi les plus beaux lieux de la Révolution industrielle (d’ailleurs classé par l’UNESCO sur la liste du Patrimoine mondial de l’humanité) est aujourd’hui l’un des premiers lieux culturels de Belgique consacrés à la création actuelle.

Le Martinet, aussi, illustre bien la réaffectation des éléments industriels. Cet ancien site minier remarquable de la région de Charleroi a fait l’objet d’un véritable combat mené par les citoyens, pour sauvegarder le lieu et sa biodiversité. Le site du Martinet est aujourd’hui revalorisé par des balades et différents projets, dont une brasserie et un vignoble.

Et, comme le tourisme industriel est aujourd’hui une véritable tendance (le succès grandissant des visites de monuments industriels lors des Journées du Patrimoine prouvent bien l’intérêt du Belge envers ces lieux autrefois ignorés), plusieurs communes wallonnes proposent des circuits urbains à la découverte du patrimoine industriel.

C’est, par exemple, le cas de Charleroi avec sa Boucle Noire, une randonnée punk et poétique pour explorer Charleroi et son histoire industrielle et de Liège avec sa Route du Feu.

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Il n’y a pas d’âge pour s’intéresser au patrimoine

Dans cette optique de sauvegarde du patrimoine industriel sur le long terme, il est intéressant de sensibiliser un maximum de gens. Des adultes, mais donc aussi les plus jeunes. Sensibiliser le jeune public au patrimoine est l’une des missions de l’Agence wallonne du Patrimoine, qui organise régulièrement des animations pour enfants, des découvertes en famille et des activités pédagogiques. D’autres structures accueillent régulièrement jeunes et moins jeunes pour réaliser des travaux de rénovation de bâtisses et proposent des stages. C’est par exemple le cas du Rockerill, qui apprend le travail de la forge et des arts plastiques aux jeunes de 8 à 16 ans, pour les sensibiliser à notre patrimoine industriel. Les générations futures auront probablement un regard différent sur ce patrimoine et y trouveront sûrement d’autres voies de reconversion, des réaffectations encore plus créatives – qui sait – que celles que nous imaginons aujourd’hui.

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