Sans réellement nous en apercevoir, nous sommes pris dans l’étau d’une nouvelle langue. Une langue qui, par confiscation des mots ou altération et inversion de leur sens, impose insidieusement une pensée prédigérée et exclusive, à la manière de la novlangue de George Orwell dans 1984. Analyse avec l’économiste et auteur Jean-Paul Fitoussi.
Le travail déjà accompli par la novlangue en Europe est considérable : on a ainsi décidé de bannir du vocabulaire un certain nombre de mots, devenus tabous. L’essentiel est d’éviter les mots interdits, pour faire à la longue disparaître les choses qu’ils désignent. La novlangue fait ainsi de nombreux dégâts sur la langue mais aussi sur nos modes de pensée.
Effacer un mot, c’est comme jeter des livres et amputer de milliards de combinaisons notre capacité à nous faire comprendre. […] C’est une violence que d’être privé d’un concept pour exprimer sa pensée. Au bout du chemin, c’est la pensée elle-même qui rétrécit. Lorsque les mots pour le dire manquent, eh bien, on ne dit pas ou on dit autre chose que ce que l’on voulait dire.
C’est ce qu’écrit l’économiste et auteur Jean-Paul Fitoussi dans son livre Comme on nous parle - L’emprise de la Novlangue sur nos sociétés (Ed. Les Liens qui Libèrent)
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L’objectif que poursuit la novlangue est de limiter l’espace de la pensée, de faire en sorte que les gens pensent de moins en moins critique par rapport à ce qu’on leur présente comme vrai, explique Jean-Paul Fitoussi. Ils vont ainsi de plus en plus se dire responsables de ce qui leur advient, puisqu’ils ne peuvent plus critiquer les grands acteurs, les grands pouvoirs qui ont pour responsabilité de les protéger.
Il y a ainsi une façon de distordre les mots et la pensée. Et c’est bien cela la pensée unique dont on parlait dans les années 90 : le fait d’avoir réduit l’espace de la pensée et de ne plus permettre qu’une pensée diverge, qu’une alternative puisse s’exprimer.