Partons revisiter une page d’histoire dont on croyait tout savoir. Nous sommes le 14 avril 1912. Le naufrage du Titanic se déroule dans une mer glacée. A plus de 800 kilomètres de là, au siège de la White Star, la compagnie qui possède le paquebot, on cherche des solutions. La littérature comme le cinéma se sont intéressés au travail des secours. Jamais à celui des croque-morts. C’est le point de départ de notre bande dessinée du jour, qui démarre donc à Halifax, au Canada, d’où appareillent deux bateaux qui vont arriver sur place près de dix jours après le naufrage. A bord : du bois pour les cercueils, des toiles de lin, de la glace, un embaumeur, un médecin qui devra surtout jouer les légistes. Cet étrange équipage découvre des centaines de corps parfaitement conservés, en position verticale, flottant dans leur gilet de sauvetage. La scène est vue avec beaucoup de pudeur et même une certaine poésie par le dessinateur, Pascal Régnauld, qu’on a surtout connu comme le dessinateur de la série ''Canardo'' ces dernières années et qui signe ici un remarquable polar semi-réaliste en compagnie du scénariste Didier Quella-Guyot.
Ça fait froid dans le dos, rien de voyeur ni de morbide dans ''Halifax, Mon Chagrin''. Mais un polar s’appuyant sur des faits rigoureusement historiques. L’arc complet va permettre au scénariste de joindre deux des événements les plus importants qu’ait connus la ville d’Halifax : le rapatriement des corps des victimes du Titanic, en 1912, dont plusieurs centaines sont enterrées dans trois cimetières de la ville, et un événement bien plus dramatique qui aura lieu cinq ans plus tard. Entre les deux, la fiction. En l’occurrence, une série de meurtres et une enquête menée par deux flics aux habitudes pour le moins opposées qui vont nous permettre de découvrir des pages d’histoire insoupçonnées.
Un exemple : car il arrive très tôt dans le récit, je ne vous couperai donc pas l’herbe sous le pied. Il s’agit d’un fait véridique. Les conversations entre le bateau croque-mort et la capitainerie d’Halifax ont en effet été rendues publiques il y a quelques années. Quand l’équipe envoyée sur place a compris qu’elle n’aurait ni assez de cercueils ni assez de glace pour tous les corps, elle en a rendu compte à la compagnie. Décision a été prise de ne ramener que les corps des passagers qu’on pouvait identifier comme étant ceux des premières et deuxièmes classes. Montres en or, bijoux, chaussures ou tenues de soirée ont alors servi de sésame pour être rapatrié. Les autres corps ont été lestés et rendus à la mer, même lorsqu’ils avaient pu être identifiés. C’est en partant de cette terrible injustice que Didier Quella-Guyot a construit tout son scénario. Un scénario qui explore aussi d’autres formes d’exclusion et de racisme, comme on le découvrira en lisant ce ''Halifax, Mon Chagrin'', paru dans une maison d’édition alsacienne encore peu connue : Félès.
''Halifax, Mon Chagrin'', par Quella-Guyot et Regnauld, Félès