Cette semaine, je vous emmène au Mexique.
En ce mois de mai pourri, prenons le large et envolons-nous pour le Mexique, mais loin des images de carte postale. On doit notre BD du jour à un graphiste d’une trentaine d’années, publié en français pour la première fois, Edgar Camacho. Il nous convie dans un quartier de Mexico, où nous découvrons Susana, une jeune femme sur le point d’emménager. Elle débarque au 22 de la rue Acacia avec sa valise. Jusque-là, rien de bien particulier, si ce n’est qu’une autre Susana emménage au même endroit, cinquante ans auparavant. Les deux jeunes femmes ont le même visage, le même prénom et habitent le même lieu. L’une rêve de faire sa place comme graphiste, l’autre veut devenir écrivaine.
Quel est le lien réel entre ces deux jeunes femmes ? C’est tout l’objet de ce livre aussi élégant qu’étrange : s’agit-il d’une sorte de conte social ou d’une histoire fantastique ? La ressemblance entre les deux jeunes femmes et leur origine provinciale à toutes les deux laisse penser qu’il s’agirait d’une forme de réincarnation. Ou de double vie. D’autant que la Susana contemporaine, aux prises avec des problèmes domestiques, va trouver dans une fissure du mur de la chaufferie une lettre qui a patienté quelques décennies entre deux briques. Cette lettre pour la Susana du futur lui est adressée par la Susana du passé.
C’est là que le roman graphique de ce jeune Mexicain prend tout son sel. Peu importe qu’il s’agisse d’une histoire faisant appel au fantastique ou à un fabuleux hasard. Ce qui compte, c’est l’effet de miroir que ces deux protagonistes entretiennent durant tout le livre. La Susana des seventies va finalement aider indirectement celle d’aujourd’hui à se réaliser. Mais ce qui compte, pour nous qui lisons leur histoire, c’est la répétition de situations d’isolement et de rêves inaccessibles contre lesquelles se battent ces deux jeunes adultes venues de province et échouées dans une mégalopole. En cela, le livre est évidemment universel et pourrait aussi bien avoir pour décor une ville comme Bruxelles, Paris ou Londres.
Il y a un joli travail sur la lumière et sur les couleurs pour nous faire entrer dans ce double univers, placé dans le même lieu à cinquante années de distance. On passe allègrement des années septante aux années 2020, grâce à un effet délavé appliqué aux couleurs du passé. Il y a surtout une virtuosité dans la manière de raconter deux vies en parallèle, avec de très beaux effets de palindromes graphiques et des cases qui se répondent ou se complètent. Sans être un livre politique, Acacia 22 parle de la condition féminine, du plafond de verre, des déterminismes sociaux. La Susana des années 70 doit par exemple se battre contre la pression familiale qui ne veut qu’une chose : la voir mariée et mère de famille. C’est aussi, bien entendu, un livre sur le temps qui passe. Il est paru aux éditions Çà & Là.