Cette semaine, une biographie, celle d’une icône du féminisme un peu oubliée : Suzanne Noël.
Elle a exercé la médecine, mais pas n’importe quelle médecine et pas n’importe quand. Dans le premier volume de cette passionnante biographie paru l’an dernier, on suivait les pas de cette jeune femme curieuse et intelligente qui décide au tout début des années 1900 de suivre des études. Encouragée par son mari médecin, elle commence par le baccalauréat, puis s’inscrit à la fac de médecine en 1905. A l’époque, les femmes se comptent sur les doigts d’une main dans le métier. Très vite, elle se passionne pour la chirurgie esthétique qui en est encore à ses balbutiements.
Suzanne Noël n’a pas seulement révolutionné le rapport au corps féminin. Sa patientèle était largement composée de femmes dont l’une des premières et des plus célèbres fut la comédienne Sarah Bernhardt. Mais au-delà, son intérêt pour la médecine réparatrice lui a permis de jouer un rôle auprès des gueules cassées, après la Première Guerre mondiale. Pendant la Seconde, elle a soigné et parfois modifié le visage de personnes recherchées. Puis, elle s’est consacrée à effacer certaines traces physiques laissées sur les déportés par les camps de concentration. Le plus incroyable est que cette chirurgienne d’exception a travaillé pendant des années sous le nom de son mari, n’étant pas autorisée, à ses débuts, à exercer en tant que femme.
On pourrait tout à fait transposer cette BD au cinéma. Il faut dire que la scénariste de ce A mains nues n’est pas n’importe qui. Il s’agit de Leïla Slimani, Prix Goncourt 2016, connue pour son engagement auprès des femmes. Elle avait déjà adapté l’un de ses essais chez le même éditeur, mais c’est son premier scénario de fiction en BD. Pour le mettre en images, elle s’est associée à un dessinateur habitué aux biographies à succès, Clément Oubrerie, qui s’est notamment illustré dans un récit de la vie parisienne de Picasso intitulé Pablo. Les deux auteurs se complètent parfaitement. En deux livres d’une centaine de pages, ils racontent le destin de Suzanne Noël, qui a non seulement fait avancer la médecine réparatrice, mais aussi la cause des femmes ; elle est à l’origine de l’installation de la branche française des Soroptimists, deux ans après la création du premier club de ce type, aux Etats-Unis. La chirurgienne a ensuite sillonné l’Europe, puis le monde entier, pour répandre à la fois son enseignement et défendre les droits des femmes.
Si la BD montre les problèmes moraux qu’elle a connus et les difficultés qu’elle a rencontrées, y compris sur le terrain privé, on aimerait parfois voir douter un peu plus Suzanne Noël pour être pus encore en empathie avec elle. Mais on ressort de cette lecture avec le sentiment d’avoir découvert ou redécouvert une femme d’exception. A mains nues, deux volumes parus aux Arènes BD.