Cet article est écrit pour l’émission de radio "Les Grenades, série d'été", à retrouver chaque samedi de l'été sur La Première, de 9h à 10h.
Épisode 1 : femmes et colonisation.
Il y a 60 ans, le 30 juin 1960, le Congo devenait indépendant. Or, l’histoire des colonies est aussi l’histoire de la domination masculine qui continue de laisser des traces dans notre société. A l’époque, cette domination se retrouve jusque dans les représentations des femmes noires, souvent seins nus à côté d’hommes blancs rigolards sur des cartes postales.
"L’histoire coloniale est une histoire masculine, racontée par le haut, et qui ne se pose pas la question de l’intime", analyse Amandine Lauro, historienne spécialisée dans le genre et la colonisation. "Il y a eu une culture de l'impunité face aux violences sexuelles durant la colonisation. Les territoires coloniaux sont des territoires d’opportunisme sexuel pour les colonisateurs, ils pouvaient y faire ce que l’Église et la famille les privaient de faire sur le territoire européen, parfois avec de très jeunes filles".
Violences coloniales
En 2018, au moment de la sortie du livre "Sexe, race et colonie", qui s’intéresse aussi aux violences sexuelles dans les colonies et dont le travail collectif a été salué, les médias avaient massivement partagé ces images coloniales et participé, de fait, à leur circulation. Le collectif Cases Rebelles, composé de personnes concernées, avait réagi : " […] sous prétexte de dénoncer ou d’analyser, les bonnes âmes reconduisent la violence en diffusant massivement des images de femmes non-blanches humiliées, agressées, dont certaines sont encore des enfants sur les clichés en question. Comme si la reproduction de ces images avait cessé d’être profondément attentatoire à leur dignité, comme si elles n’affectaient plus leurs descendant.e.s et tout.e.s les héritier.e.s – côté victimes – de cette violence coloniale. […] Nous estimons que ces images, issues du pillage dévastateur des corps, doivent impérativement être restituées aux communautés qui ont subi ces agressions.
"Ces images peuvent être décrites et ce serait bien suffisant. Les victimes peuvent être anonymisées, floutées. Il est possible de masquer les parties génitales. Elles peuvent être dépornographiées, désexualisées. Mais il est certain que ces choix sont extrêmement moins vendeurs, moins choc, moins attractifs", conclut le collectif.
Il y a eu une culture de l'impunité face aux violences sexuelles durant la colonisation. Les territoires coloniaux sont des territoires d’opportunisme sexuel pour les colonisateurs
Selon l'historien Pascal Blanchard, qui a co-dirigé le livre, il est important de montrer ces images. "C’est le même débat qui a été fait quand on a montré des images de la Shoah pour la première fois. Fallait-il les montrer ? Mais pour vraiment comprendre ce passé, il faut en montrer l’indicible. Sans quoi, on ne peut déconstruire. Comprendre, sinon, montrer cette notion de "safari", de culture-monde, de puissance du porno-colonial ?", a-t-il déclaré à Libération.
Hypersexualisation
De nos jours, l’hypersexualisation et l’objectivisation des femmes racisées font encore partie de leur quotidien. L’actrice Priscilla Adade en témoigne : "J'ai reçu récemment une demande d'un journaliste pour une interview un soir tard, "juste pour le plaisir". L’héritage de cette histoire coloniale est toujours là, l’assignation aussi. Je reçois des propositions pour jouer des rôles d’infirmières ou de prostituées. Comment est-ce qu’on représente les femmes noires ? On ne m'a jamais donné un rôle de bourgeoise".