La couleur des idées

Claire Marin, philosophe : "On est autant construit par ce qu’on fait que par ce qu’on n’a pas fait"

Claire Marin

© DR

Par Simon Brunfaut et Tania Markovic via

Ce samedi dans la Couleur des Idées, Simon Brunfaut reçoit la philosophe Claire Marin à l’occasion de la parution de son dernier ouvrage intitulé "Être à sa place" aux éditions de l’Observatoire. Un livre qu’on pourrait résumer par une série de questions : Que veut dire "être à sa place" ? Pourquoi cherchons-nous une place dans la vie ou pourquoi, au contraire, cherchons-nous à ne pas en avoir ? Que dit-elle de nous, cette place ? Et du monde ? De notre rapport aux autres ?

Dès les premières pages, Claire Marin évoque les raisons qui l’ont poussé à écrire ce livre. "Pourquoi ce livre ?", écrit-elle, "parce qu’il arrive qu’on soit brusquement délogé d’une place qu’on croyait occuper par choix, avec bonheur. Cette place nous semblait acquise, justifiée, méritée, non sans aveuglement quant à la part de hasard qui nous avait jeté là. Lorsqu’un événement ou une catastrophe me déplace et me fait perdre ma place, il arrive que je découvre à quel point j’y étais limité, emprisonné. Paradoxalement, ce déplacement forcé libère plus qu’il ne prive. On n’est peut-être pas toujours le mieux placé pour dire quelle est notre place."

La philosophie pour parler de « place »

Philosophe à cheval sur plusieurs disciplines, Claire Marin ne sépare pas la philosophie de la littérature, refuse de considérer que les philosophes seraient plus philosophes que les écrivains. Pourtant, dans "Être à sa place", elle choisit la philosophie pour parler de "place" et non pas la littérature, même si des auteurs comme Annie Ernaux (qui a d’ailleurs reçu le prix Renaudot en 1983 pour La Place) y sont convoqués. Un positionnement qui fait sens car la philosophie est un exercice de déplacement intellectuel permanent. "On n’est jamais complètement dans l’affirmation mais beaucoup plus dans l’interrogation, c’est peut-être l’un des exercices intellectuels le plus féconds et le plus apte à créer en nous des déplacements, des questionnements et peut-être des débuts d’itinéraires", déclare Claire Marin.

Un lieu intérieur

Un itinéraire suppose de se rendre d’un lieu à un autre. Ces lieux, il en est beaucoup question dans "Être à sa place". Pas nécessairement matériels, disjoints de la propriété, de l’avoir, ils seraient plutôt à chercher "au-dedans" ; nous les transporterions intérieurement. La place irait bien au-delà du lieu. Claire Marin la définit de la sorte : "un lieu intérieur beaucoup plus qu’un lieu matériel qu’on emporte avec soi, qui nous rassure et nous protège quand nous sommes dans des lieux qui nous paraissent étrangers ou inquiétants". C’est la raison pour laquelle la philosophe consacre un chapitre de son livre à la musique car celle-ci "recompose le sentiment de familiarité". Ainsi, Claire Marin écrit :

Si j’écoute de la musique dans mon casque, ce n’est pas seulement pour rester dans ma bulle, pour m’extraire du monde, c’est aussi pour avoir le courage d’y pénétrer lorsqu’il semble clos sur lui-même, fermé à toute intrusion, me repoussant loin de lui. C’est pour y instiller de la familiarité. Certains territoires paraissent hostiles. La musique les rend moins inquiétants. Leur superposer une mélodie ou un rythme permet de les approcher, de les apprivoiser. Nous esquissons sans cesse des cercles autour de nous, des murs imperceptibles, sonores ou affectifs, des frontières psychiques qui nous rassurent et fixent des repères, distinguant le mien de l’autre, le familier de l’étranger.

Trouver sa voix

Trouver sa place passerait, entre autres, par la musique qui nous permet d’apprivoiser le monde qui nous entoure, de faire notre nid. "Être à sa place" se manifesterait aussi par le fait d’être "dans sa voix". Si Claire Marin avait longuement travaillé sur le corps précédemment (notamment dans son texte autobiographique "Hors de moi" où elle revenait sur son expérience de la maladie et de la colère qu’elle éprouvait face au sentiment d’être dépossédé de son corps), la question de la voix était jusque-là absente de ses textes. Claire Marin explique que cette question lui est devenue sensible "par le contact de certaines philosophes et intellectuelles qui développent une pensée féministe autour de ce sujet". Son expérience d’enseignante l’a aussi intéressée à cette problématique. Elle témoigne :

Comme enseignante je m’attriste souvent que des étudiantes n’osent pas prendre la parole alors qu’elles ont parfois des choses plus intelligentes à dire que ceux qui la prennent. Je constate qu’il reste encore une belle marge pour que le fait d’affirmer sa voix soit aussi facile pour les filles que pour les garçons.

Un entretien mené par Simon Brunfaut à écouter ci-dessous ce samedi 12 mars dès 11 heures.

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