Ce 25 mars 2021, nous célébrons les 140 ans du compositeur hongrois Béla Bartók, une figure majeure de la musique moderne. À l’instar de son compatriote Zoltan Kodaly, il a marqué l’histoire de la musique par ses rigoureuses recherches ethno-musicales autour des musiques populaires hongroises, roumaines et slovaques. En puisant dans ce matériau très riche, Bartók a su créer son propre langage musical, résolument nouveau.
Rien ne semblait prédestiner le jeune Béla Bartók à devenir l’un des compositeurs les plus rafraîchissants de la musique moderne, porteur de multiples nouveautés qui ont fait bien des émules. Au contraire, il n’entre que tardivement en contact avec ce type de musiques. Il naît dans le petit village hongrois de Nagyszentmiklós (ou "Grand Saint-Nicolas"), aujourd’hui situé sur le territoire roumain, où il passe les sept premières années de sa vie. À la mort de son père, sa famille est contrainte à de nombreux déménagements successifs. Il aboutit à Pozsony (prononcer "Pojogne"), une ville modeste, mais qui se trouve être à l’époque l’un des seuls centres artistiques importants en Hongrie avec Budapest, en raison de sa proximité de Vienne. C’est là que Bartók effectue ses études secondaires, qu’il découvre la musique savante de Bach à Brahms et qu’il apprend le piano et la composition. Il n’a alors pas la moindre connaissance de la musique contemporaine.
Il entre en 1899 à l’Académie royale de musique de Budapest où il perfectionne ses connaissances en piano et en composition. Il se spécialise finalement dans le piano, considérant ses modèles, Brahms et Dohnányi, comme dépassés. Mais la découverte de "Also sprach Zarathustra" de Richard Strauss en 1902 lui apparaît comme une révélation et le ramène à la composition. Il commence alors à prendre part au courant nationaliste hongrois qui se développe à l’époque. Une sympathie qui le conduit en définitive à une découverte majeure qui le nourrira tout au long de sa carrière : celle du chant populaire hongrois. Avec un autre grand compositeur hongrois, Zoltan Kodaly (prononcer "kodaïe"), Bartók se lance dans une intense entreprise de collecte et recensement des mélodies populaires, de village en village. Un patrimoine oral et transmis de bouche à oreille, d’une grande richesse, qu’il s’agit d’enregistrer et de transcrire méticuleusement pour en assurer la sauvegarde. Ces mélodies authentiques n’ont rien à voir avec les pseudo-mélodies populaires en vogue à l’époque dans les salons, qui ne sont que fabriquées "à la manière populaire". Dès ce moment, la recherche ethno-musicale devient un axe à part entière de la carrière de Bartók, à côté de la composition.
Le terreau populaire
La découverte et l’exploitation des musiques populaires hongroises, roumaines et slovaques dans le cadre de ses compositions constitueront un terreau extrêmement fertile pour Bartók. Le musicologue Marc Honegger écrit à son sujet : "L’étude du chant populaire fut déterminante pour Bartók, ainsi qu’il le reconnaissait lui-même, car elle lui permit de s’émanciper de la stérile dualité du majeur-mineur, sans pourtant l’amener à rejeter les préceptes de la tonalité. La plupart des mélodies populaires reposent sur la modalité et le pentatonisme ; elles lui proposaient donc de plus grandes possibilités que la musique élaborée n’avait pu lui en offrir depuis un siècle. Les nouvelles configurations rythmiques l’incitaient aussi à une rénovation du temps musical. Le chant populaire peut apparaître à divers degrés d’élaboration : tantôt sous la forme de la simple harmonisation d’une mélodie populaire inchangée, tantôt sous la forme d’une libre transposition thématique de la mélodie ou de l’un de ses éléments, rythmique ou mélodique ; tantôt encore sous la forme d’une composition originale dans l’esprit du chant populaire. Dans ce dernier cas, la musique populaire est effectivement devenue pour Bartók « sa langue musicale maternelle »".
Si Bartók puise abondamment à cette source populaire, enrichissant son vocabulaire musical de ses thèmes, modes et rythmiques si caractéristiques, il est important de préciser qu’il ne s’y limite jamais. Il combine ces éléments à d’autres sources et les réarrange dans un style tout personnel. Il est particulièrement créatif sur le plan harmonique : au départ des règles qui régissent les mélodies populaires, il opère une transformation caractéristique. La dissonance n’est plus seulement utilisée pour amener une tension ou une couleur, comme dans la musique impressionniste : elle amène une densité sonore. On voit ainsi des accumulations d’intervalles de seconde ou de quarte qui suivent la mélodie avec le même degré de légitimité que les consonances.
Pour célébrer les 140 ans de la naissance de ce grand maître hongrois des mélodies populaires, nous vous invitons à plonger en musique dans son univers si particulier.