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Chypre : les leçons d'un hold-up géant

Patrick Smets

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Par Patrick Smets

Le week-end dernier, les Chypriotes se sont réveillés avec une bien mauvaise surprise. Alors qu’ils viennent d’élire en février leur Président, Nikos Anastasiadis, sur une promesse de garantie complète des dépôts bancaires, ils ont découvert que tous les comptes ont été bloqués dans l’attente du prélèvement d’une taxe exceptionnelle de 6 à 10 %. Pris de court par la colère légitime de la population, les autorités politiques tentent à présent de faire demi-tour. Mais le capharnaüm politique actuel ne doit pas nous faire perdre de vue les principales leçons de cette crise.

L'état peut tout

Tandis que la communication officielle se noie dans les détails sur le statut particulier de l’île, pour le grand public, un seul fait émerge, clair, massif et incontournable. À tout moment, un gouvernement peut bloquer l’ensemble du système bancaire, fermer les guichets, clôturer les opérations électroniques et prendre le contrôle de vos comptes. Ce qu’il en fera ensuite est assez peu important. Qu’il restitue finalement chaque centime ou qu’il lève une taxe de 95 %, le gouvernement se sera accaparé votre propriété et l’aura mise au service de ses propres objectifs. Plus personne ne peut prétendre posséder quelque chose car, désormais, l’État peut s’en saisir à tout moment, sans préavis. L’usage de vos biens ne dépend, in fine, que de son seul bon vouloir. C’est la première leçon à tirer de ce qu’il vient de se passer à Chypre.

Le consensus politique

La deuxième leçon porte sur les conceptions politiques réelles de nos dirigeants. La confiscation des comptes en banques à Chypre ne relève pas d’une affaire interne. Même si tous les pays n’ont pas le même poids pendant les négociations, ce sont bien les ministres européens dans leur ensemble qui ont décidé de cette mesure. Pour la Belgique, la décision a été avalisée par le Ministre des Finances M. Geens, sous la responsabilité du Premier Ministre M. Di Rupo et avec le soutien tacite du gouvernement. En cas d’opposition, un véto était toujours possible. À défaut d’explications, il faudra donc conclure que l’ensemble des partis au pouvoir considère que la saisie des comptes en banque de la population est une option possible en cas de problème majeur. On remarquera d’ailleurs que, depuis des années, l’agence de la dette présente les obligations souveraines belges aux investisseurs en spécifiant : " La situation financière du secteur privé belge est excellente et le patrimoine des ménages s’est remis de la crise grâce à un taux d’épargne élevé. Théoriquement, les ménages belges pourraient rembourser la dette publique ". La portée de ce genre d’engagement est désormais limpide.

La liberté en danger

Enfin, la troisième leçon est de portée plus générale. La crise de la dette que nous traversons actuellement va provoquer un changement politique, économique et social majeur. Le risque de défaut souverain et de faillite bancaire justifie potentiellement tous les abus. Avant cette odieuse confiscation des comptes bancaires, nous avons déjà connu de nombreuses entorses à tous les principes de l’État de Droit : la Belgique qui vend une banque qui ne lui appartient pas, la BCE qui s’assied sur ses statuts pour faire tourner la planche à billets, la Troika qui usurpe la souveraineté nationale, le secteur bancaire protégé à tout prix des règles élémentaires du capitalisme, et, bien sûr, l’austérité aveugle qui tue l’économie sous une pluie de taxes et d’impôts. Si nous n’y prenons garde, les mesures transitoires et exceptionnelles d’aujourd’hui deviendront l’ordinaire des générations futures. Il semblerait que ni la classe politique ni les intellectuels n’aient encore pris la mesure de ce qui se joue devant nos yeux. Il est essentiel d’ouvrir un débat national sur la dette publique avant que celle-ci ne dévore ces acquis civilisationnels majeurs que sont la liberté individuelle, la propriété privée et la démocratie libérale.

Cessons donc de considérer la crise de la dette comme un problème financier complexe et incompréhensible. Il s’agit d’un problème politique qui nous touche tous et qui nécessite un large débat démocratique afin de sauvegarder notre liberté et notre prospérité. Nous sommes tous des Européens, nous sommes tous des Chypriotes.

Patrick Smets, Président du Parti Libertarien

Patrick Smets est docteur en Sociologie. Il est le Président du Parti Libertarien en Belgique, fondé en novembre 2012. Ce parti reprend le nom d’un parti américain favorable à une législation minimale, au libre-échange et à des libertés individuelles fortes

 

 

 

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