Dans quel monde on vit

Christophe Boltanski à l'Africa Museum : une plongée dans "les soubassements de notre mémoire" coloniale

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En août 2020, le journaliste et auteur Christophe Boltanski passe une nuit au musée de Tervuren, rebaptisé en 2018 Africa Museum. Une nuit devenue un livre, King Kasaï, dans lequel il évoque le temps de la colonisation, les atrocités d’hier à aujourd’hui. Pascal Claude l’a rencontré une fin d’après-midi devant l’Africa Museum. Revivons avec eux la visite nocturne de ce musée et ce qu’il nous raconte de notre mémoire coloniale.

Pour le journaliste Christophe Boltanski, sa nuit au musée avait commencé près de l’église de Tervuren où se trouvent des cénotaphes (tombes vides) de sept congolais morts en 1897 lors de leur venue à l’Exposition universelle de Bruxelles.

Quant à son arrivée au musée, l’écrivain la décrit dans l’introduction de son livre King Kasaï "Je me dirige vers une énormité. Un empire enfermé dans une boîte, une encyclopédie en trois dimensions […] Faune, flore, hommes et dieux : toute la mémoire d’un monde rassemblé dans un même écrin".

Pourquoi avoir choisi l’Africa Museum ?

Plusieurs raisons ont poussé Christophe Boltanski à choisir de passer une nuit dans ce musée. D’abord, parce qu’il est descendu dans une mine de l’Est du Congo pour un ouvrage précédent, Minerais de sang, dans lequel il montre le fil qui mène de l'ombre à la lumière de notre consommation technologique quotidienne. Ensuite, par sa lecture de Tintin au Congo, même s’il fut troublé par le mépris du héros pour les habitants. Enfin, le journaliste avait appris que le musée changeait de nom pour être officiellement décoloniséIl souhaitait alors savoir quels dispositifs on peut développer pour cela.

En effet, la dénomination a évolué du Musée du Congo belge à l’Africa Museum en passant par la Musée Royal de l’Afrique centrale.

Près de l’éléphant symbolique et dans la rotonde au passé colonial

La Belgique apportant la Securite au Congo par le sculpteur belge Arsene Matton, à AfricaMuseum

C’est près de l’énorme éléphant empaillé – surnommé 'King Kasaï' dans son livre – qu’un lit de camp fut installé pour la nuit de Christophe Boltanski. Toutefois, il n’a pas beaucoup dormi pour explorer le lieu.

Même si "léléphant est un peu cliché de l’Afrique", c’est un symbole. Comme le journaliste écrit dans son livre : "Quand je regarde longuement quelqu’un, je finis toujours par m’identifier à lui". L’éléphant lui a tendu le miroir d’un être immensément vieux. C’est aussi une parabole de l’homme blanc qui chasse l’éléphant, un animal à la hauteur de son statut.

Dans l’obscurité de la nuit, l’auteur n’a pas vu immédiatement le passé colonial de la rotonde. C’est au lever du soleil, qu’il a pu découvrir les statues en bronze ou dorées qu’il nous présente : elles représentent des allégories de la Belgique coloniale.

C’était ce que les visiteurs pouvaient voir en arrivant dans l’ancien musée. Selon Christophe Boltanski, l’entrée de l’Africa Museum a été déplacée en raison du passé colonial trop marqué de cette rotonde… Le buste de Léopold II, taillé en ivoire, n’y est aussi plus présent :

Léopold II n’est plus qu’un bibelot parmi les autres.

En cachant ne montre-t-on pas davantage ?

Les statues le plus embarrassantes ont été également retirées dans les caves. D’autres ont été recouvertes d’un voile, ce qui rend la situation ambiguë. En effet, ce tissu sacralise, suscite la curiosité, cache…  C’est ce la réflexion posée par Christophe Boltanski dans son livre.

Il vaut mieux montrer que cacher, expliquer que taire.

Les silhouettes de statues et autres objets qui n’ont plus leur place dans le musée vu leurs stéréotypes — comme des moulages réalisés sur le vif à des fins anthropologiques - amènent à la question : pourquoi découvre-t-on toujours le mal par le bas ?

Entrée de l'Africa Museum à Tervuren

Actuellement, l’entrée de l’Africa Museum se fait par un escalier abrupte qui descend et mène à un couloir de 22 mètres de long, avec une inscription en six langues : "Tout passe sauf le passé".

Christophe Boltanski admet que l’on parle souvent de l’Afrique à partir de ses origines ténébreuses. On appréhende le Musée en descendant également dans les profondeurs de la terre et de l’inconscient :

Ce sont des soubassements de notre mémoire.

Une nuit coloniale dont on n’est pas encore sorti

La grande nuit serait celle de notre mémoire coloniale. Une nuit dont on n’est pas encore totalement sorti, selon l’auteur.

Face à des fétiches à clous saisis par les colons, Christophe Boltanski ne peut s’empêcher de raconter que "si une statue n’est plus dans une vitrine, elle meurt quand le regard vivant qui se portait sur elle a disparu". Dans son livre, il compare ces objets saisis avec les attaques des statues à travers le monde. Pour lui, ces dernières sont ainsi, paradoxalement, ressuscitées… Ces attaques démontrent que notre regard évolue.

L’Africa Museum tente de trouver un juste milieu par des ajouts, des retraits, mais avec trop peu d’explications encore, selon lui.

► Retrouvez cette visite mémorielle à l’Africa Museum dans le podcast ci-dessus, ainsi que l'interview de Christophe Boltanksi dans Le Mug ci-dessous.

Le Mug d’ouverture

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